
C’est pour la énième fois que l’on évoque la situation précaire dans laquelle s’enlisent les ouvrières agricoles, en pointant du doigt le silence strident qui plane encore sur cette question. Pourtant, les solutions existent, pourvu qu’elles soient concrétisées sans délai.
La Presse — Et si volonté il y avait, ce dossier, qui a souvent été une épine dans le pied de l’Etat, aurait pu être résolu, mettant un terme au calvaire quotidien d’un transport agricole hors la loi et encore moins sécurisé. Les ouvrières agricoles, cette catégorie sociale vivant dans la précarité, n’ont cessé de compter ses morts et ses blessés sur le chemin des champs, et même au milieu du travail.
Chiffres du Ftdes à l’appui, « de 2015 au début 2024, quelque 70 accidents ont tué 55 personnes et blessé plus de 800 autres..». A Sidi Bouzid, à Kairouan, à Zaghouan et dans bien d’autres coins reculés, l’on garde encore en mémoire la souffrance intense des victimes d’accidents tragiques, sans qu’elles bénéficient, jusque-là, d’aucun droit.
Arrêter cette hémorragie
Drames en cascade, en dix ans. Entre-temps, ce bilan s’alourdit de plus en plus, sans que personne ne lève le petit doigt pour arrêter cette hémorragie. Marches, journées de colère, mouvements de protestation, aucun moyen d’expression n’a fait pression. Mais les appels de détresse n’en finissent pas pour que les autorités en place interviennent en faveur de ces travailleuses de la terre.
Silence radio ! On continue à agir comme si de rien n’était. Et vogue la galère ! Une telle position fataliste, voire passive, a dû exacerber les tensions et prolonger toutes les tentatives de dénouement. Il fallait prendre son courage à deux mains. En vain !
Passés les ans, cette situation fait du surplace. Sauf que la récente initiative législative du Président Kaïs Saied avait renversé la vapeur, donnant ainsi lieu au décret-loi n° 2024-4 du 22 octobre 2024, relatif au régime de protection sociale des travailleuses agricoles. Il s’agit là, certes, d’une décision révolutionnaire qui aurait tout changé, en termes de droit au travail décent, transport sécurisé, couverture sociale, assurance maladie et bien d’avantages en gage de stabilité professionnelle.
En effet, ce décret présidentiel vise l’inclusion économique de ces ouvrières en marge du développement, leur protection sociale et leur sécurité au travail. Il puise dans le renforcement du rôle social de l’Etat et la fin de l’emploi précaire.
Cependant, plus de huit mois après la promulgation de ce décret-loi, on ne voit, jusque-là, rien venir. Et depuis, 17 textes d’application qui y sont liés liés sont encore en attente de publication. Alors qu’ils auraient dû préciser les modalités de mise en œuvre de ce régime et définir les procédures d’affiliation, les prestations fournies, ainsi que le financement du fonds de protection sociale des travailleuses agricoles créé à cet effet.
«Ce décret- loi garantit leurs droits en matière d’assurance maladie, de retraite, d’accidents du travail et dans plusieurs autres domaines », avait, autrefois, déclaré, à un média privé, Badreddine Smaoui, expert en protection sociale.
Un texte encore figé !
Il s’agit, selon lui, d’un texte global, favorisant des mécanismes d’intégration sociale et d’accompagnement, et qui a permis de résoudre un problème majeur, celui de la protection sociale des ouvrières agricoles. Bien que ce texte soit, à ses dires, excellent sur le plan juridique, il demeure, toutefois, figé.
Car la loi ne vaut rien si elle ne s’applique pas. Pourtant, le Président de la République n’a cessé d’insister sur une parfaite révolution législative et administrative en harmonie avec les nouveaux défis auxquels fait face la société tunisienne. L’état actuel des choses pousse au désespoir, les ouvrières agricoles en pâtissent le plus.
Une enquête effectuée par l’association «La Voix d’Ève», auprès de mille femmes du gouvernorat de Sidi Bouzid, avait montré qu’environ 94% des ouvrières travaillent sans contrat, 97 % ne bénéficiant d’aucune protection sociale et que 20% sont encore mineures. Et si ces femmes refusaient de travailler, nos champs agricoles seraient, certes, abandonnés.
Aussi indignes que soient leurs conditions, leur revenu est assez modique, voire inférieur au Smag (salaire minimum agricole garanti) régi par le code du travail. Face à l’envolée des prix, un salaire de 10 à 15 dinars par jour ne suffit plus. Elles gagnent beaucoup moins que les hommes, pourtant tous deux engagés dans la même activité.
Somme toute, ce décret-loi marque une avancée significative dans la protection sociale des ouvrières agricoles en Tunisie, avec en toile de fond des mesures concrètes pour leur inclusion économique, leur protection sociale et leur sécurité au travail. Jusqu’à quand cette politique de marginalisation ? Qui mettra fin à cet atermoiement ?