
La fiscalité environnementale s’impose progressivement comme un levier stratégique aussi bien à l’échelle mondiale que nationale. En effet, face à des défis environnementaux de plus en plus pressants, la Tunisie s’est engagée dans la voie d’une fiscalité environnementale qui pourrait transformer en profondeur son économie et son avenir écologique. Le pays, déjà vulnérable aux effets du changement climatique, cherche à aligner ses pratiques économiques sur les exigences du développement durable et à renforcer sa compétitivité internationale.
La Presse —La fiscalité environnementale, en tant que levier stratégique, apparaît comme un outil incontournable pour atteindre plusieurs objectifs. Le principe fondamental sur lequel repose cette fiscalité est celui de «pollueur-payeur». Ce concept, formulé par l’économiste Arthur Pigou au début du XXe siècle, est devenu une référence mondiale. Il stipule que «ceux qui causent des dommages à l’environnement doivent en assumer les coûts», incitant ainsi à des comportements plus responsables. En Tunisie, bien que l’application de ce principe soit encore embryonnaire, des pas significatifs ont été faits ces dernières années pour intégrer des taxes écologiques et des prélèvements environnementaux dans les politiques publiques.
Dispositif de régulation environnementale
Ces dernières années, les lois de finances ont accordé une attention particulière à la taxation, en la mobilisant comme levier pour promouvoir la croissance verte et soutenir une économie écologique. La prise en compte de la question environnementale dans les politiques de développement en Tunisie remonte aux années 70, en parallèle avec l’émergence de cette dimension à l’échelle planétaire. Depuis, le cadre institutionnel de la protection de l’environnement a beaucoup évolué, et le dispositif juridique environnemental mis en place a été consolidé, notamment, en ce qui concerne l’encouragement à la dépollution industrielle.
Ces dernières années et en raison de l’exacerbation des effets dommageables du changement climatique, les pouvoirs publics ont intensifié l’intégration de la dimension écologique dans leurs stratégies de développement nationales et sectorielles. La fiscalité a fait partie de ce dispositif de régulation environnementale. D’après une étude sur la promotion de la fiscalité environnementale en Tunisie, élaborée par l’Institut Tunisien de la Compétitivité et des Etudes Quantitatives (Itceq), «les instruments fiscaux liés à l’environnement sont répartis sur plusieurs textes juridiques, en fonction de leurs objectifs sectoriels. Parmi ces instruments figurent la taxe pour la protection de l’environnement créée en 2003 et considérée comme la première consécration de l’écofiscalité dans la réglementation tunisienne, la taxe applicable à la première immatriculation des véhicules instituée en 2006 et dont les recettes fiscales sont affectées au fonds de la transition énergétique (avec un rendement de 19,8 MDT en 2023)».
Ceci outre la taxe due sur les produits énergétiques consommés mise en place en 2014 pour alimenter le fonds de transition énergétique, la taxe due à l’importation de moteurs et de pièces de rechange usagés instaurée en 2014 sur une liste spécifique de produits affectée aussi au fonds de la transition énergétique. Par ailleurs, des instruments incitatifs ont été mis en œuvre, dont les principales mesures fiscales visent à promouvoir l’économie verte, bleue, circulaire, ainsi que le développement durable. L’Etat a mis en place aussi d’autres mesures relatives à l’exonération des droits de douane pour l’importation des équipements nécessaires aux investissements dans la lutte contre la pollution et la protection de l’environnement, à condition qu’ils n’aient pas d’équivalents fabriqués localement, la réduction de la TVA applicable à l’importation des panneaux solaires, la réduction des droits de douane pour l’importation des équipements de recharge des véhicules électriques, ainsi que de la TVA pour l’année 2023.
Quête de maturation
L’étude montre que la Tunisie a enregistré une tendance haussière des recettes fiscales liées aux taxes environnementales, passant de 517 MDT en 2000 à 1771 MDT en 2021, soit un taux d’accroissement global de 243%. Les taxes environnementales se sont élevées à 1,4% du PIB en moyenne sur la période 2000-2021. « Quant à la part de ces taxes par rapport au total des recettes fiscales, elle s’est fléchie durant la même période avec de légers rattrapages en 2010 et entre 2015-2018 qui n’ont pas perduré, pour atteindre 4,2% en 2021 contre 7,2% en 2000 et une moyenne de 5,2% sur toute la période».
Par ailleurs, les dépenses fiscales en faveur de l’environnement, de la maîtrise de l’énergie et des énergies renouvelables sont faibles en Tunisie malgré l’importance relative des incitations offertes. «Elles se sont seulement élevées à 25,3 MDT en 2022. Cette faiblesse pourrait être expliquée par l’atonie des investissements à finalité environnementale eux-mêmes. La contrainte budgétaire observée durant les dernières années ne semble pas jouer un rôle dans cette dynamique. C’est plutôt l’opportunité économique qui expliquerait essentiellement la faiblesse du volume des incitations fiscales dédiées à la protection de l’environnement en Tunisie». En tout état de cause, «le manque d’investissement à vocation environnementale n’a pas favorisé la compétitivité durable de la Tunisie. Ces facteurs expliquent que la fiscalité environnementale est encore en quête de maturation».
Enjeux
Si les économistes s’accordent sur l’importance de la fiscalité environnementale en tant qu’instrument de correction, mais aussi d’inflexion des comportements qui altèrent l’environnement, «les pouvoirs publics cherchent encore les instruments appropriés à sa mise en œuvre pour atteindre les objectifs écologiques ciblés». C’est dire que l’instrument fiscal tunisien, visant à allier l’aspect environnemental à ceux économique et social, «fait face dans sa situation actuelle à des enjeux d’ordre institutionnel, politique et économique, auxquels il doit répondre». Selon la même source, «les taxes en vigueur ne répondent que peu au principe de pollueur-payeur, ce qui n’aide pas à répondre aux externalités négatives environnementales à travers des signaux-prix corrects.
Cela est illustré par l’étendue des subventions aux produits énergétiques fossiles avec ses effets contreproductifs au double plan financier et environnemental». Par ailleurs, l’introduction du «Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontière-MACF-» représente un risque majeur pour la compétitivité des entreprises tunisiennes auquel elles seront confrontées dans leurs opérations d’exportation vers l’UE à partir de 2026, indique l’étude. «Ce mécanisme ne couvre que six produits exportés seulement : le ciment, l’aluminium, les engrais, la production d’énergie électrique, le fer et l’acier, et l’hydrogène. «La Tunisie, qui tarde encore à taxer, convenablement, l’empreinte carbone au niveau national, serait exposée de plein fouet à la concurrence des pays où une taxe carbone est effectivement appliquée».