Accueil Economie Tribune – Lois de finances : Entre intentions louables et contradictions flagrantes

Tribune – Lois de finances : Entre intentions louables et contradictions flagrantes

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Dans son exposé des motifs (page 6 de la loi de finances), la loi de finances pour l’année 2024 affiche des ambitions claires: consolider les réformes structurelles en vue de rétablir progressivement l’équilibre des finances publiques, tout en évitant de peser davantage sur les opérateurs économiques. À l’instar des lois de finances précédentes, le texte promet à son tour lui aussi de promouvoir la justice fiscale, de lutter contre l’évasion fiscale et de restaurer la confiance des investisseurs.

Mais à la lecture des faits et à la lumière des témoignages du terrain, une question s’impose : ces objectifs ont-ils réellement été atteints? Ou ne s’agit-il pas d’objectifs incohérents, voire contradictoires ?

Une pression fiscale sans précédent

L’année 2024 a été marquée par une intensification notable des contrôles fiscaux et douaniers. La multiplication des vérifications fiscales, notamment à travers la procédure de « vérification ponctuelle» introduite par la loi de finances 2022, a donné le ton. Cette méthode, rapide et aux délais de vérification et de réponse très courts, a mis sous pression non seulement les contribuables, mais aussi les agents de l’administration fiscale.

Ces derniers, sommés d’atteindre des objectifs quantitatifs de contrôle, se sont retrouvés débordés. En conséquence, et faute de temps suffisant, nombre d’entre eux ont adopté une posture systématiquement rigide, rejetant la majorité des arguments avancés par les contribuables, souvent sans analyse approfondie. Même devant la commission de conciliation, de nombreux dossiers argumentés se sont heurtés à des responsables, qui sous plusieurs prétextes, évitaient de prendre des décisions, attitude que certains contribuables renvoient à une logique de rentabilité immédiate.

À cela s’ajoutent des procédures de recouvrement parfois menées au mépris du cadre légal, fragilisant davantage des entreprises déjà en difficulté. L’administration, dans une logique de pression budgétaire, a parfois imposé à ses agents des objectifs disproportionnés par rapport à leurs capacités et aux moyens mis à leur disposition, poussant certains à des pratiques abusives.

Des amnisties fiscales à portée limitée

Les lois de finances successives ont régulièrement introduit des mesures d’amnistie fiscale, censées aider les entreprises à régulariser leurs situations en allégeant le poids des pénalités. Si, en théorie, ces mesures devaient être un levier pour améliorer les recettes fiscales et soutenir les entreprises en difficulté, leur mise en œuvre s’est souvent heurtée à des obstacles administratifs.

Ainsi, dans plusieurs cas, des contribuables souhaitant bénéficier de l’amnistie ont été contraints de verser des avances avant même la constatation des créances, en vertu de notes internes sans fondement légal. D’autres ont vu leurs demandes de rééchelonnement rejetées sans explication, malgré les dispositions prévues par les lois de finances permettant d’en faire la demande.

Cette rigidité dans l’application de l’amnistie a accentué le sentiment d’injustice fiscale, en contradiction avec les objectifs proclamés dans l’exposé des motifs.

Une crédibilité en question

L’adoption de la loi de finances 2025, marquée par une hausse de plusieurs taux d’imposition, semble renforcer le sentiment de décalage entre les intentions affichées et les choix réellement opérés. Plutôt que d’alléger le fardeau fiscal, ces mesures traduisent une priorité donnée à l’amélioration des recettes à court terme, au risque d’affaiblir la cohérence de la stratégie budgétaire sur le long terme.

Parallèlement, bien qu’une amnistie fiscale ait été instaurée pour soutenir les entreprises en difficulté, de nombreux contribuables ont éprouvé des difficultés à en bénéficier pleinement. Le calendrier de paiement fixé par les arrêtés du ministère des Finances a parfois été perçu comme déconnecté de la réalité des capacités financières des acteurs concernés.

Cette situation est particulièrement ressentie par les très petites entreprises (TPE), les petites et moyennes entreprises (PME), ainsi que les contribuables particuliers, souvent plus vulnérables face aux pressions économiques et disposant de marges financières limitées. Pour ces catégories, les échéanciers proposés apparaissent parfois inadaptés à leurs contraintes réelles, rendant difficile le respect des engagements fixés.

Par ailleurs, l’absence d’adaptation des conditions d’amnistie aux spécificités de chaque situation — avec des règles restées quasiment inchangées d’une année à l’autre — a pu en limiter l’efficacité.

Dans ce contexte, vouloir rétablir les équilibres budgétaires essentiellement par le biais de mesures fiscales, sans appui sur des politiques économiques complémentaires, apparaît non seulement trop ambitieux, mais aussi difficilement soutenable à moyen terme.

 En fin de compte, les lois de finances tunisiennes souffrent d’un défaut récurrent : des intentions souvent louables, mais rarement suivies d’effets concrets. Il devient indispensable de travailler sur cette déconnexion qui affaiblit non seulement la crédibilité de l’Etat, mais entame aussi la confiance des acteurs économiques. Combler ce fossé est indispensable pour apaiser un contexte économique devenu particulièrement tendu.  

N.B. : L’opinion émise dans cette tribune n’engage que son auteur. Elle est l’expression d’un point de vue personnel.
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