
La Presse — L’actualité ces derniers jours a braqué les feux de la rampe sur Gabès suite à une série de tristes accidents consécutifs aux émanations de gaz toxiques qui ont provoqué des difficultés respiratoires à de nombreuses personnes, plus particulièrement à des élèves d’établissements scolaires implantés dans le voisinage des usines d’industries chimiques de la région.
Parmi les réactions enregistrées chez les citoyens, il en est une qui a fortement attiré mon attention, le témoignage du citoyen Ali B. Khémaïs B. Kilani B. Cheikh Boubaker, recueilli apparemment par une radio locale et diffusé sur les réseaux sociaux sous forme de vidéo. Ce citoyen a travaillé au début des années 1970 en tant que «technicien» sur le chantier qui a donné naissance à la future unité de production d’acide phosphorique et d’engrais à partir du phosphate en provenance de la région de Gafsa.
Destination promue sur le marché européen dès le début du XX° siècle en tant que produit idéal pour «hivernage»
Dans un excellent français, il raconte le jour où, les travaux étant achevés, un certain «Monsieur Brunnel», chef de ce chantier, lui a demandé de faire installer deux échelles «en allu» pour accéder à la terrasse du bâtiment administratif. Une fois sur place, il a balayé du regard l’incomparable panorama qui s’offrait à eux et qui embrassait la foisonnante oasis et la mer, soupirant : «Je ne comprends pas qu’on ait choisi un tel lieu pour implanter une unité pareille.
Ç’en sera fini d’un tel paradis une fois l’usine entrée en production. Il n’y aura plus que désolation, destructions, mauvaises senteurs et maladies». Le Tunisien, plutôt fier de la réalisation, lui suggéra alors : «N’exagérez-vous pas ?». Son patron lui a rétorqué. «Ce n’est pas la première unité de ce genre que je construis. Et je sais ce qu’il en est par la suite».
Ce témoignage m’a tout de suite renvoyé à mon premier contact avec la ville de Gabès et sa région. C’était vers 1967. J’ai le souvenir d’une paisible grosse bourgade enlacée par son oasis et bercée par l’onde caressante de son golfe. Elle tirait subsistance des produits de son oasis, nombreux, variés, de qualité et étalés sur l’année.
La mer lui fournissait en abondance ses produits d’un goût incomparable et d’une variété inégalée. Ne surnommait-on pas alors le Golfe de Gabès de «pouponnière de la Méditerranée» parce que pour ainsi dire toutes les espèces marines de notre mer, en particulier les plus belles variétés de crevettes, y venaient frayer en saison de reproduction.
«M. Muller», vétérinaire allemand installé dans notre pays et fondateur du parc zoologique du Belvédère, à Tunis, était tout juste venu à Gabès pour y initier la mise en place d’un élevage de crocodiles et que l’establishment local s’est ingénié à faire capoter ! Et, bien entendu, j’ai le souvenir vivace de l’arrière-pays avec Chénini de Gabès, unique oasis maritime au monde, avec les sources thermales (el-Hamma), l’artisanat du mergoum d’Oudref, ses villages berbères (troglodytes et ksours) tapis dans les replis du Dhahar.
Une telle richesse patrimoniale naturelle et culturelle explique que Gabès a été l’un des premiers pôles touristiques de notre pays (avec Tozeur). Cette destination était promue sur le marché européen au début du XX° siècle en tant que produit idéal pour «hivernage», c’est-à-dire pour un séjour prolongé en période de grands froids européens.
C’est de ce produit-là que nous avons disposé jusque cette année fatidique de 1972.
(A suivre)