La Presse — A la mort de Claudia Cardinale, les chaînes télé ont rediffusé tous ses films, j’ai revu avec plaisir et grand intérêt, « Il était une fois à l’Ouest » de Sergio Leone. Les amateurs vous citeront sans difficulté les acteurs, le réalisateur, ils reconnaîtront même la musique, mais buteront sur le nom du compositeur.
Fait-on assez attention à la musique des films ? Apparemment non. Demandez dans votre entourage de citer l’auteur de musique de tel ou tel film aussi célèbre soit-il, vous en saurez plus sur notre méconnaissance du sujet. Quelques musiciens se sont imposés par leur talent et leur originalité sur la scène (John Williams, John Barry, Nino Rota, etc.), mais celui qui s’est distingué et a imprimé une trace, grâce à son style singulier, reconnaissable, archétypal, c’est bien Ennio Morricone. Il suffisait de quelques notes pour reconnaître sa signature. Aujourd’hui encore, ses mélodies continuent d’habiter la mémoire collective
Compositeur de génie, né à Rome en 1928, il a transformé la musique de films en un art à part entière. Son œuvre, immense, traverse les genres, les époques et les frontières.
Et dire qu’enfant il voulait être médecin, pour le bonheur des cinéphiles et le sien, son père, trompettiste de métier, l’en a dissuadé. « Je me nourris avec cet instrument, tu devrais faire pareil pour nourrir ta famille ». Ennio n’aimait pas, il arrivait dans la fosse avec cet instrument et dormait. Fils obéissant il apprendra à jouer de la trompette, qu’il intégrera plus tard dans plusieurs films. A l’armée, il est naturellement intégré à la fanfare.
Diplômé du Conservatoire de Rome où il étudie la composition sous la direction de Roberto Saviano, nourri de la musique de Bach (d’où l’usage fréquent du contrepoint dans sa musique), de Monteverdi… et surtout de Stravinski, il écrivait des compositions qu’il ne montrait pas. Ses professeurs dont Petrassi n’appréciaient pas la musique de films, considérée comme mineure.
Sa rencontre avec le réalisateur Sergio Leone marque un tournant décisif ; ils découvrent qu’enfants, ils étaient à la même école, d’où leur amitié et leur complicité. Ensemble, ils signent les bandes originales de « Pour une poignée de dollars », un succès populaire, auquel la musique de Morricone a contribué. Suivirent dans le même esprit (western spaghetti), « Le Bon, la Brute et le Truand » ou encore « Il était une fois dans l’Ouest ».
Ces films, devenus cultes, doivent autant à leurs images qu’à leurs musiques. Le compositeur y mêle guitare électrique, cris, sifflements, harmonica et percussions insolites, créant une atmosphère unique, à la fois lyrique et sauvage ; un sifflement, un coup de fouet, une trompette solitaire : Ennio Morricone n’avait pas besoin d’images pour raconter une histoire.
Mais réduire Morricone au western spaghetti serait injuste. L’Italien, dans son atelier, écoute la musique classique, son crayon, sa gomme à la main et ses partitions à créer, il compose des morceaux classiques et des commandes, la tête pleine de notes et d’accords. Il a collaboré avec les plus grands cinéastes, de Bernardo Bertolucci à Brian De Palma, en passant par Terrence Malick, Roman Polanski ou Giuseppe Tornatore. Son génie résidait dans sa capacité à s’adapter à chaque univers sans jamais perdre sa touche personnelle.
La mélodie de Cinema Paradiso, par exemple, reste l’une des plus émouvantes de l’histoire du septième art : un hommage à l’enfance et à la magie du cinéma lui-même.
En plus de six décennies de carrière, Morricone a composé plus de cinq cents bandes originales et vendu des millions d’albums. Malgré une reconnaissance tardive de l’Académie hollywoodienne, il finit par recevoir un oscar d’honneur en 2007, puis la statuette du meilleur compositeur pour « Les Huit Salopards » de Quentin Tarantino en 2016.Joueur d’échecs de haut niveau, discret, rigoureux, profondément attaché à la musique classique, Morricone dirigeait encore des orchestres à plus de 80 ans. Sa mort, en juillet 2020, a suscité une vague d’émotion mondiale. De Rome à Hollywood, musiciens, cinéastes et spectateurs ont salué celui qui, par ses notes, avait su faire pleurer, frissonner ou rêver des générations entières.Ennio Morricone n’écrivait pas seulement pour le cinéma : il composait pour les âmes de ses personnages.
