Accueil A la une Cœur et sexualité : les deux faces cachées du drame tabagique en Tunisie

Cœur et sexualité : les deux faces cachées du drame tabagique en Tunisie

À l’approche de la Journée mondiale sans tabac, la plateforme médicale Med.tn a réuni deux éminents spécialistes tunisiens pour une table ronde intitulée “Distinguer le vrai du faux”, le 28 mai 2025 à Tunis. Il s’agit du cardiologue Dhaker Lahidheb et du Dr Anas Laouini, sexologue et psychothérapeute. Ils ont décrypté sans concession les méfaits du tabagisme. Entre chiffres alarmants et solutions concrètes, leur dialogue croisé a révélé l’ampleur d’un fléau qui dépasse largement la simple question de santé publique.

Près d’un tiers des adultes fument régulièrement

Dhaker Lahidheb a dressé un tableau alarmant de la situation du tabagisme en Tunisie. Son intervention exhaustive a mis en lumière des statistiques préoccupantes, des risques sanitaires majeurs et des pistes de solution qui peinent encore à être mises en œuvre.
La Tunisie occupe une position particulièrement inquiétante dans le classement mondial de la consommation tabagique, se hissant à la 26e place pour le nombre de cigarettes fumées par habitant. Les dernières études épidémiologiques révèlent qu’entre 30 % et 35 % de la population adulte tunisienne consomme régulièrement des produits du tabac, un taux nettement supérieur à la moyenne régionale. Cette prévalence place le pays devant ses voisins maghrébins, une situation que le Dr Lahidheb attribue en partie à un meilleur système de recueil de données sanitaires.
Parmi les tendances les plus préoccupantes figure l’augmentation du tabagisme féminin, qui atteint désormais 1,7 % à 1,8 % de la population, soit le taux le plus élevé de la région. Les jeunes Tunisiens constituent une autre catégorie particulièrement vulnérable, avec des chiffres de consommation en constante progression depuis plusieurs années. Ces statistiques traduisent une urgence de santé publique qui nécessite une réponse immédiate et coordonnée.
Sur le plan médical, les conséquences de cette addiction massive sont dévastatrices. Le Dr Lahidheb, en sa qualité de cardiologue, a particulièrement insisté sur l’explosion des maladies cardiovasculaires directement liées au tabagisme. Mais les risques ne se limitent pas à cette spécialité : cancers bronchopulmonaires, pathologies respiratoires chroniques et nombreuses autres affections trouvent dans la cigarette un facteur aggravant majeur. Chaque année, des milliers de Tunisiens paient de leur vie cette dépendance, tandis que beaucoup d’autres voient leur qualité de vie gravement altérée.

Un défi entre moyens insuffisants et besoins urgents

Face à ce constat accablant, des solutions existent pourtant. Le Dr Lahidheb a longuement développé les différentes approches thérapeutiques permettant d’accompagner les fumeurs vers le sevrage. Les thérapies comportementales, et notamment la psychothérapie, constituent selon lui une pierre angulaire de la prise en charge. Les médecines alternatives comme l’acupuncture ont également démontré leur efficacité dans certains cas. Quant aux substituts nicotiniques traditionnels (patchs, gommes à mâcher), ils restent des outils précieux lorsqu’ils sont correctement utilisés.
Cependant, l’accès à ces différentes solutions de sevrage reste problématique en Tunisie. Le manque de structures spécialisées, le coût élevé des substituts nicotiniques et l’absence de remboursement par le système de santé publique constituent autant d’obstacles qui privent de nombreux fumeurs d’une aide pourtant cruciale.
La question des nouveaux produits du tabac, comme la cigarette électronique ou le tabac chauffé, a fait l’objet d’une mise au point rigoureuse. Si ces dispositifs peuvent, dans certains cas très spécifiques, servir d’outil de transition vers l’arrêt complet, le cardiologue a mis en garde contre leur banalisation et leur marketing agressif ciblant les jeunes. “Ces produits ne doivent en aucun cas être considérés comme inoffensifs, ni devenir une porte d’entrée vers le tabagisme”, a-t-il martelé.
Un chapitre particulièrement poignant de l’intervention a été consacré aux victimes collatérales du tabagisme. Le Dr Lahidheb a rappelé qu’au niveau mondial, le tabagisme passif est responsable de près de 1,4 million de décès prématurés chaque année. En Tunisie, nombreuses sont les femmes et les enfants qui subissent au quotidien les effets délétères de la fumée des autres, particulièrement dans les espaces confinés. Les données scientifiques montrent que ces “fumeurs involontaires” présentent des risques sanitaires presque équivalents aux consommateurs actifs.
Il a lancé un appel solennel aux autorités sanitaires et à la société civile tunisienne. Il a plaidé pour le renforcement des campagnes de prévention, la mise en place de politiques de prix dissuasives, l’interdiction totale de la publicité pour les produits du tabac et surtout un meilleur accès aux solutions de sevrage. “Le temps des constats est révolu, a-t-il déclaré. Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, ce sont des actions concrètes, coordonnées et financées à la hauteur de l’enjeu de santé publique que représente le tabagisme”.

