Accueil A la une Retraités en situation de précarité sociale – augmentation des dépenses liées aux soins, à la cherté de la vie… : Leur dignité, une ligne rouge

Retraités en situation de précarité sociale – augmentation des dépenses liées aux soins, à la cherté de la vie… : Leur dignité, une ligne rouge

Après des décennies de travail, de labeur et de loyaux services rendus à la nation tunisienne, les retraités ont le droit de jouir d’un minimum de confort de vie post-retraite et d’un traitement en conformité avec les valeurs qu’ils ont transmises durant toute leur vie. «Rendre à César ce qui est à César». Leur honneur et leur dignité sont une ligne rouge à ne pas franchir.

La Presse — Au cœur de la Tunisie, un silence douloureux enveloppe une partie croissante de la population, celle de ses aînés. Loin des images d’une retraite paisible et méritée, de nombreux retraités tunisiens se débattent quotidiennement dans une précarité financière grandissante, minant leur qualité de vie matérielle et morale. Ce phénomène, exacerbé par des pressions économiques persistantes et un système de retraite sous tension, est devenu une préoccupation sociale majeure qui exige une attention urgente.

Pensions insuffisantes face à l’inflation

La principale source de détresse pour les retraités tunisiens réside dans l’inadéquation criante du montant de leurs pensions avec le coût de la vie en constante augmentation. Alors que l’inflation ne cesse de grignoter leur pouvoir d’achat, les pensions, souvent modestes à l’origine, stagnent ou n’augmentent que très faiblement.

«Chaque mois, c’est un exercice d’équilibriste», confie Karima, 72 ans, ancienne enseignante universitaire à la retraite, dont la pension peine à couvrir ses charges essentielles. «Entre le loyer, les redevances d’électricité, d’eau, et les médicaments, il ne reste presque rien pour la nourriture ou les imprévus. Au point qu’on se prive de presque tout».

Cette réalité est partagée par des milliers de seniors, contraints de revoir leurs habitudes de consommation à la baisse, parfois jusqu’à l’extrême. L’accès à une alimentation saine et équilibrée devient un luxe, et les loisirs, autrefois partie intégrante d’une vie équilibrée, sont désormais un lointain souvenir.

Dégradation matérielle de la qualité de vie

C’est un quotidien fait de privations qui est décrit dans des témoignages des retraités. La précarité financière se traduit directement par une dégradation matérielle significative de la qualité de vie. A commencer par le logement. De nombreux retraités, en particulier ceux qui ne sont pas propriétaires, peinent à payer leur loyer, parfois contraints de vivre dans des conditions insalubres ou de dépendre de la «générosité» de leurs enfants, ce qui peut engendrer un sentiment de perte d’autonomie et de dignité. Ensuite, il y a un point à faire sur la santé, qui s’est érodée ces dernières années avec l’absence de couverture sociale et des médicaments de plus en chers, qu’ils doivent se procurer en permanence.

Les dépenses de santé constituent un fardeau colossal. Malgré la couverture sociale pour les retraités qui arrivent à «sortir la tête de l’eau», les dépassements d’honoraires, le coût des médicaments non remboursés ou partiellement remboursés, et la nécessité de traitements spécifiques pour les maladies liées à l’âge, plongent de nombreux aînés dans l’endettement.

Pour certains, faire face à une maladie chronique est synonyme de choix déchirants entre traitement et alimentation. Ajouté à cela, la qualité des transports publics, qui devrait certes s’améliorer durant les années à venir, qui accroît leurs problèmes de mobilité.

La diminution des revenus restreint également l’accès aux transports, limitant la mobilité des retraités et leur capacité à se rendre chez le médecin, à faire leurs courses, ou simplement à maintenir un lien social. Ceci quand ils ne font pas face à la sédentarité, qui s’accentue au fil des ans et de leur vieillesse prolongée…

Au-delà des aspects purement économiques, la précarité engendre un sentiment profond d’isolement et d’indignité. Ne plus pouvoir subvenir à ses besoins fondamentaux, ou devoir demander de l’aide en permanence, est une source de souffrance morale immense pour une génération qui a souvent travaillé dur toute sa vie.

