Industrie manufacturière – Industrie automobile : Vers une montée en puissance


Tout le monde nous compare au Maroc. Mais si notre voisin nous a dépassés dans l’industrialisation des voitures, néanmoins nous avons des fleurons qui s’illustrent non seulement sur le plan régional mais aussi international.


Après l’arrêt en 1987 par la Stia (Société tunisienne d’industrie automobile) du montage des voitures privées, l’industrie automobile s’est limitée aux véhicules utilitaires et le pays a perdu la capacité de produire ou assembler des voitures particulières. Après trois décennies, cette industrie renaît de ses cendres grâce à la volonté et à la détermination des investisseurs locaux, qui visent à faire de la Tunisie une plateforme stratégique de production et d’exportation des véhicules vers les quatre coins du monde. Prendre le risque, investir, innover, créer… Ces termes qui ont une valeur de taille sont, bel et bien, le maître des mots de nos investisseurs qui veulent bâtir notre futur et comptent mettre la barre encore plus haut pour créer une vraie industrie nationale de l’automobile.

Wallyscar, l’impossible n’est pas Tunisien
Le rêve de l’enfance des frères Guiga, Omar et Zied, était de construire un véhicule de plaisance de nationalité tunisienne. Leur idée ne s’est pas faite sur une opportunité de business, mais elle est née de la passion de l’automobile. En 2006, les deux frères ont fondé la société avec un capital ne dépassant pas les 150 mille dinars et ont débuté le travail de conception dans un modeste atelier de Tunis. Leur chemin n’était pas sans obstacles ou sans doutes. Le premier problème rencontré était le vide juridique en la matière, pour passer ensuite à la complexité des procédures administratives et arriver en 2008, à l’interdiction de la commercialisation de la Wallyscar en Tunisie.

Face à ces obstacles, les jeunes investisseurs se sont orientés vers le marché européen pour exporter vers la France, l’Italie, l’Espagne… Pendant cette même année, ils ont participé au Salon de l’automobile à Paris où le premier modèle de la Wallys Izis a connu un franc succès et a réalisé un nombre important de demandes (réservations et commandes fermes), de près de 30 pays. Après la Révolution, les frères Guiga ont redéposé le dossier auprès des ministères du Transport et du Commerce et ont eu leur accord en 2013 pour pouvoir vendre la Wallyscar en Tunisie. A partir de 2017, ils ont lancé le modèle Wallys Iris qui est destiné principalement au marché national (seulement 40% de leur production est destinée à l’export).

La deuxième difficulté majeure rencontrée par les frères Guiga était le développement d’un écosystème industriel automobile qui aurait un pouvoir structurant sur l’économie nationale. Leur vrai challenge était de trouver les composants tunisiens (les gens qui travaillent le câblage, les carrosseries de qualité, les châssis …) et le savoir-faire tunisien. Pour le petit constructeur, il est difficile de convaincre les fournisseurs qui produisent des centaines de milliers de pièces d’en vendre uniquement une centaine.

Donc, leur défi majeur était de trouver des fournisseurs en Tunisie, qui acceptent de livrer de petites quantités. Mais grâce à la recherche et à la communication, il était très utile de réunir les gens et de leur demander de rêver avec eux pour dessiner leur futur et le transformer en une réalité. La preuve : Wallys propose aujourd’hui un véhicule entièrement conçu et produit en Tunisie. Cet engagement environnemental et sociétal est inscrit dans les gènes de la société. Preuve de cet engagement, 57% des composants utilisés dans la production des véhicules Wallys sont produits localement et la marque Wallys est devenue le premier et l’unique constructeur automobile en Tunisie. Aujourd’hui, les deux jeunes investisseurs comptent lancer un pick-up avec un taux d’intégration de 70% tunisien. 90% des véhicules produits seront lancés sur le marché national pendant la première année avec une augmentation annuelle de production de 50%. Il est également prévu de lancer une Citadine 4 portes, destinée aux étudiants. Sa sortie est prévue entre 2020 et 2021. Pour la première année, il est prévu de vendre 300 véhicules. Pour le troisième modèle, il s’agit d’une voiture 100% électrique qui va être à 90% destinée à l’export. Cet emblème des transports de demain est fortement demandé en France par les municipalités, les mairies, les marinas…Le lancement de ce modèle écologique est prévu pour la fin de cette année avec une capacité de production de 150 véhicules par an. D’ici 2023, sur l’ensemble de leur gamme, ils auront une capacité de production d’environ 3.000 véhicules par an contre un seul modèle actuellement (la Wallys Iris qui est à un taux d’intégration de 57%) et 250 véhicules vendus actuellement en Tunisie et ailleurs.

Après une aventure compliquée et passionnante, les frères Guiga vont, finalement, avoir les moyens de leurs ambitions, grâce à une levée de fonds de 10 millions de dinars auprès du fonds d’investissement Ekuity Capital. Aujourd’hui, le principal souci du constructeur tunisien de véhicules de loisirs réside dans les capacités de production ; la demande se situe aujourd’hui entre 1.000 à 2.000 véhicules par an alors que le constructeur n’est en mesure de produire que 300 véhicules à l’année.

