Accueil Culture Un siècle et demi d’histoire du Collège Sadiki à la Foire Internationale du Livre de Tunis

Un siècle et demi d’histoire du Collège Sadiki à la Foire Internationale du Livre de Tunis

De précieux témoignages ont été présentés, vendredi, dans le cadre d’une rencontre-débat intitulée « Collège Sadiki : 150 ans « , organisée, au parc des expositions du Kram, à l’occasion du 150ème anniversaire de cet établissement, berceau des élites tunisiennes et acteur majeur de la modernité (1875-2025).

Universitaires, chercheurs et intellectuels étaient présents à la Foire internationale du livre de Tunis lors de ce rendez-vous qui a offert un cadre de débats et de partage sur la prestigieuse institution éducative et son apport de l’enseignement sadikien dans la Tunisie contemporaine.

Lors de la séance inaugurale, Chedly ben Younes, avocat et célèbre producteur de programmes pour la Télévision et la Radio nationales, a évoqué la haute symbolique de cette rencontre à l’occasion du FIL, ce qui offre un cadre de réflexion collective sur l’histoire et l’avenir du Collège Sadiki qui doit sa création, en 1875, au réformateur et homme politique tunisien d’origine circassienne, Kheireddine Pacha (1822/1823-1890, Istanbul) réputé pour sa grande culture et sa maître de plusieurs langues.

Bon nombre d’hommes d’État tunisiens moderne ont fait leurs études au Collège Sadiki, établissement d’enseignement de premier plan dans l’histoire contemporaine de la Tunisie dont la fondation est « l’aboutissement d’une vision réformiste mêlant identité arabo-islamique et ouverture sur les savoirs modernes », a-t-il dit.

Pour sa part, Mohieddine Mabrouk, Professeur en droit, a largement abordé l’histoire de l’Ecole en s’attardant sur l’œuvre majeure de son fondateur Kheireddine Pacha et ultérieurement, Mohamed Attya qu’il qualifie du « sauveur » de l’établissement. Beaucoup plus qu’un établissement d’enseignement traditionnel, Kheireddine Pacha voulait plutôt créer un projet d’illumination civile, a-t-il expliqué.

S’agissant de Mohammed Attya, premier proviseur tunisien du Collège Sadiki durant la période postcoloniale, le conférencier a rappelé les actions d’Attya en faveur du Collège qui était la cible de tentatives visant sa « dissolution », faisant référence à ses réformes en vue de la réhabilitation de la langue arabe, -à l’époque, longtemps marginalisée au profit du français et de l’italien-, à travers son intégration dans les manuels d’enseignement au collège Sadiki

Collège Sadiki : de Kheireddine Pacha à Mohamed Attya

Mohieddine Mabrouk a estimé que « le collège Sadiki n’aurait pas existé sans Keireddine et n’aurait pas non plus continuer sans Mohammed Attia : le premier avait jeté les bases et le second l’avait sauvé des tentatives, notamment durant la période du colonialisme, de le lui soustraire sa vocation éducative en l’intégrant dans les institutions françaises.

Il est revenu sur l’histoire du collège qui depuis sa fondation en 1875, était un établissement précurseur d’enseignement moderne qui dispensait des cours d’enseignement dans les mathématiques, la physique et la chimie, en français et en italien ainsi qu’en turc. Sous la dynastie Husseinite et sous la supervision personnelle de Kheireddine Pacha, Sadiki était l’une des premières écoles à organiser des examens officiels dans le palais du gouvernement lui-même.

Lors d’une visite au Collège, en 1883, le résident général de France, Paul Cambon, était impressionné par la qualité d’enseignement au Collège qu’il décrit dans un rapport dans lequel il a salué le Collège en tant que « première école d’enseignement secondaire dans le monde à l’époque ».

Mabrouk a également parlé du rôle majeur de Mohamed Attya dans l’intégration progressive de l’enseignement Sadiki dans les programmes de formation nationaux. Durant son mandat, les diplômés du Collège Sadiki faisaient partie de l’élite intellectuelle qui a contribué, après l’indépendance, à l’instauration de l’enseignement supérieur et des institutions nationales.

L’académicien a plaidé pour à la réhabilitation du rôle de cette prestigieuse école partant de conviction qu’elle constitue un modèle intellectuel et éducatif inspirant pour la réforme de l’éducation aujourd’hui.

