Accueil A la une Tunisie : Sauver le quartier consulaire, un enjeu économique autant que culturel

Tunisie : Sauver le quartier consulaire, un enjeu économique autant que culturel

Dans son récent ouvrage “Quand la diplomatie fait la ville”, l’historien et architecte, Adnen El Ghali, ressuscite l’histoire oubliée du quartier consulaire de Tunis, un joyau patrimonial trop souvent délaissé. Invité de l’émission 120 minutes sur RTCI, il a détaillé les principaux thèmes de son livre au micro de Hatem Bourial.

Publié aux éditions de l’Université de Bruxelles, ce livre retrace l’essor, entre le XVIIe et le XIXe siècle, d’un espace urbain unique, où se jouait le théâtre des relations internationales de la régence ottomane. Un héritage aujourd’hui en péril.

Un quartier, miroir des puissances étrangères

Adnen El Ghali révèle comment Tunis a accueilli, dès 1577, les premières représentations consulaires intra-muros, rompant avec la tradition médiévale des fondouks extérieurs aux remparts. Le consulat de France, pionnier en 1577, fut suivi par ceux d’Angleterre et des Provinces-Unies (Pays-Bas), formant une “lanière diplomatique” le long de la rue de l’Ancienne Douane. “Ces bâtiments, propriétés de l’État tunisien, incarnent notre mémoire diplomatique”, insiste l’auteur, déplorant leur état de dégradation.

Les pavillons nationaux, visibles depuis La Goulette, symbolisaient cette présence : “Certains mâts dépassaient la hauteur des consulats, marqueurs spatiaux destinés à être vus des navires”, explique El Ghali, citant des archives néerlandaises.

Au-delà des bâtiments officiels, le quartier foisonnait d’espaces annexes : 25 chapelles catholiques, des hôpitaux comme l’Hôpital royal d’Espagne, ou encore des tavernes. “Ces équipements dessinaient un réseau d’influence, reflet des capitulations ottomanes”, analyse l’historien. Les congrégations chargées du rachat des captifs (Trinitaires, Mercédaires) y étaient actives, témoignant des échanges parfois conflictuels entre rives méditerranéennes.

Uniformes et chaussures : les rituels symboliques

L’ouvrage décrypte aussi les codes sociaux des consuls, entre ostentation et adaptation. “Le port de l’uniforme, les carrosses, ou même des chaussures hybrides pour contourner l’interdiction des souliers au Bardo révèlent des stratégies de représentation”, souligne El Ghali. Ces détails illustrent les tensions protocolaires, comme le refus français du baise-main, perçu comme une soumission inacceptable.

En conclusion, l’auteur lance un plaidoyer pour la sauvegarde de ce patrimoine “ni colonial ni étranger, mais pleinement tunisien”. Des initiatives existent : le consulat du Danemark restauré par la mairie de Tunis, ou l’église Sainte-Croix (ancien consulat d’Espagne) sauvée grâce à des fonds italiens. Mais l’enjeu est plus large : “Ce quartier n’est pas un coût, c’est un levier économique et identitaire”, argue El Ghali, prônant une collaboration public-privé encadrée.

L’historien appelle aussi à étendre la protection au “Tunis européen”, souvent perçu à tort comme un héritage colonial : “Ces bâtiments font partie de notre histoire. Les laisser disparaître, c’est appauvrir notre mémoire”.

 

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