
Par Aïcha HAMZA SAFI *
II- sous-traitance illicite, dite sous-entreprise de main-d’œuvre
Comme indiqué dans la première partie, la sous-traitance n’implique pas, en elle-même, directement et nécessairement une précarité de l’emploi. Les lois qui régissent la force de travail dans les entreprises sous-traitantes sont celles qui régissent l’emploi en général. La sous-traitance dotée des lois bien verrouillées peut légitimement être un moyen de qualité du produit ou de service et /ou d’amortir les variations ponctuelles que peut connaître réellement l’activité de l’entreprise donneuse d’ordres.
Néanmoins, l’imprécision du texte crée un flou dans les esprits – à commencer par le législateur qui a intitulé le titre relatif à la sous-traitance « Sous-entreprise de main-d’œuvre » et entraîne dans la pratique un glissement de la sous-traitance licite vers le prêt de main-d’œuvre, ou sous-traitance illicite que le législateur devrait interdire.
Dans ce paragraphe, on essayera de définir ce que c’est la sous-traitance illicite – prêt de main-d’œuvre-(A) afin de la distinguer de la sous-traitance licite qui devrait être dans la légalité (B)
A– Définition de la sous-traitance illicite, dite prêt de main-d’œuvre
Il fallait noter que la sous-traitance illicite, comme la sous-traitance licite, obéit au rapport triangulaire (au moins trois parties : donneur d’ordres, preneurs d’ordres et travailleur) et à ses mécanismes juridiques (un contrat de droit commun et un contrat de travail).
Il y a sous-traitance illicite, dite prêt de main-d’œuvre en présence notamment de deux éléments :
1- Lorsqu’un sous-traitant, suite à la conclusion d’un contrat de production ou de prestation de services avec un donneur d’ordres recrute la main-d’œuvre nécessaire au travail convenu et la met à la disposition d’un donneur d’ordres moyennant un prix duquel il tire son exclusif, sinon profit. Ici l’activité exclusive, du moins principale, du sous-traitant n’est autre que le recrutement et le placement des travailleurs auprès des donneurs d’ordres. Lesdits travailleurs exécutent les travaux ou la prestation de service dans l’entreprise bénéficiaire du travail (donneur d’ordres) et sous ses ordres.
2- L’activité de l’entreprise preneur d’ordres n’entre ni dans le cadre d’une convention collective de branche ou d’entreprise, ni a l’obligation juridique d’être dotée d’un règlement intérieur spécifique à elle qui détermine des droits décents de ses travailleurs.
Ainsi, le prêt de main-d’œuvre réunit deux éléments : — De l’une, une entreprise montée rien que pour le prêt de main-d’œuvre, elle pourrait être fictive lorsque le travail sous-traité est exécuté dans les locaux du donneur d’ordres. — De l’autre, un législateur qui a laissé les mains libres à celle-ci. Le législateur tunisien n’a pas exigé du sous-traitant d’être une entreprise en bonne et due forme exerçant une activité licite propre à elle et dotée d’un cadre juridique garant des droits décents des travailleurs. Et il revient aux inspecteurs du travail de contrôler l’effectivité de l’application du droit.
Abandonnée ainsi par le législateur, la sous-traitance glisse vers le prêt de main-d’œuvre qui, outre qu’elle porte atteinte à la sous-traitance de production et de services licites, aura pour effet de causer un dommage aux travailleurs mis à disposition et d’alimenter un marché du travail déjà caractérisé par la précarité qui est confortablement installée en Tunisie.
Un prêt de main-d’œuvre non interdit, voire légalisé, par le législateur, celui-ci n’a-t-il pas intitulé le titre II relatif à la sous-traitance « Sous-entreprise de main-d’œuvre », un titre annonceur d’un contenu des dispositions de ses articles. Celles-ci ont laissé le prêt de main-d’œuvre se créer et se développer d’une manière complètement libre sans aucune entrave de la loi du travail.
De là on relève une incompatibilité, sinon un paradoxe flagrant, alors que notre ordonnancement juridique incrimine le commerce des personnes, les articles 28 à 30 du Code du travail autorisent, ne serait-ce qu’indirectement, le prêt de main-d’œuvre qui n’est qu’une manifestation du commerce des personnes.
Parmi les articles de notre ordonnancement juridique, outre la Constitution encore en attente de l’institution de l’organisme suprême qui veille à l’application de ses normes, on peut citer un des articles relatifs à l’enrichissement sans cause, en l’occurrence l’article 72 C.O.C. qui dispose que : « celui qui, de bonne foi, a retiré un profit du travail ou de la chose d’autrui, sans une cause qui justifie ce profit, est tenu d’indemniser celui aux dépens duquel il s’est enrichi dans la mesure où il a profité de son fait ou de sa chose ». Le profit que tire le sous-traitant lorsqu’il prête une main-d’œuvre sans aucun matériel, ni formation … n’est-il pas un enrichissement sans cause ? De même, on ne peut pas présumer la bonne foi du sous-traitant, celui-ci met les travailleurs à la disposition du donneur d’ordres rien que dans l’intention de tirer profit de leur travail sans rien investir ni dépenser pour justifier la somme qu’il prélève du salaire du travailleur.
