
Alors que le projet de loi de finances 2026 commence à se dessiner, l’expert en fiscalité Mohamed Salah Ayari plaide pour des réformes concrètes : lutte contre la fraude, incitations à l’investissement vert et simplification des procédures. Objectif: consolider l’équilibre budgétaire, tout en relançant la croissance.
La Presse — Le débat autour du projet de loi de finances 2026 prend progressivement forme. Invité récemment sur un plateau radio, Mohamed Salah Ayari, membre du Conseil national des impôts et de l’Union des experts fiscaux, a livré une analyse nuancée du texte à venir. Selon lui, «les propositions actuellement en discussion respectent l’équilibre économique à hauteur de 90 à 95 %».
Toutefois, il précise que si l’architecture générale paraît solide, plusieurs angles morts demeurent, notamment en matière de réforme fiscale, d’incitations à l’investissement et de numérisation des procédures.
Un projet qui se veut équilibré
Ayari a tenu à souligner que « le projet de loi de finances s’inscrit dans la continuité des grandes orientations économiques fixées par le gouvernement». Les priorités mises en avant lors des dernières réunions ministérielles traduisent, selon lui, «une volonté de consolider les fondements de l’Etat social, d’accorder une attention particulière aux groupes vulnérables et à faibles revenus et de s’attaquer à la question de l’emploi».
Il rappelle que le taux de chômage s’est établi à 15,3 % au premier semestre 2025, un niveau préoccupant «qui continue de peser sur la cohésion sociale et la stabilité économique».
Malgré cette cohérence générale, il estime que le projet manque de dynamisme dans son exécution. « Nous avons des idées de réformes importantes, mais leur mise en œuvre reste trop lente», a-t-il regretté, insistant sur la nécessité d’appliquer rapidement les propositions discutées pour qu’elles produisent un impact réel.
Concernant le volet fiscal, l’expert a tenu à clarifier une idée répandue : «La réforme fiscale n’est pas liée à une augmentation des taux d’imposition. La véritable urgence, c’est la lutte contre la fraude». Il rappelle que le taux de fraude fiscale avoisine encore 50 %, un chiffre qui «fragilise les finances publiques et creuse les inégalités entre contribuables».
Selon lui, la répartition de la charge fiscale doit être élargie à un plus grand nombre d’acteurs afin d’éviter qu’elle ne repose sur une minorité de contribuables formels. Dans le même esprit, il suggère de renforcer la coopération entre les municipalités et la Direction générale des impôts, notamment pour mieux tracer les loyers supérieurs à 500 dinars par mois.
L’un des points centraux abordés par Ayari concerne la trajectoire de croissance. Pour 2025, le gouvernement table sur un taux de 3,2 %, qu’il juge «atteignable mais ambitieux». Selon lui, « 1,6 % ont été atteints au premier trimestre, 3,2 % au deuxième, soit une moyenne de 2,4 % sur les six premiers mois». Si la cadence est maintenue, «la barre des 3,2 % pourrait être franchie grâce à la contribution du tourisme et de l’agriculture au second semestre».
Toutefois, il précise qu’en cas de non-atteinte, la croissance pourrait se stabiliser autour de 2,7 %, un scénario « plancher » qu’il considère comme réaliste. Pour le projet de loi de finances 2026, il suggère de tabler sur une croissance de 3,5 %, basée sur un prix du pétrole de 70 dollars le baril et un taux de change du dollar à 3 dinars.
Relance de l’investissement et mesures ciblées
Une grande partie de son intervention a porté sur les mesures destinées à stimuler l’investissement privé. Il regrette notamment la suppression, dans la nouvelle loi sur l’investissement, d’une disposition permettant aux entreprises de réinjecter leurs bénéfices dans leurs propres structures avec des incitations fiscales. Selon lui, « cette mesure aurait permis aux entreprises de se moderniser, d’acquérir de nouveaux équipements et de renforcer leur compétitivité».
Il propose également l’instauration d’une taxe carbone nationale, permettant aux entreprises exportatrices de régler cette obligation en Tunisie plutôt que dans les pays de l’Union européenne. «Cela renforcerait notre souveraineté fiscale tout en répondant aux exigences internationales en matière de développement durable», a-t-il expliqué.
Par ailleurs, il suggère que les entreprises investissant dans l’économie verte bénéficient d’un impôt réduit de 10 % sur leurs bénéfices, pour stimuler un secteur porteur encore sous-exploité. Dans la même logique, il plaide pour des incitations dans le domaine de la construction écologique, ainsi que pour l’acquisition de biens résidentiels auprès de promoteurs, à condition que le coût n’excède pas 500 000 dinars. Dans ce cas, l’acheteur pourrait bénéficier d’une réduction de 5 % de TVA.
Pourquoi pas une fiscalité plus simple et digitale ?
Au-delà des chiffres, Ayari insiste sur la nécessité de rendre la fiscalité plus lisible et proche des standards internationaux. Il plaide pour une restitution rapide des excédents d’impôt et pour l’amélioration des procédures du système d’enregistrement.
Il propose également la mise en place d’un certificat de quittance fiscale, sur le modèle de ce qui existe pour les impôts municipaux, afin d’alléger les procédures et de renforcer la transparence. La numérisation occupe une place centrale dans sa vision, avec déclaration à distance, interconnexion des services fiscaux et digitalisation des échanges avec les contribuables.
En définitive, Mohamed Salah Ayari considère le projet de loi de finances 2026 «globalement équilibré», mais nécessitant des ajustements courageux pour être réellement porteur de croissance. Les mesures qu’il défend concernent essentiellement la lutte contre la fraude, encouragement à l’investissement vert, simplification et digitalisation. Ces dernières visent à élargir l’assiette fiscale et à restaurer la confiance entre l’Etat et les contribuables.
«Si la Tunisie parvient à combiner rigueur budgétaire et innovation fiscale, elle pourra transformer les contraintes actuelles en opportunités », conclut-il. Cependant, il rappelle que l’équilibre reste fragile : entre exigences sociales, impératifs de croissance et nécessité de réformes structurelles, le projet de loi de finances 2026 reste une équation à plusieurs inconnues, où la mise en œuvre pèsera autant que les intentions.