
La Presse — Ingénieure en génie des procédés et docteure en chimie, chercheuse, experte académique de renommée mondiale en dégustation, Mariem Gharsallaoui consacre sa carrière à la valorisation de l’huile d’olive tunisienne, à travers la recherche scientifique, l’enseignement, l’expertise sensorielle. Reconnue à l’échelle internationale, elle nous livre dans cet entretien une analyse approfondie de la filière oléicole tunisienne : ses atouts uniques, ses défis marketing, son rayonnement croissant à l’échelle internationale, mais aussi son potentiel encore sous-exploité en matière de consommation locale. L’échange est plus que passionnant avec une femme engagée entre science, culture, us et coutumes et vision d’avenir.
Qu’est-ce qui vous a motivée à vous engager dans ce domaine ?
Il y a toujours un lien, une histoire avec l’olivier. Nos aïeux étaient, en grand majorité, des oléiculteurs. Cela s’apparente au lien filial qui unit l’olivier aux Tunisiens. Quand j’ai entamé ma carrière professionnelle dans le domaine de la rechercher scientifique, j’avais plutôt d’autres ambitions qui touchent le secteur du pétrole ou les industries lourdes, mais, Dieu merci, le destin en a voulu autrement. Ce fut pour moi le début d’une passionnante histoire d’amour. La passion a pris, en toute logique, le dessus sur le devoir de la profession.
Ce secteur revêt une importance stratégique majeure, car il génère des retombées environnementales positives, tout en jouant un rôle déterminant dans la croissance économique et le développement durable du pays.
Quels sont, selon vous, les atouts spécifiques de l’huile d’olive tunisienne en termes de qualité, de bienfaits nutritionnels et de variétés locales ? Notre patrimoine génétique est-il suffisamment valorisé ?
La Tunisie, berceau ancestral de l’olivier au cœur du bassin méditerranéen, possède un patrimoine oléicole inégalable, transmis de génération en génération. La présence de l’olivier sur le sol tunisien remonte à des temps immémoriaux, témoignant ainsi d’un enracinement profond dans l’histoire et la culture de notre pays.
Cet arbre emblématique, symbole de résilience, a su traverser les siècles en résistant aux aléas climatiques les plus rudes, notamment aux longues périodes de sécheresse qui caractérisent des régions arides comme celle de Sfax. Ainsi, l’olivier tunisien s’illustre par une capacité d’adaptation remarquable aux conditions environnementales extrêmes, ce qui en fait un pilier de l’agriculture nationale.
Ce qui confère à l’huile d’olive tunisienne son excellence, c’est avant tout la richesse de son patrimoine génétique. Les variétés autochtones, parfaitement acclimatées au terroir, produisent une huile d’une qualité exceptionnelle, reconnue parmi les meilleures au monde. Cette diversité variétale, associée à des méthodes de culture ancestrales et respectueuses de la nature, donne à notre huile une signature unique, à la fois authentique et naturelle.
Notre huile s’apparente à cette invitée à un mariage qui se démarque de par sa beauté naturelle des autres invitées fardées. C’est cette singularité, héritée de siècles de savoir-faire et de sélection naturelle, qui distingue notre huile d’olive de toutes les autres huiles produites ailleurs dans le monde. Par conséquent, elle incarne la pureté, la tradition et la richesse d’un terroir qui continue de faire rayonner la Tunisie à l’international.
Comment la filière tunisienne a-t-elle évolué ces dernières années, notamment en termes de procédés d’extraction, de qualité, de reconnaissance internationale et de perception par les consommateurs ?
On peut parler d’une évolution très rapide, d’un virage durant ces huit dernières années, et ce grâce en particulier au secteur privé, ses multiples efforts, le suivi des nouvelles technologies dans le secteur oléicole et l’innovation. Cela a d’ailleurs conduit à une nette croissance de l’exportation d’huile d’olive viergeextra.