Impact sur la santé morale

Solitude et perte d’espoir en sont la résultante. La précarité financière n’est pas seulement une question de chiffres ; elle a des répercussions profondes sur la santé mentale et morale des retraités. Cette situation entraîne deux facteurs nocifs, à savoir le stress et l’anxiété. L’incertitude du lendemain, la peur de ne pas pouvoir payer les factures ou de tomber malade, génèrent un niveau de stress et d’anxiété chronique.

L’isolement, le manque d’activités sociales et culturelles, et le sentiment d’être un fardeau pour sa famille ou pour la société, peuvent mener à la dépression chez de nombreux aînés. «On se sent abandonné», lâche un ancien fonctionnaire à la retraite, les yeux rougis. «On a donné le meilleur de nous-mêmes, et maintenant, on a l’impression de n’être plus rien.»

La perte de sens et de repères complète le triste décor. La diminution des interactions sociales, l’incapacité à s’adonner à des activités qui donnent du sens à la vie, et le sentiment de ne plus être utile à la société contribuent à une perte de bien-être moral et à un désespoir latent.

Cette situation n’est pas un hasard, mais le reflet de défis structurels auxquels est confronté le système de retraite tunisien. Les caisses de retraite tunisiennes font face à des déficits structurels chroniques, exacerbés par des facteurs démographiques comme le vieillissement de la population, l’allongement de l’espérance de vie ; mais aussi économiques avec le chômage, les faibles taux de cotisation et l’économie informelle.

Les cotisations versées par les travailleurs et les employeurs ne sont souvent pas suffisantes pour garantir des pensions décentes, particulièrement pour ceux qui ont eu des carrières fragmentées ou qui ont travaillé dans le secteur informel. Malgré des alertes répétées, les réformes nécessaires pour assurer la viabilité et la pérennité du système de retraite tardent à être mises en œuvre ou sont insuffisantes, laissant les retraités actuels et futurs dans l’incertitude.

Un appel à l’action

La précarité des retraités en Tunisie est un défi complexe qui nécessite une approche multidimensionnelle. Il est impératif que les autorités, les partenaires sociaux et la société civile unissent leurs efforts pour réformer et renforcer le système de retraite. Des réformes structurelles sont urgentes pour assurer la viabilité financière des caisses et garantir des pensions dignes qui reflètent le coût de la vie.

Mettre en place des mécanismes de protection sociale fait partie des priorités. Nécessité de renforcer les filets de sécurité sociale pour les retraités les plus vulnérables, incluant des aides au logement, des subventions pour les médicaments et un accès facilité aux services de santé. Lutter davantage contre l’inflation permettrait de lancer une «bouée de sauvetage» aux retraités qui en paient cher le prix.

Adopter des politiques économiques visant à maîtriser l’inflation et à stabiliser les prix des produits de première nécessité. Favoriser le vieillissement actif et l’inclusion sociale, par la mise en place des programmes et des infrastructures qui encouragent la participation sociale, culturelle et économique des seniors, luttant ainsi contre l’isolement et le sentiment d’inutilité. Sensibiliser l’opinion publique sur la situation des personnes, une fois partis à la retraite.

Rendre visible la réalité de la précarité des retraités et inciter à une prise de conscience collective de l’importance de prendre soin de nos aînés. Ce sont toutes là des actions envisageables et faciles à entreprendre pour redonner goût à la vie des retraités.

Malgré les promesses d’augmenter les pensions des retraités, il y a encore beaucoup de chemin à parcourir pour combler le fossé qui sépare la qualité de vie des séniors actuellement, par rapport à ceux des générations précédentes. La dignité des retraités tunisiens est un indicateur de la santé morale de la société. Ignorer leur détresse, c’est compromettre l’avenir de toute une nation. Il est temps d’agir pour que la fin de carrière ne rime plus avec fin de vie digne.

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