
Il y a des soirs où l’air devient plus dense, chargé de sons, d’ombres et de lumière. Le 21 juillet, l’amphithéâtre de Hammamet s’est fait écrin, temple éphémère, pour accueillir une odyssée sonore née du cœur et des terres de Tunisie: «Sinouj–Odyssey» de Benjemy, une soirée suspendue dans le temps. Les gradins étaient pleins et la communion totale.
La Presse —Depuis quatre ans, ce projet hybride, mouvant comme le sable des dunes, ne cesse de se réinventer. Cette nuit-là, il a pris une ampleur presque mystique. Sous le ciel étoilé, les voix se sont levées — sept au total —, portées par un orchestre de cordes et de cuivres, sculptant l’espace d’harmonies inédites.
Dans la pénombre vibrante, les corps sur scène semblaient danser au rythme d’une mémoire retrouvée, amplifiée, transcendée. Benjemy, alchimiste des sons, artiste pluriel et DJ, orchestre ici une fusion rare : le mezwed, les chants populaires, le soufisme et l’électronique, entremêlés à une trame symphonique.
Ce n’est plus seulement de musique dont il est question, mais d’un dialogue des temps, d’une tentative de réconcilier le sacré et l’urbain, l’ancré et le mouvant. «Sinouj» ne raconte pas la Tunisie, il la réinvente en la réécoutant. Chaque morceau devient un territoire, chaque voix une prière. Rania Bounaoues, Karama Krifi, Boutheina Nabouli… ces voix féminines ont transpercé la scène avec une force douce.
À leurs côtés, Haythem Hadhiri, Ben Souiden, Mohamed Aidi, Mohamed Said et Oussama Mhidi… autant de visages, d’identités musicales, venus tisser un récit collectif qui trouve son unité dans le désordre maîtrisé de l’émotion.
«Sinouj» c’est une perception de la musique qui change, qui s’habille, se compose et se structure. Elle se place dans une pratique artistique en mouvement. Du patrimoine ! oui mais pas seulement. Il s’agit de définir un univers, dessiner ses contours, tracer des limites et ouvrir des horizons. Pour Benjemy, son ambition n’est pas seulement de faire entendre la musique tunisienne, mais de la faire dialoguer avec le monde, en dépassant les frontières du folklore figé. Ici, le patrimoine n’est pas «musée» : il devient matière vivante, organique, offerte au risque de la modernité.
Qui n’a pas peur de se mettre en péril, de jouer avec les frontières et se libère de cette vision qui voudrait les préserver de l’altération de la modernieté et des expériences «improbables». Ce patrimoine devient tellement vivace, actif voire électrique qu’il se prête au jeu. Se laisse revisiter. La tradition est appelée à respirer un air neuf, sans jamais perdre son ancrage.
Hammamet, cette nuit-là, a écouté bien plus qu’un concert. Elle a reçu une offrande. «Sinouj» a parlé à la mémoire, mais aussi à l’avenir. Il a rappelé que la musique tunisienne est une langue plurielle, capable d’épouser toutes les formes, de se réconcilier avec le numérique, d’embrasser le monde sans s’y dissoudre.