Accueil Culture Vient de paraître : « L’Algorithme du Chaos » de Mehdi Kattou : Qui tire vraiment les fils ?

Vient de paraître : « L’Algorithme du Chaos » de Mehdi Kattou : Qui tire vraiment les fils ?

Architecte, entrepreneur, animateur et spécialiste en communication, il met en jeu toutes ses ressources pour décortiquer la menace réelle que nous inflige le monde virtuel des réseaux numériques.

Après «Chronique d’une révolution avortée» paru en 2013 et «L’Éveil » en 2020, Mehdi Kattou vient de publier un nouvel essai socio-politique intitulé «L’Algorithme du Chaos». 

Architecte, entrepreneur, animateur et spécialiste en communication, il met en jeu toutes ses ressources pour décortiquer la menace réelle que nous inflige le monde virtuel des réseaux numériques. Sur la première de couverture, en dessous du titre, on lit «Quand la toile tisse le déclin démocratique». Cette accroche en dit long sur le contenu du livre, surtout avec le pion en illustration, symbole de manipulation et de contrôle des masses.

Mehdi Kattou a été présent à la Librairie Al Kitab pour une séance de débat autour de son essai. Il a expliqué comment les outils technologiques modernes peuvent influencer et orienter les comportements, les opinions et jusqu’aux choix politiques des utilisateurs.

Ces Big Techs qui contrôlent tout

Selon l’auteur, «L’Algorithme du Chaos» comprend tout d’abord «un volet pédagogique concernant l’organisation, l’architecture, la structure même des réseaux et des Big Tech comme Google». En dehors des bienfaits commerciaux, ces entreprises technologiques, considérées comme étant  les plus prolifiques et les plus prospères du marché actuel, influencent même les décisions politiques «jusqu’à une dérive émotionnelle en dehors de toute rationalité», comme l’a expliqué Mehdi Kattou. En effet, il y a un tri sur les fils d’actualité sur les réseaux sociaux. Même les recommandations sont captées par «les radars des réseaux » et les algorithmes cernent les préférences, notamment avec la notion de contagion algorithmique.

Telle «une caisse de résonnance », comme les a qualifiés l’auteur, ils essaient de nous rapprocher des gens qui nous ressemblent. Si, avant, on était fortement influencés par la télé et les autres médias  où l’on poussait à la consommation ou à certains discours, la situation ressemble aujourd’hui à «la création d’armes de destruction massive». Des outils numériques de plus en plus puissants diffusent des pensées impulsives incitant à la violence. «On n‘a pas de vie mais on se crée quand même un avatar et on se tourne vers ses réseaux, synonymes d’affranchissement et de liberté telle une chair à canon», explique Mehdi Kattou.

«Tous les rapports sont devenus horizontaux, une sorte de communisme intégral généré paradoxalement par l’hypercapitalisme, une table rase quotidienne», poursuit-il. Ainsi, on n’arrive plus à classer les gens en fonction du niveau socioéconomique, du parcours académique..Il y a tant de lives et de partages. «La qualité ne permet pas la survie des réseaux. Ils ont besoin de consommable humain», souligne l’écrivain.  Avec les téléphones, on crée alors «des ghettos idéologiques avec des frontières fictives». Un «universalisme militant»,  à travers des groupes répartis aux quatre coins du globe, dans un contexte d’affranchissement géographique, touche à tous les niveaux de notre existence, ou presque.

Des mouvements qui apparaissent aux Etats-Unis peuvent se faire des alliés en France, en Russie..«Dans ce livre, il y a beaucoup de littérature contemporaine, des références historiques qui relèvent de la sociologie et de la philosophie», explique Mehdi Kattou. Il a donné de nombreux exemples réels issus de travaux de recherche. Des événements sponsorisés à moins de 2000 dollars ont failli provoquer des guerres civiles comme la marche organisée contre la construction d’une bibliothèque islamique à Houston. Les médias n’ont pas pu identifier les responsables pour mener des interviews.

ll s’est avéré finalement que le mouvement était géré à travers des écrans depuis Saint Petersburg. Un autre chiffre pertinent à retenir, dans un autre contexte, est que 12 personnes seulement sont responsables de 65% du contenu de la campagne antivax. Des personnes arrivent ainsi, à travers leurs claviers, à imposer des lignes directives. «Il n’y a pas de solution pour contenir la dynamique de ces groupes sur les réseaux », selon l’auteur.

Un autre angle à évoquer, le hashtag et les trends qui créent des courants de pensées et mettent des aspects particuliers sur le devant de la scène. On parle aujourd’hui de «marchés de l’opinion » avec des acteurs, des intervenants, des vendeurs de data. Une seule structure possède de la data qui couvre 2.5 milliards d’êtres humains, selon Mehdi Kattou. Des applications toutes anodines récoltent des informations qui se vendent, se négocient et on ne connaît même pas ces intervenants. Les conséquences sont inestimables car, si les Etats surveillent pour contrôler, les BigTechs surveillent pour ajuster leurs modèles, hausser leurs ventes et orienter des décisions sur tous les niveaux. 

D’après l’auteur, une ancienne directrice de Meta a expliqué, après sa démission, qu’ils détectent «des moments de fébrilité» ce qui a un impact sur les élections et sur d’autres processus démocratiques.. Les dirigeants mondiaux, aujourd’hui, quand ils gagnent aux élections, devraient alors remercier Facebook car même la dissuasion des adversaires passe par les réseaux sociaux. L’exemple du couple Elon Musk–Trump est évidemment cité dans ce sens.

La propagation des informations n’est pas anodine

La décontextualisation et la massification touchent les personnes les plus instruites.

Des informations erronées et anecdotiques sont diffusées à grande échelle alors qu’une éventuelle rectification passe inaperçue. Une diffusion tellement rapide qu’on ne peut pas la résorber et qui n’obéit malheureusement pas aux codes de la presse en ce qui concerne les intox et le droit de réponse. « Une des conséquences est la chute vertigineuse des vrais médias», comme l’a indiqué Mehdi Kattou en citant l’exemple de TF1 qui a fermé la grande majorité de ses bureaux.

Il a également évoqué un «manque de hiérarchisation de l’information» comme tout se mélange sur un même fil d’actualité. «Aujourd’hui les mêmes personnes discutent de la robe de Kim Kardachian à la Met Gala et de la réforme de la cour constitutionnelle», continue-t-il, non sans ironie. Des sujets sont alors placés sur un pied d’égalité alors que l’importance est variable. Toujours selon Mehdi Kattou, Google détient 92% du trafic mondial d’information et reconnaît quand même avoir propagé des intox avérées.

Aucune mesure n’a été prise dans ce sens. Ces plateformes de diffusion avec leurs algorithmes échappent aux sanctions juridiques. L’auteur de «L’Algorithme du Chaos» présente ainsi «un état des lieux extrêmement documenté» de ce qu’il décrit comme «une troisième guerre mondiale dont on est la chair à canon». «La sévérité de l’invasion de la contagion de la colonisation de ces Big Tech est infligeante», conclut l’auteur. «Le combat doit être universel». La menace qui semble indirecte est donc omniprésente. Une opinion se forge au fil des pages pour une visée de sensibilisation et d’éducation qui s’inscrit sur un long terme.

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