Nos exportateurs sont montés en gamme grâce de nouvelles méthodes de conservation et de stockage de l’huile d’olive. Mais, il est vrai que le maillon faible demeure le marketing, en dépit de l’ouverture sur d’autres marchés, comme le Japon, la Malaisie, la Chine, les Etats Unis, le Canada, le Brésil, les pays du Golfe, qui sont des marchés et prometteurs où notre produit est vendu à des prix élevés.
Toutefois, au-delà de cet acquis, il y a un autre atout plus important et plus marquant. On connaît de plus en plus la Tunisie à travers son huile d’olive. Notre pays est de plus en plus reconnu à l’échelle internationale grâce à la qualité exceptionnelle de son huile d’olive.
L’huile d’olive tunisienne est encore majoritairement exportée en vrac. Que faut-il faire pour mieux la valoriser à l’international tout en stimulant la consommation locale, en particulier celle de l’huile d’olive de qualité ?
Certes, une grande partie de notre huile d’olive est encore exportée en vrac, ce qui peut être perçu comme une faiblesse, mais ce n’est en aucun cas un handicap. Bien que nous n’ayons pas encore atteint l’objectif fixé de 20 % d’exportations sous forme conditionnée, cette situation s’explique principalement par les exigences spécifiques de nos principaux marchés.
En effet, la majorité de nos clients préfèrent importer l’huile en vrac afin d’en assurer eux-mêmes le conditionnement et l’emballage, selon leurs standards commerciaux et les besoins de revente. Cette logique commerciale diffère de celle adoptée par des pays comme le Japon, la Chine, les États-Unis ou le Canada, qui sont plus enclins à importer des produits finis.
Parmi nos partenaires commerciaux, l’Espagne se positionne comme notre premier client, suivie de près par l’Italie. Ces deux nations absorbent plus de la moitié de la production tunisienne d’huile d’olive. Il est évident que dans ce contexte, l’exportation d’huile conditionnée vers ces deux pays reste très limitée, voire difficilement envisageable.
Cela étant dit, la vente en vrac ne doit pas être considérée comme un handicap. En fait, elle contribue significativement au développement de l’économie nationale, en générant des recettes en devises et en favorisant l’employabilité dans le secteur oléicole. Cependant, il est impératif de travailler à rétablir un équilibre stratégique entre les exportations en vrac et celles d’huile d’olive conditionnée, notamment extravierge, afin de valoriser davantage le produit tunisien sur les marchés internationaux et laisser notre empreinte.
Pour corriger cette situation, un travail de fond s’impose sur le plan marketing. Il est indispensable d’impliquer activement le secteur touristique dans la mise en valeur de ce patrimoine naturel d’exception. La visibilité de l’huile d’olive tunisienne doit être renforcée dans les hôtels, les restaurants et les établissements touristiques fréquentés par les visiteurs étrangers. Ce contact direct avec le produit, dans un cadre authentique, représente une opportunité précieuse pour renforcer sa notoriété.
Car il faut bien l’admettre : un produit mal promu localement aura peu de chance de percer à l’échelle internationale. La réussite passe d’abord par une valorisation nationale cohérente, appuyée par une stratégie de communication efficace et intégrée. A ce titre, et au risque de choquer le lecteur, on est un pays producteur d’huile d’olive, mais on n’est pas un pays consommateur.
La Tunisie est considérée comme le deuxième pays producteur mondial d’huile d’olive, mais rien n’indique cette excellente performance sur le plan national. On ne consomme que 2,5kg d’huile d’olive par habitant par an, alors que le citoyen grec consomme 25 kg par an. Le Marocain consomme 5kg d’huile d’olive/habitant/citoyen. A ce titre, on insiste sur le fait que le Tunisien doit s’habituer à la consommation d’huile d’olive. D’autant qu’on s’attend à une production élevée l’année prochaine.
La compétitivité de notre filière est-elle freinée par des obstacles techniques, structurels ou commerciaux ?
