
Dès leur entrée en scène, parés de tenues éclatantes et enveloppés dans une aura presque mystique, les membres actuels de Nass El Ghiwane ont ravivé une flamme que les décennies n’ont jamais su éteindre.
La Presse — C’était une nuit vibrante d’émotions et de mémoire que l’amphithéâtre du Festival international de Hammamet a offerte pour sa 59e édition. Le groupe légendaire Nass El Ghiwane, en concert exceptionnel, a joué à guichets fermés, porté par un public fidèle et multi-générationnel. Un moment suspendu, à la fois spirituel et incandescent, où le Maroc profond a chanté au cœur de la Tunisie.
Dès leur entrée en scène, parés de tenues éclatantes et enveloppés dans une aura presque mystique, les membres actuels de Nass El Ghiwane ont ravivé une flamme que les décennies n’ont jamais su éteindre. Munis de leurs instruments traditionnels nay, gombri, violon, oud, bonjo et d’un répertoire empreint de poésie engagée, ils ont transformé la scène en un espace de communion culturelle.
Créé en 1971 dans les quartiers populaires de Casablanca, le groupe est né du souffle contestataire et artistique postindépendance. À travers des textes puissants et des compositions mêlant soufisme, melhoun, gnawa et rythmes chaâbi, Nass El Ghiwane a su façonner un genre à part, devenu patrimoine. La formation, qui a vu défiler plusieurs générations de musiciens, n’a jamais cessé de transmettre un message de dignité, d’amour et de lutte sociale.
Le concert de Hammamet l’a brillamment rappelé : les chansons emblématiques, telles que “Fine Ghadi Beya Khouya”, “El Hammami”, “Lebtana”, “El Sinia”, ou encore l’hymne spirituel “Allah Ya Maoulana” continuent de résonner avec la même intensité. Ces morceaux sont autant de fragments d’histoire chantée, de douleurs racontées, mais aussi d’espoir partagé.
En les entendant, c’est tout un peuple — et parfois un continent — qui se souvient, vibre, espère. Si les fans de la première heure, nombreux dans le public, écoutaient les yeux brillants de nostalgie, les jeunes, eux, dansaient, chantaient, connaissaient les paroles. C’est là l’une des prouesses du groupe : être resté pertinent sans se travestir.
Nass El Ghiwane n’a jamais eu besoin de suivre les modes ; c’est plutôt à la société de rattraper la profondeur de leur discours. Leur succès repose sur une alchimie rare : une musique enracinée dans les traditions, mais ouverte au monde un engagement qui ne se fige jamais : une capacité à dénoncer sans cesser de chanter l’humain.
Figure actuelle du groupe et fils du regretté Larbi Batma, Rachid Batma incarne la transmission à la fois biologique et artistique de l’héritage Ghiwani. Sur scène, il rappelle avec intensité que le combat de Nass El Ghiwane est toujours d’actualité : justice sociale, dignité des peuples, dénonciation des oppressions. Mais aussi, dans une nuance propre au groupe, la célébration de la vie, de l’amour et de la paix. « Notre musique est une prière, une lutte, une fête. Elle est née pour durer », déclarait-il récemment.
Plus qu’un groupe musical, Nass El Ghiwane est une voix — celle des oubliés, des rêveurs, des croyants, des insurgés. Ils incarnent une mémoire vivante du Maghreb, mais aussi une conscience du monde arabe et africain en mutation. Chanter avec eux, c’est souvent écouter ce qu’on a trop longtemps tu.
Leur passage à Hammamet n’est pas un simple concert : c’est un rappel que la culture peut survivre aux régimes, aux modes, aux mutations, pour peu qu’elle sache rester fidèle à son peuple.
Faut-il rappeler qu’à l’heure où les festivals se cherchent une âme entre tendances éphémères et consommation rapide, Nass El Ghiwane offre une leçon de durabilité artistique. Leur musique n’est pas un produit : c’est une mémoire collective, une résistance poétique, un souffle inaltérable. Et à Hammamet, ce souffle a de nouveau embrasé les cœurs.