
Portée par son héritage millénaire, la femme tunisienne trace sa voie, sans concession et sans maître.
Son patrimoine culturel est son bouclier contre le retour de pratiques d’une époque révolue.
Armées des conquêtes de leurs aïeules, les Tunisiennes n’ont besoin d’être « sauvées » par quiconque. Leur combat dépasse de loin la simple revendication corporelle au nom d’une libération superficielle.
Dès avant le XXe siècle, bien avant que le terme « féminisme » n’émerge, des Tunisiennes ont mené une lutte acharnée contre un ordre social hostile à leur émancipation.
Elles ont bravé les obstacles pour transcender leur condition de subalternes, devenant ainsi les pionnières d’un féminisme avant l’heure.
Chacune à sa manière a défié les traditions rétrogrades de son époque, armée seulement du courage de celles qui refusent de se soumettre à une société patriarcale enfermée dans ses dogmes. Ces traditions, portées par une vision misogyne, étaient alors érigées en lois sacrées.
Face à ce système, la femme tunisienne s’est retrouvée seule contre un triple obstacle : une mentalité misogyne omniprésente, une interprétation biaisée des textes religieux justifiant son oppression, et l’exclusion de l’éducation.
Qu’une femme ose briser ces trois remparts semblait impossible. Pourtant, certaines y sont parvenues, traçant une voie que d’autres suivraient à travers les siècles.
Parmi ces figures pionnières, quatre noms émergent particulièrement, incarnant chacune à leur manière la résistance et l’avant-gardisme des femmes tunisiennes. La princesse Arwa la Kairouanaise ouvrit la voie dès le IIe siècle de l’Hégire par un acte qui semblait impensable : imposer la monogamie au puissant calife Abou Jaafar Al-Mansour.
Dans un contexte où le texte coranique autorisait explicitement la polygamie, son audace fut révolutionnaire. Le contrat qu’elle fit signer stipulait qu’elle pourrait répudier le calife s’il prenait une autre épouse.
Cette clause, qui se répandit ensuite en Andalousie, marqua les prémices d’une conception plus égalitaire du mariage dans le monde arabe. D’ailleurs, on l’appelle le contrat kairouanais.
Si Arwa combattit par les mots et les contrats, Dihya, surnommée « Al-Kahina » (la Prêtresse) par les Omeyyades, prit les armes contre l’invasion arabe au VIIe siècle. Commandant une armée, elle infligea une défaite retentissante aux troupes du général Hassan Ibn Numan, repoussant l’occupation pendant cinq ans. Son destin tragique – vaincue en 703 à l’actuelle Tabarka après l’arrivée de renforts ennemis – ne doit pas occulter l’extraordinaire symbole qu’elle incarne : une femme dirigeant des armées et tenant tête à l’empire le plus puissant de son temps.
Des siècles plus tard, c’est par la générosité et l’altruisme qu’Aziza Othmana, princesse mouradite du XVIIe siècle, marqua l’histoire. Dans un geste sans précédent, elle affranchit tous ses esclaves et légua l’intégralité de sa fortune à des œuvres caritatives.
Son système de fonds spécifiques – pour doter les jeunes filles pauvres, libérer les captifs ou soutenir d’autres causes – témoigne d’une vision philanthropique remarquablement moderne.
L’histoire contemporaine révèle une autre figure majeure, Béchira Ben Mrad, pionnière incontournable du féminisme tunisien moderne.
Dans les années 1930-1940, elle opéra une rupture majeure en fondant l’Union musulmane des femmes de tunisie (UMFT) et en dirigeant le journal Leïla.
Son combat pour l’éducation des filles, contre les mariages forcés et pour la participation politique des femmes préfigura directement l’adoption du Code du Statut Personnel en 1956.
Pourtant, son héritage fut injustement effacé après l’indépendance par Bourguiba, qui dissolut son mouvement sans jamais reconnaître son rôle fondateur.
Cette marginalisation ne peut obscurcir l’importance de son combat, à la fois moderniste et ancré dans les réalités culturelles tunisiennes.
Ces quatre destins, bien que séparés par les siècles, tissent une même trame : celle de femmes refusant les limites que leur imposait leur époque.
Arwa par la négociation audacieuse, Dihya par la rébellion armée, Aziza Othmana par la redistribution radicale des richesses, Béchira Ben Mrad par le militantisme organisé – chacune à sa manière a repoussé les frontières du possible pour les femmes de son temps.
Parce que la liberté est femme, la révolution est femme, et la rose est femme, la Tunisienne a porté en elle, depuis des siècles, les germes de la révolte et les prémices de son affranchissement. Quelques jours avant le 13 août 2025, nous rendons hommage à ces précurseures qui, sans le savoir, ont tracé la voie de l’affirmation de l’identité féminine.
Leur héritage nous rappelle que l’émancipation ne se décrète pas, mais se conquiert génération après génération, et que la liberté n’est jamais un acquis, mais un combat perpétuel.
S.M