Collège de la Renaissance, miroir du projet réformateur de Kheireddine

Ali Hamrit, chercheur universitaire, a parlé d’un College qui incarne le grand projet de réforme mené par Kheireddine Pacha, figure éminente de la Renaissance en Tunisie au XIXe siècle qui était « d’origine circassienne, de culture ottomane et d’engagement tunisien ».

Originalité et modernité sont les fondements de ce projet, ayant vu le jour à une époque marquée par une crise civilisationnelle dans le pays, orienté vers l’éducation arabo-islamique et assez familiarité avec les systèmes occidentaux modernes, et dont l’objectif était de construire une société éduquée ouverte sur le monde.

Asma Haddad qui enseigne l’arabe au Collège Sadiki, a présenté sa vision pour la réhabilitation et la préservation de cet héritage qui passe inévitablement par la rénovation des infrastructures, des programmes et des mécanismes de gestion éducative et culturelle ».

Haddad a notamment appelé à la numérisation des archives scolaires « précieuses » de la prestigieuse Ecole tunisoise à travers la création d’une plateforme ouverte aux chercheurs et passionnés d’histoire pour la préservation des documents pédagogiques et historiques.

Zoom historique sur un fleuron de plus d’un siècle

Fondé en 1875 par Kheireddine Pacha, le Collège Sadiki est une institution phare de l’éducation en Tunisie. Sa création marque un tournant décisif dans l’histoire éducative du pays, symbolisant l’entrée de la Tunisie dans une ère de modernité et de réforme.

Le premier établissement d’enseignement moderne en Tunisie, l’Ecole Polytechnique du Bardo, remonte à 1840. Deux ans plus tard, le 1er décembre 1842, à Bab Echifa, est affichée la première réforme des programmes de la Zitouna. En juin 1874, Mohamed Sadok Bey annonce la création d’un nouvel établissement, le Collège Sadiki, «destiné à former une nouvelle élite musulmane capable d’assumer les charges administratives du pays».

Convaincu par ses voyages en Europe de la supériorité du modèle éducatif européen, le Premier ministre Kheireddine, nommé en 1873, suivait de près les réformes de l’enseignement en Egypte et à Istanbul et considérait que le retard des musulmans face aux Européens résultait de leur méconnaissance des sciences. Pour lui, le développement économique de la Tunisie passait nécessairement par une amélioration du système éducatif et une meilleure diffusion du savoir.

Sous son impulsion, une commission fut créée pour réformer l’enseignement de la Grande Mosquée et établir un programme scolaire pour le futur Collège Sadiki. Le 27 février 1875, l’établissement ouvrit ses portes aux élèves venant de tout le pays. En 1878, sa direction et l’administration de ses biens furent confiées à Mohamed Larbi Zarrouk.

L’expérience éducative initiale du Collège Sadiki était rapidement entravée avec le début de la colonisation française. Le 9 décembre 1882, un décret établit un conseil d’administration et nomma un directeur français à la tête de l’établissement.

A partir de 1920, le collège dépendit des subventions de l’Etat après la perte de plusieurs de ses domaines habous, situés dans les régions les plus fertiles du pays. Cette mise sous contrôle visait à affaiblir son autonomie et son authenticité. Toutefois, le pouvoir colonial n’est pas parvenu à établir sa mainmise totale sur le collège Sadiki: ses élèves et ses enseignants ont joué un rôle pionnier au sein du mouvement national, dont attestent les événements d’avril 1938.

L’établissement où ont été formées les premières élites tunisiennes notamment des avocats, médecins, pharmaciens et hauts fonctionnaires est devenu selon l’expression de l’historien et ancien élève de Sadikiya Mohamed Talbi, plus qu’une institution, un creuset où s’est forgée une élite tunisienne ouverte sur le monde.

Installé à l’origine dans l’ancienne caserne de Sidi Morjani, -l’actuelle rue de la mosquée Zitouna-, le Collège Sadiki a été transféré par la suite sur la place de la Kasbah à Tunis. Classé patrimoine historique en 1992, le bâtiment, œuvre de l’architecte français Pétrus Maillet, est conçu dans un style néo-mauresque. Son minaret, élément architectural emblématique, est perçu comme le symbole du Collège, qui a connu au fil des décennies le passage de plusieurs personnalités de diverses générations ayant marqué l’histoire contemporaine de la Tunisie.

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