B – Distinction sous-traitance licite/sous-traitance illicite
La sous-traitance illicite (qui devrait être interdite) est celle dont l’objet porte, exclusivement, du moins principalement, sur la main-d’œuvre. En général, dans ce type de sous-traitance illicite, le sous-traitant place les travailleurs qu’il recrute à la disposition du donneur d’ordres sans fournir ni matériel de travail, ni formation … Sa « rémunération » dépend exclusivement de la différence entre le prix du marché conclu avec l’utilisateur et les salaires qu’il verse aux travailleurs. Celui-ci spécule sur la différence entre le prix convenu avec le donneur d’ordres (dont il se fait créancier) et les salaires payés aux ouvriers qu’il recrute. Le prêt de main-d’œuvre est le seul élément de sa spéculation, de son gain. Un gain qui augmente en proportion :
– Avec ce qu’il donne à «ses travailleurs » : moins il les paye, plus il gagne ;
– Avec la rapidité de la tâche : plus la journée est longue et le travail est intensif, plus l’affaire qu’il a conclue est bénéfique.
Alors que dans la sous-traitance licite (qui devrait être légale), l’objet du contrat porte soit sur une production (ou un travail) et/ou sur un service (d’une société réputée par ledit service) qui comprend à la fois la main-d’œuvre compétente et nécessaire au service et les matériaux et moyens nécessaires à l’exécution dudit service. Dans les deux cas, on est en présence d’une société en bonne et due forme, et il revient au sous-traitant de diriger ses travailleurs et d’assumer ses responsabilités nées de l’application de la législation sociale et ce, peu importe le lieu d’exécution du travail, ceux du sous-traitant ou ceux du donneur d’ordres.
Dans la sous-traitance légale, le sous-traitant tire profit de plusieurs éléments qu’il met en œuvre pour l’exécution du travail objet du contrat de sous-traitance tel que le capital technique et financier et des droits sociaux des travailleurs – un salaire juste, une formation, etc.
Pour qu’il y ait sous-traitance licite, il faut se placer au niveau du contrat de droit commun conclu entre le donneur d’ordres et le sous-traitant, que du côté de l’entreprise sous-traitante. Du côté du contrat de sous-traitance ( de droit commun) il fait remplir certaines conditions dont essentiellement le caractère non exclusif du prêt de main-d’œuvre ayant pour objet un but lucratif sans cause licite. Pour ceci, il faudrait que l’entreprise prestataire de services mette à la disposition des travailleurs les moyens matériels et intellectuels nécessaires pour l’exécution de la prestation ou tâche à accomplir. En outre, le sous-traitant doit assurer une formation à son personnel mis à disposition. Bref, l’entreprise sous-traitante devrait avoir une spécificité qui lui est propre qui justifie que d’autres entreprises font appel à elle.
Du côté de l’entreprise sous-traitance, les salariés mis à disposition doivent être subordonnés juridiquement à la seule autorité de l’entreprise sous-traitante, même s’ils exécutent le travail dans les locaux du donneur d’ordres. A cet effet, l’entreprise sous-traitante devrait détacher avec le personnel d’exécution un personnel auquel elle délègue ses pouvoirs afin qu’il soit l’interlocuteur entre la société donneuse d’ordres et les travailleurs de la sous-traitante. Ce personnel d’encadrement devrait superviser le travail sous-traité, appliquer la discipline, veiller aux règles d’hygiène et de sécurité, sanctionner, le cas échéant, le manquement des ordres… Bref pour appliquer sur les lieux de travail tout ce qui a été prévu dans le contrat conclu entre l’entreprise donneuse d’ordres et l’entreprise preneur d’ordres, ainsi que les règles du droit du travail.
Quant aux droits des travailleurs de la sous-traitance, afin que ceux-ci ne soient pas lésés, il revient au seul législateur d’exiger des entreprises sous-traitantes d’avoir une activité licite qui lui est propre et d’être régies par une convention collective sectorielle ou d’entreprise ou un règlement intérieur où figurent des droits décents aux travailleurs. Sa relation juridique avec ses travailleurs devrait être la même que celle qui régit le reste des entreprises. Et il revient aux inspecteurs du travail de contrôler l’application du droit du travail, voire — dans un premier temps — d’intensifier le contrôle de ce type d’entreprise.
Par ailleurs :
1- On salue le projet de loi qui fait du contrat de travail à durée indéterminée (CDI) la règle et du contrat à durée déterminée (CDD) l’exception.
2- On souhaite vivement que le législateur définisse les concepts clés de la loi. A travers les débats, on a remarqué un amalgame et une incompréhension totale des concepts clés du projet de loi, notamment la partie relative à la sous-traitance.
A.H.S.
(*) Titulaire, entre autres, d’une thèse d’Etat intitulée «Le droit du travail et l’emploi»
16- Sans nier que la majorité des travailleurs de la sous-traitance ont « une paie de misère » sans assurance auprès de la Sécurité sociale ni emploi permanent, certaines entreprises qui font appel à la sous-traitance, — dans des secteurs bien déterminées — veillent à ce que les travailleurs de la sous-traitance soient bien payés et assurés. Il arrive qu’on trouve des gardiens, chauffeurs, femmes de ménage ou autres du personnel de sous-traitance mieux payés que des ingénieurs de certaines sociétés non sous-traitantes.
17- En principe, la prestation de services repose essentiellement sur la compétence et le savoir-faire de l’homme qui accomplit la tâche.
« i) La sous-traitance de spécialité : où l’entreprise principale confie de façon permanente, en général, l’exécution de certaines opérations à un sous-traitant qui possède des machines et un équipement spécialisé, ou qui a mis au point – avec ou sans l’assistance de l’entreprise principale – des techniques spéciales ;
« ii) La sous-traitance d’économie où l’entreprise principale fait appel à un sous-traitant pour certaines opérations de transformation et de fabrication de certains éléments, essentiellement parce que les coûts de production du sous-traitant sont beaucoup plus bas ;
iii) La sous-traitance de complément ou la sous-traitance intermittente à laquelle on recourt périodiquement lorsque la capacité de production est insuffisante pour faire face à un afflux normal de commandes.