
Le projet de révision du Code du Travail, déposé devant le Parlement en mars 2025, suscite de vives réactions parmi les spécialistes. Houcine Rhili, chercheur et universitaire spécialisé dans les questions de développement et de gestion des ressources, a exprimé ses réserves lors d’une intervention sur Mosaïque FM ce dimanche 11 mai, dénonçant une réforme incomplète et potentiellement contre-productive pour les travailleurs.
Le chercheur a pointé du doigt l’absence de l’Union générale tunisienne du travail dans le processus d’élaboration du texte comme étant la “plus grave erreur” du projet. “Le Code du travail constitue le contrat social fondamental entre toutes les parties prenantes du monde du travail. En exclure délibérément la principale organisation syndicale équivaut à saper les bases mêmes du dialogue social”, a-t-il déclaré. Cette marginalisation de l’UGTT risque, selon lui, de vider la réforme de sa substance et de la rendre inopérante sur le terrain.
Le projet gouvernemental met en avant la généralisation du contrat à durée indéterminée comme mesure phare. Pourtant, Rhili rappelle que le cadre juridique actuel, issu de la réforme de 1996, établit déjà le CDI comme norme de base. “Le véritable problème ne réside pas dans l’absence de protection légale, mais dans les multiples contournements permis par la législation”, explique-t-il. L’universitaire fait notamment référence à l’ancien article autorisant le recours abusif aux CDD pour des emplois permanents, une disposition qui a ouvert la voie à de nombreuses dérives.
Le cas épineux de la sous-traitance
L’analyse de Rhili distingue clairement deux formes de sous-traitance aux implications radicalement différentes. La sous-traitance de main-d’œuvre, qu’il qualifie sans ambages de “forme déguisée d’esclavage moderne”, consiste en la location de travailleurs sans aucune garantie sociale. À l’inverse, la sous-traitance de capacité, pratique courante dans l’industrie mondiale, répond à des besoins techniques spécifiques sans remettre en cause les droits fondamentaux des salariés.
L’expert souligne avec insistance que le cadre juridique tunisien interdit déjà formellement les abus en la matière. “Les articles 28 à 30 du Code actuel prévoient des sanctions contre la sous-traitance illégale. Le véritable défi réside dans l’incapacité chronique de l’État à faire respecter ses propres lois”, déplore-t-il. Cette carence dans l’application du droit existant rend selon lui douteuse l’utilité de nouvelles dispositions législatives.
Les angles morts préoccupants de la réforme
L’universitaire attire l’attention sur plusieurs “omissions graves” dans le projet gouvernemental. Les contrats de stage, limités à six mois renouvelables une fois, ne prévoient aucune protection pour les stagiaires non retenus à l’issue de cette période. De même, les dispositifs publics d’emploi comme le SIVP ou le programme Karama, qui maintiennent des milliers de diplômés dans une précarité institutionnalisée, ne font l’objet d’aucune régulation dans le texte proposé.
Rhili met en garde contre l’illusion d’une réforme efficace sans moyens de contrôle adéquats. “Quelle que soit la qualité technique d’une loi, elle reste lettre morte sans un système d’inspection du travail doté de ressources humaines et matérielles suffisantes”, insiste-t-il. Le chercheur plaide en outre pour une véritable politique de sensibilisation et de formation des inspecteurs du travail, ainsi que pour une volonté politique ferme de sanctionner les contrevenants.
Alors que le projet de réforme prétend moderniser le cadre juridique du travail en Tunisie, l’analyse de Rhili en révèle les nombreuses faiblesses. Entre l’exclusion des partenaires sociaux, le manque d’ambition sur les questions de précarité et l’absence de mécanismes de contrôle renforcés, le texte risque de manquer sa cible. Pour l’universitaire, seule une concertation élargie avec tous les acteurs concernés pourrait aboutir à une réforme réellement protectrice des droits des travailleurs.