
Concurrencées mais loin d’être condamnées, les PME tunisiennes ont des cartes à jouer, à condition de miser sur l’innovation, l’agilité et la transition verte.
La Presse — Dans un contexte mondial marqué par la montée du protectionnisme et l’exacerbation des guerres commerciales entre grandes puissances économiques, les entreprises tunisiennes voient leurs perspectives d’exportation se rétrécir. Selon une récente enquête menée par la Banque européenne d’investissement (BEI) dans le cadre du programme «Trade and Competitiveness» (TCP), 60 % des PME tunisiennes estiment que l’intensification de la concurrence et la saturation des marchés constituent des freins potentiels à l’export.
Des obstacles multiples
Cette perception trouve ses racines dans un paysage commercial international de plus en plus complexe : amplification du dumping, durcissement des barrières non tarifaires, entre autres. Chiffres à l’appui, ces phénomènes n’ont cessé de croître depuis les années 2000. Ainsi, le nombre de mesures SPS (sanitaires et phytosanitaires) est passé de 29 en 1994 à plus de 20.000 en 2021, soit une multiplication par environ 700.
Aujourd’hui, près de 70 % du commerce mondial sont soumis à des barrières techniques, dont le nombre dépasse les 850.000, représentant des coûts astronomiques en matière de conformité.
Les normes non tarifaires (NTM) continuent de croître régulièrement depuis le début des années 2000. En 2021, plus de 11 % des importations du G20 étaient concernées par ce type de mesures.
Par ailleurs, le dumping — pratique anticoncurrentielle consistant à vendre ses produits à l’étranger à un prix inférieur au coût de production pour éliminer la concurrence — prend de l’ampleur. En 2024, près de 200 enquêtes antidumping ou liées à des subventions ont été déposées auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Le constat est clair : la bataille est bel et bien engagée entre les économies du monde qui mobilisent tous les moyens pour conquérir de nouveaux marchés extérieurs.
Se renouveler pour survivre
Dans ce contexte de concurrence féroce et d’accès aux marchés de plus en plus restreint, les PME tunisiennes sont appelées à se réinventer pour relever les nouveaux défis de l’export. Elles disposent d’atouts sur lesquels elles peuvent capitaliser pour se positionner, non seulement sur leurs marchés traditionnels comme l’Union européenne, mais aussi sur des marchés prometteurs, notamment en Afrique.
Premier atout : la proximité géographique avec l’UE, qui positionne la Tunisie comme un partenaire stratégique. Les nouvelles obligations environnementales imposant la réduction de l’empreinte carbone et le raccourcissement des chaînes d’approvisionnement favorisent les dynamiques de relocalisation dans les pays du voisinage, y compris au Sud.
Les entreprises tunisiennes exportatrices doivent tirer parti de cette conjoncture en accélérant leur transition verte. Car si la réorganisation des chaînes de valeur européennes peut profiter aux entreprises tunisiennes, la question écologique demeure centrale.
À défaut d’anticipation, elles pourraient subir les effets de l’entrée en vigueur, dès janvier 2026, du Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (Macf), qui se traduirait par un surcoût à l’export, et donc par une perte de parts de marché. Dans cette optique, l’investissement dans les énergies renouvelables, ainsi que dans des procédés de fabrication circulaires et durables n’est plus une option, mais une nécessité.
L’innovation comme levier de résilience
L’émergence du « friend-shoring » constitue également une opportunité pour les entreprises exportatrices tunisiennes, à condition qu’elles fassent preuve d’agilité et d’innovation. Dans un environnement aussi compétitif, l’innovation n’est en aucun cas un luxe.
L’expérience des grandes multinationales montre que leur pérennité repose en grande partie sur des modèles économiques innovants. Comme l’a affirmé le spécialiste en stratégie d’entreprise Michael Porter, l’innovation est la clé de la compétitivité, car elle conditionne la capacité des entreprises à conserver un avantage concurrentiel durable sur des marchés en perpétuelle évolution.
Contrairement aux idées reçues, l’innovation ne se limite pas à la dimension technologique ou aux procédés de fabrication. Elle englobe aussi l’organisation du travail, les modèles économiques et les approches marketing.
Or, seules 30 % des grandes entreprises tunisiennes investissent réellement dans la recherche et le développement. Cela traduit un déficit d’intégration de l’innovation dans les modèles économiques, qui doit être comblé par une prise de conscience urgente de l’importance de l’innovation en tant que facteur de résilience et de croissance.
Elles doivent s’ouvrir davantage à l’écosystème de l’innovation et opter pour les technologies de pointe, notamment l’IA, dont les avantages en termes d’efficacité économique ont été largement démontrés.