Wallyscar va donc ériger une nouvelle usine en face de l’actuelle, ce qui demandera un an de chantier environ avec comme objectif principal de passer de 300 à 1.000 voitures fabriquées par an, un tel volume pourrait être atteint fin 2021. Seconde raison ayant mené à une levée de fonds, les ambitions ! Les deux frères ont 3 modèles à lancer, dont l’un est électrique, ce qui nécessite évidemment de lourds investissements en matière de recherche et développement. Concernant la commercialisation de la Wallys, le constructeur national exporte vers le bassin méditerranéen. Les 300 véhicules produits chaque année par Wallyscar sont distribués à 90% en Tunisie alors que les 10% restants vont au Maroc, au Yémen, dans le sud de la France et un peu en Espagne.

Mais pour le continent noir, il faut connaître ce marché qui est composé de 90% de véhicules d’occasion. Pour eux, c’est beaucoup plus facile de vendre un Wallys à un Européen qui comprend le véhicule et qui a les moyens pour l’acheter, que d’utiliser énormément d’énergie avec certains pays d’Afrique, un marché qui n’est pas encore leur cible.

Mise en place d’une plateforme d’exportation de véhicules
L’homme d’affaires, Hafedh Zouari, était l’un des premiers à bouder les Européens en se tournant vers l’Asie. En inaugurant en 2018, dans la région de Sousse, la nouvelle chaîne d’assemblage de voitures particulières de la marque Geely, Zouari a réussi à relancer le montage des voitures privées, dont l’objectif est de redonner vie à l’industrie automobile locale. Cette implantation pourrait traduire le début d’une industrie de construction automobile, mais cela dépendra essentiellement de l’existence d’une vraie volonté politique, une vision claire et une stratégie sectorielle capable de fixer les objectifs et mettre en place toutes sortes de mécanismes pour les atteindre.

Pour la première Geely assemblée en Tunisie, il s’agit d’une nouvelle étape du partenariat noué entre Medicars et le géant chinois Geely, premier constructeur automobile privé de Chine, propriétaire de Volvo Cars, et actionnaire majoritaire de la prestigieuse firme allemande Daimler AG. Il s’agit d’un investissement total de 21 millions de dinars. En vertu de ce partenariat, Medicars assurera l’assemblage de différents modèles de voitures particulières de la marque Geely. Ceci représente une première en Tunisie, depuis l’arrêt de l’activité de montage de voitures de la Stia en 1987.

Aujourd’hui, et grâce aux efforts de toute l’équipe de Medicars, la Tunisie retrouve sa capacité de produire des voitures particulières. Si le point de départ est d’assurer le montage de 1.500 à 2.000 unités par an pour couvrir les besoins du marché tunisien, c’est surtout vers l’export que s’intéresse le plus Zouari. L’objectif de ce partenariat est, donc, de faire de la Tunisie une plateforme d’exportation vers l’Afrique. Mais sans le développement en parallèle du tissu industriel des composants automobiles, on ne peut pas atteindre un taux d’intégration lui permettant d’exporter. Aujourd’hui, Geely est propriétaire de Volvo et actionnaire majoritaire de Daimler, pour dire que ses véhicules ont tout pour acquérir le marché africain, et pas seulement. L’homme d’affaires attend beaucoup de ce partenariat tuniso-chinois, qui avec le soutien du gouvernement, pourra attirer son partenaire à investir directement avec eux pour l’élaboration d’une plateforme d’exportation.

Mais pour certains, le pari de l’industrie automobile serait difficile à l’heure où l’industrie locale ne répond qu’à l’inverse de ses voisins maghrébins. Face à ce défi, Zouari indique qu’il a créé sa société industrielle Medicars en mars 2012, un an après la Révolution, une période où les investissements étaient quasi nuls, et où le climat des affaires en Tunisie n’était pas du tout propice à l’investissement. Aujourd’hui, et après des investissements totaux de l’ordre de 40MDT, il estime que c’est un pari gagné, et il compte bien continuer à investir, encore et toujours, parce qu’il le faut pour acquérir le savoir-faire, grâce au transfert technologique dont il bénéficie via ses différents partenaires chinois, coréens et indiens.

Cela est nécessaire pour avancer sur le chemin de la création d’une industrie de construction automobile tunisienne.
Pour améliorer la compétitivité du site Tunisie, l’homme d’affaires indique que deux actions très importantes sont à faire. D’abord, il faut se débarrasser à jamais de la bureaucratie. Malgré quelques mesures dans ce sens, à l’instar du décret gouvernemental n°417 du 11 mai 2018, beaucoup de difficultés persistent en face de l’investisseur, que ce soit local ou étranger. Deuxièmement, il faut améliorer l’infrastructure logistique. A titre d’exemple, en retardant à chaque fois le projet du port en eaux profondes d’Ennfidha depuis des années, la Tunisie est malheureusement aujourd’hui à la traîne du point de vue logistique, et accuse un retard handicapant comparativement à nos voisins maghrébins, ce qui constitue véritablement un frein pour attirer les investissements étrangers et leurs mégaprojets, dont la Tunisie a grandement besoin pour son développement et pour sortir de sa crise actuelle.

Pour ses projets futurs, il affirme qu’avec des partenaires tels que Geely et Mahindra, il compte se développer davantage au niveau industriel. Son projet phare est d’arriver à mettre en place une plateforme d’exportation de véhicules d’ici 2023, avec l’espoir de pousser tous les opérateurs du secteur de fabrication de composants automobiles à se développer eux aussi et à créer des synergies capables de créer de la croissance. Ce projet nécessite un investissement de près de 100 MD et devrait créer 500 emplois directs et indirects.

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