Il faut dire que sur le plan technique, la filière ne fait pas face à des problèmes d’ordre technique. La Tunisie jouit de meilleures compétences dans le domaine oléicole et des meilleurs systèmes d’extraction d’huile d’olive. Il faut reconnaître la persistance de problèmes d’ordre commercial. Ils sont principalement inhérents à la question du marketing.
Comment interprétez-vous le succès du concours Carthage International Olive Oîl ?
Parmi les outils marketing permettant de valoriser un produit, la participation à de grands concours internationaux joue un rôle primordial. Elle offre l’opportunité de démontrer aux experts et aux jurys la qualité d’une huile d’olive digne de distinction. C’est dans cette optique qu’a été lancé le tout premier Carthage International Olive Oil Competition (Carthage Iooc).
Le succès de cette première édition est le fruit de l’engagement et des efforts considérables déployés par l’ensemble de l’équipe organisatrice. Le choix du nom «Carthage», ainsi que l’intégration de l’image d’Hannibal dans le logo, ont eu un fort impact. De plus, cette édition inaugurale a été marquée par la gratuité de la participation pour les juges de renommée internationale, et ce dans le but de garantir des conditions optimales d’évaluation et d’assurer une impartialité totale durant le concours
Dès sa première édition, le Carthage International Olive Oil Competition a été reconnu comme l’un des concours les plus prestigieux au monde, intégrant officiellement le classement Evoo World Ranking. Il devient ainsi le premier concours africain à y figurer. C’est une reconnaissance majeure pour la filière oléicole de la région.
En d’autres termes, le Carthage Iooc, qui se déroule dans le cadre du salon Ifsa Africa, est désormais reconnu comme un concours de référence pour la qualité de l’huile d’olive extravierge à l’échelle mondiale. Cette reconnaissance souligne la qualité de l’organisation du concours et le niveau de la production d’huile d’olive en Tunisie, consolidant ainsi la position de la Tunisie dans l’industrie oléicole mondiale.
C’est une étape historique pour la Tunisie et pour l’Afrique qui met en lumière l’excellence de l’huile d’olive tunisienne et la qualité de l’organisation du concours. Il est à souligner que plus de 13 juges ont pris part à cet évènement, dont plusieurs ont confié qu’ils visitaient la Tunisie pour la première fois. A leur retour, ils étaient impressionnés par notre pays, son climat, ses habitants et bien évidemment par l’huile d’olive tunisienne. Désormais, notre pays est cité comme un excellent exemple, un pays dont l’histoire est liée à l’olivier.
Il est à souligner que la deuxième édition du Concours international d’huile d’olive de Carthage se déroulera du 9 au 11 juillet 2025. Elle ne sera pas gratuite comme la première, mais on s’attend à une plus grande participation d’environ 200 compétiteurs de 14 nationalités. Il y aura les Grecs, les Italiens, les Espagnols, les Turcs, les Algériens, les Marocains, les Saoudiens, les Egyptiens et même de l’Afrique du sud … et bien sur des Tunisiens.
Quel regard portez-vous sur l’implication des jeunes chercheurs dans le domaine oléicole ? Et pour conclure, quel message aimeriez-vous adresser aux acteurs du secteur est aux consommateurs.
Il faut dire que sur le plan de la recherche, les moyens sont limités. La confiance, la coopération, l’entraide, l’échange d’informations doivent primer sur le plan relationnel. Il faut se liguer pour conquérir d’autres marchés et mettre en place un parapluie tunisien susceptible de réunir tous les labels. La réussite ne peut être individuelle, elle est globale.
J’appelle le Tunisien à consommer l’huile d’olive, même si parfois elle est au-dessus de son pouvoir d’achat. Elle est bénéfique pour la santé et peut prévenir certaines maladies comme l’Alzheimer. L’huile extravierge aide aussi à réguler la glycémie, la tension artérielle. En consommant une huile tunisienne de bonne qualité, nous préservons notre santé et nous participons indirectement au développement de l’économie de notre pays.
Il est primordial aujourd’hui de revitaliser les traditions de l’huile d’olive tunisienne, en mettant en avant ses anciens usages médicinaux et cosmétiques.