
En Tunisie, le secteur éducatif connaît une transformation profonde et inquiétante. Une étude de l’Observatoire tunisien de l’économie (OTE) révèle que les politiques d’ajustement structurel menées avec l’appui du Fonds Monétaire International (FMI) et de la Banque mondiale (BM) ont contribué à un désengagement progressif de l’État, ouvrant la voie à une privatisation accélérée de l’enseignement, au détriment du système public.
Entre 2013 et 2020, la Tunisie a signé trois programmes de prêts avec le Fonds Monétaire International. Ces accords ont été accompagnés de mesures d’austérité sévères, visant à réduire les dépenses publiques, supprimer les subventions, privatiser les entreprises publiques et encourager les investissements privés. L’éducation n’a pas échappé à cette logique.
L’impact sur le système éducatif est considérable : baisse des investissements dans les infrastructures publiques, dégradation des écoles publiques, et croissance fulgurante des établissements privés. Pour les écoles primaires privées, le nombre des élèves est passé de 21 509 en 2009 à plus de 128 000 en 2024, soit une multiplication par six. Ces écoles, désormais au nombre de 684 en 2023, ne se limitent plus aux grandes villes, mais s’implantent aussi dans les régions de l’intérieur comme Kairouan, Sidi Bouzid ou Kasserine.
Ce basculement vers le privé a été facilité par des incitations légales : l’État tunisien a mis en place des avantages fiscaux et financiers pour les investisseurs dans l’éducation, comme stipulé dans le décret de février 2008. Il prévoit notamment une subvention pouvant atteindre 25 % du coût du projet, une prise en charge partielle des salaires et la mise à disposition de terrains.
Dans le même temps, les écoles publiques ont été laissées à l’abandon. Le manque d’entretien, la vétusté des locaux, l’insuffisance de matériel pédagogique et l’augmentation du nombre d’élèves par classe ont conduit à une forte détérioration de la qualité de l’enseignement. Ce phénomène touche surtout les couches sociales pauvres et moyennes, qui dépendent majoritairement du secteur public.
Selon une enquête de terrain menée en 2025, près de 8 % des élèves du primaire — soit plus de 100 000 enfants sur 1,3 million — fréquentent aujourd’hui une école privée. Ce chiffre illustre un glissement inquiétant vers une éducation à deux vitesses, où seuls les plus aisés peuvent accéder à un enseignement de qualité.
L’Observatoire met en garde contre un éclatement du modèle éducatif tunisien, accentuant les inégalités sociales. Il souligne que le désengagement de l’État, combiné à la détérioration des conditions sanitaires et à la baisse du nombre d’enseignants, crée un environnement d’apprentissage difficile et contribue à la hausse du décrochage scolaire, notamment chez les enfants issus de familles modestes.
Face à cette situation, l’OTE appelle à une révision urgente des politiques éducatives, afin de restaurer un service public fort, équitable et accessible à tous.