Accueil Culture « Du patrimoine partagé », nouvelle publication de Nabil Kallala : Un plaidoyer pour un patrimoine vivant et partagé

« Du patrimoine partagé », nouvelle publication de Nabil Kallala : Un plaidoyer pour un patrimoine vivant et partagé

Dans son nouvel ouvrage « Du patrimoine partagé. Pour un éveil culturel », Nabil Kallala, professeur émérite d’histoire et d’archéologie antiques à l’Université de Tunis, livre une réflexion profonde sur la question patrimoniale en Tunisie. Réunissant des textes inédits, ce livre est un manifeste pour une réinvention du patrimoine, porté par une volonté de dialogue entre chercheurs, techniciens, conservateurs, Etat et société civile.

La Presse — Publié aux éditions Nirvana, avec en couverture une photographie emblématique des ports puniques de Carthage, ce livre est préfacé par Mohamed Hassine Fantar et postfacé par Habib Ben Salha. Il s’inscrit dans une dynamique critique et constructive de la situation actuelle du patrimoine tunisien, tout en défendant une approche à la fois objective, engagée et participative.

« La tendance générale du livre est une lecture qui se veut objective tout en étant critique de la situation du patrimoine, de la façon de le gérer et de le percevoir… tout ce qui y est dit reflète les sujets, les discours et propos de chercheurs, techniciens et conservateurs avec une intention de partager le débat avec qui de droit — Etat et société civile — dans l’espoir de lancer un débat public sur le patrimoine», affirme Nabil Kallala.

Au cœur de l’ouvrage, une idée maîtresse : sortir le patrimoine de son état statique et figé, où il est perçu comme simple vestige du passé, pour en faire un moteur de développement culturel, social et économique. Kallala appelle à transcender cette vision réductrice, et à reconnaître les multiples valeurs — historiques, architecturales, culturelles, anthropologiques et expressives — que le patrimoine véhicule depuis sa création. 

Ce changement de perception s’est amorcé notamment après la révolution de janvier 2011. Ce moment-charnière a vu les citoyens redécouvrir leur histoire, leur identité et leur patrimoine, dans un élan de conscience citoyenne nouvelle. Cette prise de conscience a conduit à considérer le patrimoine non seulement comme héritage, mais comme potentiel vivant à préserver, gérer, exploiter et faire revivre. Les organismes publics, tels que l’Institut national du patrimoine (INP) et l’Agence de mise en valeur du patrimoine et de promotion culturelle œuvrent dans ce sens, encadrés par le Code du patrimoine publié en 1994, garantissant un cadre législatif structurant. Mais malgré la reconnaissance institutionnelle, les défis restent nombreux : difficultés de gestion, enjeux de sauvegarde, manque de valorisation efficace.

Kallala insiste en disant qu’il faut redynamiser le secteur, élargir son champ traditionnel et encourager des expériences inventives, locales, novatrices. Le patrimoine ne doit plus être uniquement objet de commémoration, mais devenir source d’emplois, de créativité et de vitalité économique. Il appelle ainsi à intégrer le patrimoine dans la dynamique culturelle et socioéconomique du pays, en tant que bien collectif porteur d’avenir. Rappelons que, tout au long de l’histoire, trois grands âges du patrimoine sont identifiés : la préservation au XIXe siècle, le classement au milieu du même siècle, puis la valorisation après la Seconde Guerre mondiale. En Tunisie, ces approches restent dominantes, mais il est temps de franchir un nouveau cap.

Enfin, Nabil Kallala pose la question essentielle : comment, de manière objective et en tenant compte des interférences et de la complexité du secteur, peut-on réellement gérer et sauvegarder le patrimoine de façon efficiente ? La valorisation actuelle permet-elle de faire de ce dernier un véritable levier de développement ?

Ce sont ces questionnements qui nourrissent l’ouvrage et donnent sens à la démarche de l’auteur, à la croisée du terrain et de la gestion institutionnelle. En guise de conclusion, Nabil Kallala précise que « l’idée forte qui traverse ses différents exposés est que l’état difficile et problématique dans lequel se trouve notre patrimoine culturel est dû à quatre raisons principales : d’abord, l’éclatement et la dispersion des trois institutions en charge du patrimoine, à savoir l’INP, l’Amvppc et la direction générale du patrimoine au ministère des Affaires culturelles. A cela s’ajoutent plusieurs chevauchements et conflits de compétences dans leurs prérogatives. De plus, il existe d’autres interférences du champ patrimonial avec des organismes administratifs et départements proches, autres que ceux du ministère de la Culture comme les municipalités, les gouvernorats…

Le quatrième point reste relatif aux textes législatifs régissant le domaine du patrimoine sous forme de code publié en 1994, amendé en 2012 et souffrant de manque de précisions et de lacunes entravant la prise de décisions fluides et applicables à toutes les situations. Pour ce constat, une première mesure salvatrice serait de créer, au sein du ministère de la Culture, un secrétariat du patrimoine et des biens culturels ou de sortir carrément le domaine du patrimoine pour en faire un ministère à part, ou encore de réunir les trois institutions dans un office autonome. La deuxième mesure proposée par Nabil Kallala est la révision de l’ensemble des textes législatifs en fonction de la nouvelle structure qui sera en charge de ce domaine, une révision en profondeur pour faire face aux dépassements et faciliter la sauvegarde et la valorisation…

Par cette contribution, Kallala espère « apporter une pierre à l’édifice patrimonial », en partageant une vision lucide, mais ambitieuse d’un patrimoine réinventé, partagé, vivant et résolument tourné vers l’avenir.

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