Accueil Culture Nouvelles parutions – «Tant mieux » d’Amélie Nothomb : L’enfance, la mère et l’étrange pouvoir du verbe

Nouvelles parutions – «Tant mieux » d’Amélie Nothomb : L’enfance, la mère et l’étrange pouvoir du verbe

Amelie

Dans le huis clos imposé à une fillette livrée à une vieille femme hostile, caricature de marâtre au seuil du grotesque. Tout y est : la maison sombre, le chat obèse vénéré comme une idole, les repas punitifs, la solitude écrasante. Et pourtant, c’est dans cette noirceur que se cristallise la lumière du roman.

La Presse — Il est des écrivains dont l’œuvre forme une constellation où chaque livre, bien que singulier, éclaire les précédents. Amélie Nothomb appartient à cette catégorie rare. Avec « Tant mieux », son trente-quatrième roman, elle poursuit une exploration intime de la filiation commencée dans « Premier sang » (Prix Renaudot 2021), en inversant le prisme : après avoir donné voix au père disparu, elle fait entendre, cette fois, l’ombre portée de la mère.

Mais à la première personne d’hier succède ici un narrateur externe comme un voile, un tamis, ou une mise à distance nécessaire pour dire l’indicible.

Le récit s’ouvre comme un conte cruel. Adrienne, enfant de quatre ans, est envoyée à Gand pour y passer l’été chez sa grand-mère paternelle. L’année est 1942, mais la guerre ne constitue qu’un lointain décor. L’enjeu est ailleurs : dans le huis clos imposé à une fillette livrée à une vieille femme hostile, caricature de marâtre au seuil du grotesque. Tout y est : la maison sombre, le chat obèse vénéré comme une idole, les repas punitifs, la solitude écrasante. Et pourtant, c’est dans cette noirceur que se cristallise la lumière du roman.

Face à l’abandon, Adrienne développe des stratégies de survie : une cuillère en bois devient amie, le langage se transforme en refuge, et un mot « Tant mieux »  agit comme une formule magique. Ce mot, répété à l’envi, restructure le réel. Il transforme l’épreuve en victoire, la peur en résistance intérieure. À travers ce mantra, l’enfant oppose à la cruauté un refus de plier, une forme de souveraineté. Le roman tout entier tient dans cet écart entre l’humiliation subie et la force mentale née de la réplique.

Comme souvent chez Nothomb, l’économie du texte est trompeuse : derrière la simplicité apparente de la narration se déploie un dispositif complexe. « Tant mieux » s’inscrit à la frontière de plusieurs genres:  fable, autofiction, parabole. 

Le réalisme cède vite à une étrangeté diffuse, renforcée par la limpidité tranchante du style. Les phrases sont brèves, acérées, tendues comme des cordes sur lesquelles progresse l’intrigue, à peine voilée par l’apparente naïveté du point de vue enfantin.

C’est dans les dernières pages que le roman bascule. La voix de l’autrice se substitue au narrateur. Amélie Nothomb sort de l’ombre pour expliquer son choix d’écriture, mais surtout pour corriger une lecture persistante de son œuvre : non, elle n’a jamais opposé à son amour pour son père un rejet de sa mère.

Simplement, cette dernière lui échappait  « trop déroutante », écrit-elle. Le roman apparaît dès lors comme une tentative, peut-être la première, d’entrer en relation avec cette figure restée longtemps à l’écart.

Là réside la puissance discrète de « Tant mieux » : dans sa manière de dire sans accuser, de révéler sans dénoncer, d’aimer sans expliquer. Il ne s’agit pas d’un hommage, ni d’un règlement de comptes, mais d’une mise en lumière fragile et pudique. La fiction permet ici ce que la réalité interdisait : donner forme à une mère inclassable, traversée par ses énigmes, ses silences, ses angles morts.

En filigrane, le roman prolonge la méditation sur le pouvoir du langage initiée dans « Soif » ou « Psychopompe ». Chez Amélie Nothomb, écrire n’est jamais une simple entreprise esthétique. C’est un acte de survie, de transmutation. « Tant mieux » en est une démonstration magistrale : face à l’indifférence, la cruauté ou l’incompréhension, le mot sauve. Mieux : il redonne à l’enfance sa dignité perdue.

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