
La Presse — Dans un contexte marqué par les tensions monétaires, les fortes pressions sur le pouvoir d’achat, il est essentiel de se pencher sur les moyens de relancer la machine sociale, complètement grippée. Malgré les améliorations au niveau de l’inflation depuis 2023, les craintes de la voir grimper ressurgissent. Les mesures comme le réajustement du Smig doivent être remises sur la table, comme souvent ces dernières années, mais au prix fort.
En effet, le niveau de vie peu décent des Tunisiens moyens déjà érodé, ne peut pas continuer à persister sachant que leurs concitoyens smigards sont dans le top 10 mondial des plus bas salaires minimums.
La question du Salaire minimum interprofessionnel garanti (Smig) en Tunisie est au cœur des débats économiques et sociaux. Son évolution, limitée à environ 6% par an, est jugée largement insuffisante pour faire face à l’inflation galopante et à la détérioration du pouvoir d’achat.
Beaucoup d’experts et d’acteurs sociaux s’accordent à dire qu’une simple augmentation ne suffit plus, une revalorisation drastique, voire un doublement ou un triplement, est nécessaire pour véritablement relancer l’économie par la consommation et assurer une dignité sociale minimale aux travailleurs tunisiens. Le Smig actuel, bien que ajusté annuellement, maintient de nombreux ménages dans une précarité alarmante.
Pour les bas salaires, l’augmentation annuelle de 6% est immédiatement absorbée par la hausse des prix des produits de première nécessité, du transport et du logement. Cette situation crée une pression sociale intense et alimente les inégalités.
Pour une meilleure justice sociale
Augmenter significativement le SMIG est avant tout une question de justice sociale. Un travail à temps plein doit garantir un niveau de vie décent. Un Smig doublé ou triplé permettrait de réduire la pauvreté, en extirpant des milliers de familles de la zone de pauvreté ou de vulnérabilité ; d’améliorer la santé et l’éducation, afin de permettre aux ménages d’accéder à de meilleurs soins de santé et d’investir dans l’éducation de leurs enfants ; restaurer la dignité en affirmant que la valeur du travail est reconnue et qu’elle permet de couvrir les besoins fondamentaux.
Contrairement à l’idée reçue qu’une forte hausse du Smig mènerait inéluctablement à l’inflation et aux licenciements, une augmentation stratégique peut avoir des effets bénéfiques sur l’économie globale. A condition de booster la consommation des produits essentiels, notamment locaux.
Stimuler la consommation intérieure
Les ménages à faibles revenus ont une propension marginale à consommer élevée, ce qui signifie qu’ils dépensent la quasi-totalité de leurs revenus supplémentaires. Une augmentation substantielle du Smig se traduirait directement par une injection de liquidités dans l’économie et une augmentation de la demande intérieure pour les produits et services locaux.
La croissance des PME et l’amélioration de la productivité dressent généralement un meilleur tableau social. Les petites et moyennes entreprises (PME) qui dépendent du marché intérieur verraient leurs ventes augmenter. De meilleures conditions salariales peuvent conduire à une plus grande motivation et à une réduction du turnover soit la rotation du personnel, augmentant ainsi la productivité globale.
Leviers opérationnels pour renforcer le Smig
Une revalorisation aussi ambitieuse nécessite un plan d’action multisectoriel qui englobe la négociation sociale, le soutien aux entreprises et la réforme fiscale. Le gouvernement, l’Union générale tunisienne du travail (Ugtt) et l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica) doivent s’engager dans un dialogue social franc visant un objectif chiffré et ambitieux pour le Smig, indexé sur le coût réel de la vie et non sur des projections inflationnistes minimalistes.
Pour éviter que le coût du travail ne pèse trop lourdement sur les entreprises, notamment les PME les moins solides, des mécanismes de compensation temporaire doivent être envisagés. L’allègement des charges sociales traduirait une réduction ou une exonération temporaire des cotisations patronales sur les bas salaires. L’incitation fiscale doit être encouragée, avec des crédits d’impôt pour les entreprises augmentant significativement leurs salaires minimums au-delà du seuil légal.
Le financement de cette hausse sociale doit passer par une réforme fiscale qui assure une répartition plus juste des richesses, avec la lutte contre la fraude fiscale, en vue de renforcer les efforts pour récupérer les impayés et traquer l’évasion fiscale. L’impôt sur les sociétés progressif doit assurer que les grandes entreprises et les secteurs les plus rentables contribuent davantage à l’effort national.
Le renforcement du Smig en Tunisie n’est pas un simple ajustement comptable, c’est un choix de société. C’est le pari d’une économie plus solide, tirée par le bas, et d’une société plus juste où le travail paie décemment. La Tunisie a besoin d’un choc social positif pour retrouver le chemin de la croissance et de la stabilité.
Depuis le 1er janvier 2025, le Smig est fixé pour le régime de 48 heures à 528,320 dinars. Celui du régime de 40 heures est passé à 448,238 dinars. En ce qui concerne les salaires des travailleurs payés à l’heure pour le régime de 48 heures, ils bénéficient de 2,540 dinars chaque heure travaillée.