Le tabac, une maladie psychologique

De son côté, le Dr Anas Laouini, sexologue clinicien et psychothérapeute cognitivo-comportemental, a lancé un cri d’alarme sur les conséquences sanitaires et psychologiques dévastatrices de la cigarette. Il a insisté sur la nécessité d’une mobilisation collective pour lutter contre cette addiction, qualifiée de maladie chronique nécessitant une prise en charge médicale et psychologique adaptée.
Le Dr Laouini a rappelé que le tabagisme est avant tout une dépendance, une maladie psychologique qui exige un accompagnement par des professionnels de santé. Il a expliqué qu’un fumeur est un patient comme un autre, qui doit pouvoir compter sur l’aide de médecins, psychologues ou psychothérapeutes pour sortir de cette spirale. Parmi les effets les plus préoccupants, il a évoqué les troubles de l’érection, directement liés à la consommation de tabac. Selon lui, près de 35 % des fumeurs souffriraient de dysfonction érectile, un problème qui affecte non seulement la santé physique, mais aussi l’équilibre psychologique et la qualité des relations intimes.
Pour le spécialiste, la lutte contre le tabagisme ne peut se limiter à des initiatives individuelles. Il a plaidé pour une approche globale, impliquant les autorités publiques, les éducateurs et les familles. L’éducation et la prévention doivent commencer dès le plus jeune âge, dès l’école primaire et le collège, avec un contrôle renforcé pour empêcher la vente de cigarettes aux mineurs. Il a également souligné l’importance de créer des espaces non-fumeurs, notamment aux abords des établissements scolaires, afin de réduire l’exposition des jeunes à la tentation du tabac.
Le rôle des parents a aussi été mis en avant. Le Dr Laouini a averti que les enfants exposés au tabagisme passif sont plus susceptibles de devenir fumeurs à leur tour, reproduisant le comportement de leurs parents. Il a appelé à une prise de conscience collective pour protéger les nouvelles générations.
Finalement et non moins important, le sexologue a critiqué la normalisation du tabac dans les médias, dénonçant l’impact des films et séries qui montrent des personnages fumer de manière glamour, influençant ainsi négativement les jeunes spectateurs. Il a demandé une régulation plus stricte pour limiter cette exposition.
Il a rappelé que le tabagisme est un fléau aux conséquences multiples, tant sur la santé individuelle que sur la société dans son ensemble. Il a appelé à une action coordonnée, associant prévention, éducation et encadrement légal, pour inverser la tendance et protéger les futures générations.
Le Dr Anas Laouini, expert reconnu en sexologie et thérapie cognitivo-comportementale, intervient régulièrement sur des questions de santé publique, notamment les addictions et leurs impacts psychosociaux. Son plaidoyer pour une approche globale de la lutte contre le tabagisme souligne l’urgence d’agir à tous les niveaux.

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