Poignant de sincérité, cru dans ses propos et radical dans son exercice.
Dans la compétition officielle des JCC, figure « Fathallah TV, 10 ans et une révolution plus tard» de Wided Zoghlami, film singulier qui porte en lui le questionnement d’une jeunesse en devenir, face à l’incertain, à l’absence de perspective et à qui seuls l’art et la musique apportent une bouffée d’oxygène. Poignant de sincérité, cru dans ses propos, radical dans son exercice et étrangement bouleversant.
On ne sort pas indemne de Fathallah TV, on retrouve ses premiers coups durs que nous donne la vie, les premières amertumes, les douleurs de l’impuissance quand toutes les portes se ferment, quand la patrie devient une grande prison à ciel ouvert. Première œuvre de Wided Zoghlami, elle qui n’a fait durant dix ans que rêver ce film et pas seulement. Elle l’a vécu, porté à bras-le-corps, car l’affect se croise avec l’artistique et le coup de cœur se conjugue au coup de gueule et au coup d’œil. Wided se raconte dans ce film, raconte Tiga, Paza et Halim…raconte l’amour de la musique, une musique que rien ne retenait. Cinq destins de jeunes, un quartier, une décennie, une révolution, ses espoirs d’avant, ses déceptions d’après. Un aller- retour de 2007-2017, de la dictature à la démocratie.
Ce n’est pas un film sur un groupe de musique, ni l’histoire d’un artiste, nous ne sommes pas dans la fiction, ni dans le documentaire bien soigné, qui calcule son coup pour bien percuter. C’est un film que nous voyons devenir avec ses protagonistes qui y participent, et son auteure filme comme si on écrivait son journal intime. Car de l’intime il y en avait, et entre Wided et Halim, c’est une passion qui les a dévorés, un bout de chemin fait ensemble, deux artistes-nés en même temps que le film se faisait. Et Fathallah comme lieu, ce quartier à deux stations du centre-ville mais un ghetto pour ses enfants.
La caméra n’est pas invasive, la caméra est amicale, celle de l’amie qui fait son film ou qui filme au gré de ce que le destin leur réserve à eux tous comme surprises. Parler d’espoir, de désespoir, montrer sa fragilité face à la caméra n’est pas chose facile, mais le regard tendre de cette jeune fille sur ses amis rend les choses possibles. Elle est présence au même titre qu’eux (peut-on parler ici de personnages quand la réalisatrice fait partie de l’histoire ? ) Des apartés, des coups de gueule, des confidences, le regard que l’on porte sur soi, sur les autres, sur l’autorité, le pouvoir, le flic est la grammaire d’un film où l’on s’aime, se rejette, se sépare et se retrouve, la vie réelle devient une partie du film, le vécu en est une importante constituante et l’on souffre, et on s’essouffle pour reprendre son souffle et reprendre le rythme.
Dix ans sont passés depuis le premier regard, la première rencontre, une révolution est aussi passée, laissant les choses inchangées. Taza, Tiga, Halim et les autres, chacun a fait son bonhomme de chemin, la musique reste le leitmotiv de leur vie…on déménage, on voyage, on change de vie, Fathallah reste là, immuable témoin de son temps et des âmes égarées qui n’ont pas encore retrouvé leur chemin.
Dix années aussi ont suffi à Wided Zoghlami pour grandir, pour faire le tour et de dire stop à la caméra et décider la fin de tournage. « Nous ne sommes plus ces jeunes de 20 ans sur la plage de Hammam Ghezaz le temps d’un festival quasi clandestin où une part de liberté se réservait une place », semblent nous dire ces visages familiers.
De ces 10 années, un film est né, mais aussi des artistes aujourd’hui à la carrière confirmée.
« Fathallah TV » tire sa force de sa structure compacte qui donne du fil à retordre aux critiques qui voudraient disséquer ses éléments et en faire l’analyse…c’est une boule sans contours qui porte dans son noyau le condensé d’une vie, de la musique et du cinéma avec tout l’amour qui va avec. L’intime, le personnel, l’amical et l’artistique fusionnent et c’est bien ainsi.