
Depuis quelques années, les lois de finances tunisiennes s’enrichissent régulièrement de dispositions favorables à l’environnement et au développement durable. Incitations fiscales à l’investissement vert, exonérations douanières pour les équipements écologiques, financements pour la transition énergétique… Tout semble indiquer un engagement ferme de l’Etat en faveur d’une croissance plus responsable.
La Tunisie ne manque ni de déclarations d’intention ni de références juridiques. Sa Constitution consacre explicitement la protection de l’environnement et les engagements internationaux du pays — notamment ceux relatifs aux Objectifs de Développement Durable (ODD) — témoignent d’une volonté politique affirmée.
Mais derrière ces engagements formels, les contradictions demeurent nombreuses. En pratique, les incitations fiscales et financières sont souvent accordées sans condition liée à la performance environnementale des bénéficiaires. Ainsi, une entreprise peut bénéficier d’un régime fiscal avantageux tout en continuant à polluer, dégrader les ressources naturelles ou enfreindre la législation environnementale — sans qu’aucune sanction ne soit appliquée.
Cette dissociation entre avantages fiscaux et comportement écologique affaiblit non seulement la cohérence des politiques publiques, mais aussi la crédibilité de l’engagement environnemental de l’Etat. En d’autres termes, la fiscalité, censée encourager les comportements vertueux, devient parfois complice de la pollution.
Le fait de faire bénéficier des entreprises polluantes d’avantages fiscaux et financiers, sans évaluer leur impact écologique, constitue également un cas manifeste de mauvaise gouvernance des finances publiques, comme on le constate dans certains secteurs à fort impact environnemental, tels que les industries extractives, le textile ou l’agroalimentaire.
Les fonds publics — qu’ils prennent la forme d’exonérations, de subventions ou d’aides — sont censés servir l’intérêt général. Or, lorsqu’ils soutiennent indirectement des activités nuisibles à l’environnement, ils produisent un effet pervers : l’Etat finance, par ses propres instruments budgétaires, les causes mêmes de la dégradation écologique qu’il prétend combattre.
Cette incohérence nuit à la cohésion de l’action publique, fragilise l’équité entre les entreprises et réduit l’efficacité de la dépense publique. Elle sape ainsi les fondements mêmes de la justice fiscale et environnementale.
Une contradiction avec la Constitution
Plus encore, ce soutien indirect aux activités polluantes entre en contradiction flagrante avec la Constitution tunisienne. L’article 47 dispose clairement que « L’Etat garantit le droit à un environnement sain et équilibré et contribue à la protection du milieu. Il incombe à l’Etat de fournir les moyens nécessaires à l’élimination de la pollution de l’environnement».
Comment, dès lors, justifier l’octroi d’avantages fiscaux à des entreprises dont les activités participent activement à la pollution ? L’incohérence n’est plus seulement politique ou économique — elle devient inconstitutionnelle.
Que faire ?
Il est donc urgent d’agir concrètement. Le respect de l’environnement devrait devenir une condition obligatoire au maintien des avantages fiscaux, tout comme les infractions environnementales devraient entraîner automatiquement la déchéance de ces avantages.
Cela implique une réforme de la législation fiscale afin d’y intégrer des clauses de conditionnalité environnementale, mais aussi une meilleure coordination entre l’administration fiscale, les instances de contrôle environnemental et les autorités judiciaires. Un mécanisme de contrôle croisé permettrait notamment de détecter les entreprises en infraction, de suspendre ou retirer les avantages fiscaux concernés et d’exiger le reversement des montants indûment perçus, assortis des pénalités de retard prévues par la loi.
Pour une fiscalité verte, juste et constitutionnelle
Nous ne pouvons plus nous permettre de subventionner la pollution, même de manière indirecte. Si l’Etat souhaite réellement tenir ses engagements climatiques, respecter sa propre Constitution et préserver l’environnement pour les générations futures, il doit mettre fin à cette incohérence entre les politiques publiques, environnementale d’une part et fiscale d’autre part. L’heure est venue de conditionner les avantages fiscaux au respect de l’environnement et de sanctionner les atteintes graves à la nature avec la même rigueur que les abus fiscaux.