
À mi-chemin entre théâtre, photographie et installation, Nicolas Henry tisse des mondes où l’imaginaire s’enracine dans le réel. L’artiste français expose à la Galerie Yosr Ben Ammar, jusqu’au 7 juin 2025, sa série «Arbres de Vie». Rencontre avec un créateur qui fait dialoguer nature et humanité, passé et avenir.
La Presse — Nicolas Henry est un artiste photographe, metteur en scène et plasticien français. Son écriture, très personnelle, se développe à la frontière entre le portrait, le théâtre et l’installation. Il fait jouer des personnages dans des univers oniriques construits par des communautés entières. Ses travaux mixant écriture, photographies, et sculptures ont été exposés dans le monde entier.
Parallèlement à une carrière d’éclairagiste et de scénographe dans le spectacle, il a parcouru le monde en tant que réalisateur pour le projet «6 milliards d’autres» de Yann Arthus-Bertrand, il en a assuré la direction artistique lors de l’exposition au grand Palais à Paris. Il sort en 2016 un livre sur les communautés «Contes imaginaires autour du monde–World’s in the making» aux Editions Albin Michel, qui fait suite à sa série de portraits des ancêtres du monde entier. «Les cabanes de nos grands-parents», mélangeant installations plastiques et portraits photographiques, lui vaut le prix Méditerranée du livre d’art 2017.
L’artiste expose, jusqu’au 7 juin 2025, à la Galerie Yosr Ben Ammar sa série de photographies «Arbres de Vie», fruit de son séjour à El Mansoura, dans la région de Kesra où il est allé à la rencontre de ses habitants et de ses arbres millénaires. Hommes et femmes se sont prêtés au jeu de la mise en scène, embarqués dans une aventure créative inédite. Réunissant des objets de tous horizons qui ont servi de décors, ils ont contribué à la création d’installations théâtrales qui donnent l’illusion d’être des peintures. Nous avons discuté un peu avec Nicolas Henry autour de son œuvre. Interview
Parlez-nous un peu de votre approche artistique
Mon travail se construit principalement autour de l’idée de réunir des gens, de les interviewer sur ce qu’ils ont envie de dire et d’illustrer cela en mettant en scène comme une sorte de théâtre un peu figuratif fait avec leurs objets. Cela donne lieu à des installations figuratives et symbolistes qui intègrent des récits de vies.
Comment s’est construite l’exposition «Arbres de vie»?
Cette exposition fait partie d’un projet éponyme entamé il y a 3 ans et qui se présente sur plusieurs chapitres. Il y a eu un chapitre qui s’est déroulé au Tchad et au Sénégal sur des acacias, des baobabs et des balanites. L’idée est de montrer comment les gens exploitent les arbres sauvages et comment ils en tirent des vertus pour l’humanité. Le chapitre tunisien s’est articulé autour des oliviers, des caroubiers et des figuiers de barbarie, des arbres millénaires que j’ai découverts lors de mon séjour l’été dernier à El Mansoura dans la région de Kesra. C’est une région magnifique et authentique car préservée du tourisme. Certains des arbres rencontrés ont plus de 2000 ans, des oliviers fascinants qui ont poussé depuis tant d’années et qui continuent à nourrir des familles.
Je me suis rendu dans une coopérative nommée «Herbes de Tunisie» où j’ai été accueilli par les familles. J’ai fait mes repérages autour de ces arbres et j’ai travaillé autour de la dualité tradition/modernité. En effet ce qui est incroyable dans ces régions c’est que les gens ont gardé un mode de vie qui vient du passé : ils récoltent les olives à la main dans de grands filets, ce qui est magnifique, et en même temps ils usent de grandes technologie pour extraire par exemple des antioxydants, etc. La nature demeure pour eux une source de vie extraordinaire et c’est ce rapport avec la nature que je voulais souligner. D’ailleurs dans la série que j’expose on retrouve des photos prises en pleine nature et une ou deux autres dans une usine. Ce que je trouve magnifique c’est que dans cette région les gens ont pris soin pendant des milliers d’années de ces arbres qui le leur rendent bien.

Comment élaborez-vous vos mises en scène photographiques?
D’abord je fais du repérage en discutant avec les habitants. Je prépare ensuite mes esquisses de décors autour des personnes que j’ai choisi de photographier. L’idée est d’aboutir à une image qui nous envoie vers un monde imaginaire et différent. Ce ne sont pas des photos prises à main levée mais des photos qui sont construites durant plusieurs heures de travail, de conception et de bricolage pour créer un récit figuratif.
Votre œuvre est très plastique. On y rencontre, entre autres, de très beaux clairs-obscurs et autres effets lumineux très maîtrisés. On sent l’empreinte de l’éclairagiste de formation
J’ai une technique assez particulière, je mélange mon matériel lumière du jour avec le travail en studio, comme on a un studio de photographie de mode et de publicité. Cela me permet de maîtriser complètement mes effets lumineux. J’aborde mes photos comme une peinture et j’utilise énormément de rapports de plans et comme je mets beaucoup de lumière dans mes images ça me permet d’avoir une profondeur de netteté très grande.
L’idée est aussi d’installer ça avec les habitants et les gens que vous photographiez
Oui, ce sont les gens du coin qui m’ont aidé et cela me permet de passer plus de temps avec eux, de me rapprocher d’eux, de mieux les comprendre. L’idée est de partager l’autorité avec mon modèle : je prends en photo des gens avec qui je passe du temps et j’essaye d’intégrer leurs vies, leurs problématiques. On fabrique ensemble l’image.
Peut-on dire que votre travail est social et écologique ?
En quelque sorte oui. Dans mon travail je parle de la nature, de la colonisation, de grandes questions de la vie, des hommes et des femmes, de l’amour et des différences. Je traite les choses non d’une manière politique mais d’une manière humaniste avec des principes simples pour déconstruire justement ce que crée la politique en termes de choses séparatrices.
Vous préparez actuellement votre festival «Photoclimat» qui, justement, s’inscrit directement dans cette démarche
Oui! D’ailleurs je suis en train de préparer une installation monumentale à la Place de la Concorde qui y restera durant tout le mois de septembre. Il s’agit d’une biennale environnementale et sociale gratuite qui se tient pendant un mois au cœur de Paris et de son agglomération. On y crée des liens entre l’art, la sphère associative et les experts en questionnant les grands enjeux sociétaux à travers la création. La série tunisienne «Arbres de vie» y sera d’ailleurs exposée du 12 septembre au 12 octobre 2025.