
La bonne nouvelle, c’est que Caméra arabe, le documentaire de Férid Boughedir, revient dans une version restaurée en 4K. L’autre bonne nouvelle — et elle est de taille —, c’est que ce film tunisien porteur d’un témoignage précieux a été sélectionné officiellement au prestigieux festival Il Cinema Ritrovato de Bologne, dans sa 39e édition (21–29 juin 2025), consacrée aux chefs-d’œuvre retrouvés du patrimoine mondial. Une première mondiale.
Ce retour en lumière n’a pourtant pas été sans obstacle. Alors que son pendant africain, Caméra d’Afrique (1983), avait été accueilli à bras ouverts à Cannes Classics en 2019, Caméra arabe a longtemps peiné à trouver un écran à la hauteur de son message. Restauré depuis 2024, il a été écarté, sans explication officielle, des circuits habituels des festivals de classiques restaurés.
En cause, une séquence clé du film : celle du long-métrage Kafr Kassem de Borhane Alaoui, montrant l’armée sioniste ouvrant le feu sur des paysannes palestiniennes désarmées.
Sorti en 1987 et sélectionné à Cannes, Caméra arabe est plus qu’un simple documentaire. C’est une déclaration d’amour — et de résistance — au cinéma arabe engagé né après la guerre des Six-Jours. Un cinéma d’auteur critique, souvent autoproduit, venu bousculer le monopole du cinéma égyptien commercial.
Boughdir y dresse une cartographie passionnée de cette «nouvelle vague» arabe à travers des extraits puissants et des témoignages rares de ses figures phares : Youssef Chahine, Omar Amiralay, Michel Khleifi, Abdellatif Ben Ammar, Borhane Alaouié, pour ne citer qu’eux.
Le montage, signé par feu Moufida Tlatli — encore monteuse avant de devenir la première réalisatrice tunisienne — donne au film un rythme audacieux, à la fois analytique et profondément incarné. Mais c’est sans doute ce que le film ose montrer qui en a freiné la diffusion. Boughdir lui-même s’interroge : la présence de la séquence du massacre de Kafr Kassem, commis en 1956 et reconstitué dans le film éponyme du cinéaste libanais, serait-elle devenue «gênante» dans le contexte géopolitique actuel ?
Une hypothèse d’autant plus crédible que le réalisateur tunisien avait, en 2024, placé la Palestine au cœur des Journées cinématographiques de Carthage (JCC) qu’il présidait, consacrant une section entière au cinéma palestinien, comme un acte de fidélité à ses convictions historiques.
C’est donc l’Italie qui brise le silence. Grâce à Gian Luca Farinelli, président de la Cinémathèque de Bologne et directeur du Cinema Ritrovato, Caméra arabe trouve enfin une scène à sa mesure.
Caméra arabe sera projeté dans la section “Documentaires retrouvés” le 24 juin, présenté par Férid Boughedir. Il rejoindra ainsi deux autres films tunisiens restaurés — L’Homme de cendres de Nouri Bouzid et La Noce du Nouveau Théâtre — à l’affiche à Bologne, preuve de la vitalité du patrimoine cinématographique tunisien.
On croit savoir également que la version restaurée du film est attendue à Tunis en décembre prochain lors de la 35e édition des JCC, sous la direction de Tarak Ben Chaabane. Une restitution naturelle.