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Monastir : une mer noire étouffe sous les déchets

Plage monastir

Des eaux stagnantes noires, des odeurs suffocantes, des plages désertées, et des barques de pêche abandonnées… Le golfe de Monastir, autrefois joyau du littoral tunisien et vivier de biodiversité, est aujourd’hui méconnaissable. Transformé en zone sinistrée, il paie le prix de décennies de pollution industrielle et domestique incontrôlée.

Depuis plus de vingt ans, cette étendue de 1 700 hectares, bordant sept villes (Monastir, Khniss, Ksibet el-Médiouni, Lamta, Sayada, Teboulba et Bekalta), se détériore inexorablement, victime d’un modèle de développement qualifié de « prédateur » par la société civile.
“Le golfe de Monastir est le miroir d’un échec collectif”, déplore Monir Hsine, président du Forum économique et social (FES) local. “Les rejets des industries textiles et des eaux usées non traitées ont provoqué une catastrophe écologique sans précédent”.

Une infrastructure dépassée de plus de 400 %

Selon l’ONAS (Office national de l’assainissement), la station d’épuration de Lamta-Sayada-Bouhjar, construite en 1993 pour traiter 1 660 m³/jour, traite aujourd’hui plus de 6 000 m³. Conçue pour trois communes, elle en dessert désormais six.
“Nous fonctionnons à plus de 400 % de notre capacité. Même les rejets industriels ne peuvent plus être traités correctement”, alerte Rachida Cherada, responsable de l’analyse des rejets industriels à l’ONAS.

Résultat : des effluents domestiques et industriels se déversent directement dans la mer, créant une nappe noire visible depuis les hauteurs de Monastir.

Les conséquences sont dramatiques pour la santé publique et l’économie locale. Les pêcheurs abandonnent leur activité. Les plages sont désertées. Et les habitants témoignent de nuisances quotidiennes : odeurs insupportables, allergies, maladies respiratoires.
“Nos enfants tombent malades. Nous ne pouvons plus ouvrir les fenêtres”, confie un habitant de Lamta.

Des études locales confirment une hausse alarmante des affections dermatologiques et pulmonaires, notamment chez les riverains et les professionnels de la mer.

Responsabilités partagées, solutions bloquées

Mustapha Ben Tekia, président de l’Union régionale de l’industrie et du commerce, reconnaît que la faiblesse du contrôle et l’absence de régulation ont aggravé la situation : “Des centaines d’ateliers et de stations de lavage fonctionnent sans autorisation. Certaines polluent plus que vingt entreprises industrielles réunies”.

Plusieurs projets d’assainissement ont été proposés, dont une nouvelle station modulaire à Lamta (1 000 m³/jour), et deux stations industrielles à Moknine et au pôle technologique de Monastir. Mais faute de financements, tout est à l’arrêt.

L’étude initiale, lancée en 2002, estimait le coût à 35 millions de dinars. Aujourd’hui, il dépasse 125 millions, selon l’ONAS. Le coût total des projets prioritaires dépasse 190 millions de dinars.

Le président de la République, en visite surprise le 10 juillet 2025, a qualifié la situation de “crime environnemental”, appelant à des mesures immédiates. Il a rappelé que le droit à un environnement sain est inscrit dans la Constitution.

Depuis, un conseil régional a été convoqué. Le ministère de l’Environnement assure que les dossiers techniques sont prêts, que les financements sont en cours de mobilisation et que les travaux seront lancés dès que possible.

Mais sur le terrain, l’urgence est déjà là. Chaque jour qui passe creuse un peu plus la tombe écologique du golfe de Monastir, autrefois mer nourricière, aujourd’hui bassin de déchets.

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