Accueil Culture « A certain distance… » d’Aymen Mbarki à La Boîte – Un lieu d’art contemporain : L’art comme lieu de soin

« A certain distance… » d’Aymen Mbarki à La Boîte – Un lieu d’art contemporain : L’art comme lieu de soin

« Le choix du support revêt une signification particulière : le papier recyclé porte dans ses fibres l’empreinte d’anciennes inscriptions. Les traces noires créent leur propre mythologie. L’usage du charbon — fruit de la transformation par le feu d’une matière organique — véhicule la mémoire des offrandes et des ex-voto. Les lignes tracées à l’encre rappellent la magie des tatouages tribaux. La palette monochrome élimine toute distraction, concentrant l’attention sur la relation essentielle entre le signe et son sens ».

La Presse — Inaugurée le 29 mai dernier, l’exposition « A certain distance… » (Une certaine distance…) d’Aymen Mbarki se poursuit jusqu’au 29 août 2025 à La Boîte — Un lieu d’art contemporain (Sis 25 rue 8603, La Charguia I, Tunis) 

Né à Tunis en 1983, Mbarki est un artiste visuel autodidacte. Il a été conseillé artistique dans une boîte de production audiovisuelle, dessinateur de story-boards pour des courts-métrages et des publicités, concepteur de logos et décorateur et set-designer. Il découvre sa passion pour la peinture à l’âge de cinq ans, lorsqu’il tombe par hasard sur une estampe de l’œuvre « Saturne dévore ses enfants » du peintre espagnol Francisco Goya. Ce moment l’a profondément marqué, influençant sa conception du monde. 

En 2019 il participe à sa première exposition collective à la bibliothèque nationale de Tunis. En 2021, sa première exposition personnelle intitulée « Lettres à Ovide » se tient à la galerie d’art Yosr Ben Ammar à Tunis. En 2022 il participe à la foire internationale « Cape Town Art Fair » avec la galerie A. Gorgi.

Le tracé noir est l’élément fédérateur de son œuvre: le trait rend son espace visible voire lisible. La ligne se dispose et s’évide suite aux différents rythmes et allures qu’elle prend. En effet, sa technique spécifique du dessin n’est pas sans permettre une grande variété des aspects et les formes dont la sensibilité graphique prend son élan dans une gestualité rigoureuse.

Il s’agit plus d’une  recherche de la ligne la plus explicite, voire la plus performative. Entre poésie, littérature, mythologie grecque et tragédie théâtrale, les œuvres de Mbarki tracent leurs chemins et celui de la pratique de l’artiste. 

Des dessins qui font écho à des traditions talismaniques 

Entre pratiques rituelles anciennes et concepts artistiques, l’artiste revisite dans «A certain distance…» des formes anciennes pour interroger notre présent. Il nous propose une série de dessins, réalisés à l’acrylique noire, à l’encre et au charbon sur papier recyclé, qui évoquent des pratiques graphiques spirituelles  existant depuis des siècles: des idiomes à la fois familiers et oubliés, fonctionnant comme des talismans contemporains, s’inspirant de la riche tradition de l’art apotropaïque (protecteur) qui a prospéré à travers l’Afrique du Nord et la Méditerranée antique. 

En effet —et comme le note, dans un texte présentateur en anglais, le chercheur en patrimoine culturel et en histoire de l’art, Nizar Rejeb—, dans la culture carthaginoise, figures et inscriptions protectrices formaient des remparts contre les esprits et les forces occultes. Plus tard, avec l’époque arabo-islamique, un objet rituel appelé hirz (amulette) s’imposa comme moyen de protection : un condensé de savoirs ésotériques, où signes codés et versets coraniques se mêlaient en une formule magique.

A travers cette exposition, Mbarki ne se contente pas de réactiver des symboles anciens, il ouvre un espace réflexif sur la puissance de l’image, la mémoire des gestes et le rôle de l’art comme lieu de soin, de protection et de transmission. 

Son langage visuel, enraciné dans une pluralité de contextes culturels, ne relève pas d’un simple emprunt esthétique, mais d’une recherche approfondie sur les éléments et les compositions afin de construire une expression fusionnelle et syncrétique.

«Le choix du support revêt une signification particulière : le papier recyclé porte dans ses fibres l’empreinte d’anciennes inscriptions. Les traces noires créent leur propre mythologie. L’usage du charbon — fruit de la transformation par le feu d’une matière organique — véhicule la mémoire des offrandes et des ex-voto. Les lignes tracées à l’encre rappellent la magie des tatouages tribaux. La palette monochrome élimine toute distraction, concentrant l’attention sur la relation essentielle entre le signe et son sens. 

L’idée centrale de cette série d’œuvres réside dans cette compréhension : l’art protecteur a toujours été fonctionnel avant d’être décoratif. Ces dessins ne se contentent pas de faire référence aux traditions talismaniques : ils les incarnent», écrit encore Rejeb 

Et d’ajouter: Inspiré à la fois par les artefacts archéologiques et les textes prophétiques, l’artiste convoque d’anciennes formules protectrices tout en les projetant dans un avenir incertain. Il s’agit d’un processus qui ne trace aucune frontière nette entre la création artistique et l’expression métaphysique. Un « hirz » contemporain face aux peurs actuelles. A voir absolument !

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