
L’originalité du projet s’est affirmée par le pouvoir émotionnel des langages musical et corporel qui ont fusionné. Une ovation debout a suivi cette représentation qui a montré le ballet tunisien dans toute sa magnificence.
La Presse — Après l’opéra Carmen chanté en français, puis en dialecte tunisien, le Théâtre de l’Opéra de Tunis a fait sa rentrée culturelle le 20 septembre avec un nouveau dérivé de la célèbre œuvre de Bizet, présentée pour la première fois en Tunisie : « Carmen Dansé ». Il s’agit cette fois d’une nouvelle Carmen, ancrée dans notre époque, tout en conservant son aura mythique de passion dévorante.
Les Tunisiens et l’Opéra : l’amour continue
La représentation a eu lieu au Théâtre des régions dont la capacité d’accueil ne dépasse pas 700 places. La file d’attente s’est déjà étendue une heure avant le début du spectacle. L’engouement de la foule présente était palpable vu que le spectacle s’annonce impressionnant dans son ensemble. Cependant, quelques problèmes d’organisation qui accompagnent souvent les événements attirant un large public sont venus ternir l’expérience.
Au final, un grand nombre de personnes n’ont pas pu entrer faute de places disponibles. On leur a promis le remboursement des billets, dont le prix était abordable, à seulement 25 dinars. La déception d’une soirée de week-end gâchée reste quand même présente.
Mme Syhem Belkhodja, actuellement à la tête du Centre chorégraphique de danse de l’Opéra de Tunis, a présenté ses excuses dans son mot de bienvenue. Selon elle, l’afflux du public était imprévisible, d’autant plus que le spectacle n’avait été annoncé que quatre jours avant la représentation.
Il est clair que les Tunisiens et l’Opéra entretiennent une longue histoire d’amour déjà attestée par le grand succès des œuvres précédentes. Une plus grande salle aurait dû être réservée.
Ce ballet a été produit par l’Opéra de Tunis dans le but de « constituer un répertoire tunisien répondant aux critères de la programmation mondiale dans les arts chorégraphiques et opératiques ». Tous les danseurs qui y ont participé sont tunisiens.
« Vous avez été 20.000 à voir l’Opéra Carmen », a lancé Mme Belkhodja. Elle a ensuite raconté que ce ballet a fait le tour de nombreuses scènes européennes prestigieuses. Au total, quarante spectacles ont été donnés à l’étranger, toujours selon Mme Belkhodja. Douze mille spectateurs ont été présents. On pourrait se demander pourquoi cette production tunisienne avec des artistes tunisiens a-t-elle mis autant de temps avant d’atterrir chez nous ?
Vingt autres dates sont encore prévues hors frontières. Mme Belkhodja a également annoncé deux projets grandioses en vue « Didon est née » et « Mme Butterfly ».
Une touche d’originalité fortement présente
Pour le spectacle créé en 2024, l’Orchestre symphonique tunisien, qui a assuré le volet musical avec brio, a déjà été accompagné par le ballet de l’opéra de Tunis. Le même chorégraphe et metteur en scène franco-tunisien Sofiene Abou Lagraâ revient pour une nouvelle version où ce sont les mouvements du corps qui racontent cette fois la passion destructrice entre la célèbre gitane et Don José.
Dans un décor minimaliste et sur une musique de l’Opéra Carmen, quatorze danseurs tunisiens ont incarné les différentes scènes. Entre sensualité, bonheur, désillusion et violence, la tension dramatique de la pièce était magnifiquement rendue par la chorégraphie. Elle se faisait, à chaque instant, le parfait écho des notes musicales, allant bien au-delà d’une simple illustration.
Le célèbre air « L’amour est un oiseau rebelle » a été vivement applaudi, en tant que morceau emblématique de l’opéra. Pour le reste du spectacle, la danse et la musique ont dominé le chant, comme il est difficile de condenser l’ensemble de l’œuvre de Carmen en seulement une heure.
Cette version s’est démarquée par une approche résolument contemporaine, illustrant la vision résolument innovante des créateurs du spectacle. Un élan de renouveau est palpable d’abord à travers les costumes mêlant tradition et modernité. Carmen n’apparaît plus seulement en robe de gitane.
Elle se réinvente avec une allure plus actuelle, à travers ses tenues, mais aussi dans ses gestes séducteurs. Une chorégraphie audacieuse intégrant des chaises a particulièrement bousculé les codes classiques. Pourtant, l’essence de cette femme fatale demeure intacte, toujours insaisissable et envoûtante, fidèle à l’esprit de l’œuvre de Bizet.
Un extrait de la bande sonore originale a été remixé, apportant une touche de musique électronique qui s’est parfaitement intégrée dans les notes classiques.
Ce choix, loin de trahir l’œuvre, modernise la pièce tout en insufflant une énergie nouvelle au service de la narration chorégraphique. Il nous rappelle la reprise tunisienne des Quatre saisons de Vivaldi, « Le mariage du loup », où les créateurs du spectacle ont également misé sur une modernisation de l’univers sonore.
Et, comme Carmen est devenue nôtre, un texte poétique en dialecte tunisien a accompagné une scène qui décrit la beauté de la gitane. Les mots et la lecture suggéraient le portrait de celle qui, bien qu’omniprésente tout au long de la pièce, ne se dévoilait jamais vraiment.
A mesure que le spectacle avance, l’originalité du projet s’est donc affirmée par le pouvoir émotif des langages musical et corporel qui ont fusionné.
Une ovation debout a suivi cette représentation qui a montré le ballet tunisien dans toute sa magnificence. Une prochaine date est annoncée, aux Pays-Bas cette fois. Nous restons quand même dans l’attente d’un cycle de représentations chez nous, qui fera certes le bonheur de ceux qui ont raté cette soirée.