
Derrière les barreaux, les cris étouffés des animaux photographiés par Pol Guillard se lisent dans leurs regards… À travers des photographies, des illustrations et des sculptures, « Murmures Zootopiques » est une invitation à la réflexion qui place la cause animale au cœur de la création artistique.
La Presse —La Bibliothèque Verte vient de rouvrir ses portes dimanche dernier après une année de travaux de rénovation. Située dans la partie haute du parc du Belvédère et soutenue par l’Association des Amis du Belvédère, elle abrite actuellement une exposition collective de trois artistes. À travers des photographies, des illustrations et des sculptures, «Murmures Zootopiques» est une invitation à la réflexion qui place la cause animale au cœur de la création artistique.
«Les Incarcérés », série de photographies de Pol Guillard
Derrière les barreaux, les cris étouffés des animaux photographiés par Pol Guillard se lisent dans leurs regards. D’origine belge et résident en Tunisie depuis 2006, il travaille dans le domaine de l’architecture-décoration et la reproduction d’œuvres d’arts. Nous l’avons rencontré lors du vernissage de l’exposition et il nous a confié qu’il a toujours été impressionné par le parc du Belvédère.
Cependant, il tient à dénoncer le mal-être des animaux en captivité. « Même si le zoo est utile pour son rôle éducatif, j’ai toujours trouvé que c’est un milieu carcéral pour ces animaux. J’ai donc essayé de faire réfléchir les gens dans l’espoir de changer la réalité de ces êtres en souffrance».
Dans la série de photographies de Pol Guillard, les clichés ont été réalisés de près. Le regard du singe derrière le grillage nous interpelle avec le commentaire de l’artiste «J’ai fait quoi au juste ?». Une autre œuvre montre un couple de singes avec la mention «Au moins on est deux». Le léopard, réduit à l’immobilité dans sa cage étroite, se demande «Courir, qu’est-ce que c’est ?».
Son regard traverse les barreaux mieux que ses pattes ne le peuvent. Dans les quelques mètres de sa prison, le lion affiche un regard fatigué qu’on n’ose soutenir. «Le roi est en prison», comme indiqué sous la photographie. Le tigre qui « rêve de forêts», l’ours «fou… ou déjà mort ?», le phoque pris dans une spirale «Manger, dormir, nager, manger…» et bien d’autres animaux sauvages implorent silencieusement avec des yeux qui donnent à voir ce que la vie en cage leur inflige.
«Je déploie ma sensibilité de photographe pour créer une prise de conscience qui pourrait être un pas vers le changement des conditions de vie de ces êtres», conclut Pol Guillard.
Les sculptures fantaisistes de Bader Klidi
Dans la pureté du noir, les formes animales représentées par Bader Klidi prennent une présence saisissante. Cette couleur qui uniformise ses travaux souligne la force et la mystique des figures sculptées. Une dimension fantastique et surréaliste est apportée aux animaux avec les ornements dorés.
«J’expose ici une partie de mon projet «Terrafauna», un terme emprunté à terracotta. Ce sont des sculptures qui représentent toutes des animaux et qui ont été réalisées en collaboration avec le Centre National de la Céramique d’Art», nous a expliqué Bader Klidi. «Je défends la connexion entre la nature et l’être humain.
Le retour à la nature est un élément central dans mes sculptures. Je montre des animaux dans un monde fantastique, dans un état jovial, mais je tiens aussi à rappeler notre responsabilité envers la nature. Nous partageons la terre avec d’autres espèces». Les œuvres de Bader Klidi sont ainsi un plaidoyer visuel en faveur du respect et de la protection de la faune sauvage comme des animaux de compagnie.
En effet, une tête de rhinocéros est juxtaposée à la sculpture d’un petit chien en taille réelle. En face, un aigle déployant ses ailes est accroché au mur. «J’aimerais bien aller au-delà de ce qu’on montre», poursuit l’artiste. «Même si on ne propose pas de solutions, c’est un lieu d’échange, une invitation à la réflexion pour se remettre en question par rapport à notre relation avec les animaux».
Les illustrations de Nesrine Elamine
Parmi les œuvres marquantes, «La mer vue du ciel» est une série de tableaux où des collages sur toile avec des illustrations restituent un équilibre fragile et redonnent à la nature sa complexité et sa beauté..Poissons, pieuvres, méduses, oiseaux marins et végétations,un univers naturel où chaque espèce a encore sa place est recréé entre précision scientifique et sensibilité artistique.
On y voit des poissons qui nous sont familiers et dont on croit tout savoir, comme le loup et la sardine, avec, à côté, un canard siffleur, un martin-pêcheur, un guêpier d’Europe.. Une autre toile évoque des vignes et des raisins avec l’écosystème qui leur est apparenté. Dans tous ces tableaux, les espèces représentées sont nommées ou même commentées. On apprend, à titre d’exemple, que la posidonia est une plante aquatique atteignant jusqu’à quarante mètre de profondeur. La Tunisie comprend des milliers de km carrés de cette plante, soit 50% de la posidonia en Méditerranée.
Chaque image, chaque forme et chaque illustration visible à l’exposition «Murmures Zootopiques» plaide pour une autre manière de vivre avec le vivant. Elle se veut un point de départ, une incitation à regarder autrement, à écouter ces murmures qui disent la douleur, l’ennui, l’oubli.
À voir jusqu’au 29 juin.