Entretien avec Moncef Zahrouni, dramaturge et metteur en scène de TranstyX à El Teatro : «Pour un public tolérant et dans l’acceptation de l’autre»

A El Teatro, le premier cycle de représentations théâtrales de «TranstyX» s’est déroulé du 18 au 21 décembre. Quatre rendez-vous qui ont drainé un large public. Focus sur cette création avec à l’affiche les deux actrices Sonia Hedhili et Amina Ben Doua, signée Moncef Zahrouni, un jeune dramaturge et metteur en scène qui traite ici de la Transidentité.

Moncef Zahrouni, pourriez-vous vous présenter ?
Je fais deux choses dans la vie : je suis manager support technique, sinon je m’initie à l’art et à des activités culturelles diverses en parallèle : dans ce contexte, je ne vais pas dire que je suis passé de l’amateurisme au professionnel parce que derrière «TranstyX», il y a des sponsors, tout un budget, une équipe de 18 personnes professionnelles. En tout cas professionnel ou pas, je ne me catalogue pas comme étant une personne professionnelle dans l’art. Je fais du théâtre depuis des années, je suis aussi l’associé de ma sœur sur un projet musical qui s’appelle «Millenium Capella».

Et par «Art» ou «Activité culturelle», vous virez plus vers le théâtre…
Non, pas nécessairement ! L’art me permet d’utiliser plusieurs formes artistiques. Donc, par exemple, là on fait une pièce de théâtre mais pas que : parce qu’avec ma sœur, on a fait la bande originale de la pièce, donc cela me permet de faire de la musique et me permet d’écrire des textes prosaïques, des poèmes, etc. J’aime beaucoup la vidéographie : 2D, 3D… D’ailleurs dans cette pièce on fait beaucoup de vidéos, et je suis en train de piloter les équipes des personnes qui travaillent sur les vidéos. Pour la création de 2017, j’ai créé les vidéos d’une œuvre réalisée à El Teatro «Nos amis les humains», mais là c’est un peu plus grand, plus sophistiqué et je n’ai pas beaucoup de temps : on voulait vraiment avoir plusieurs artistes donc je ne voulais pas monopoliser toutes les casquettes comme je le faisais auparavant. De plus, si je le fais, ça va me prendre beaucoup plus de temps pour produire. Et puis, le jeu d’acteurs… Le cinéma offre aussi plusieurs possibilités, donc un virage cinématographique, plus tard, n’est pas à exclure. (Sourire) .

Parlez-nous de la genèse de ce projet… Du processus de sa création.
Il a commencé en 2018 lorsqu’une amie à moi m’a envoyé une vidéo, celle d’un passage télé d’un homme trans, qui est passé sur une chaîne tunisienne très connue sur un programme très suivi. L’animateur vedette de l‘émission avait beaucoup de mal à comprendre la personne, à utiliser les bons pronoms, les bonnes terminologies, en plus, on a mélangé tous les pinceaux en faisant appel à un mufti pour donner son avis et qui ne comprenait pas trop aussi ce qui se passait : Trans, Intersexe… Les expressions, les mots et leurs définitions se mélangeaient… Presque tout le monde était dans le même sac et l’interprétation allait plus dans le sens religieux… J’étais révolté, c’était exécrable et on donnait une mauvaise image des personnes trans : c’était très mal expliqué…

C’est déjà très bien d’avoir un public qui soit tolérant et dans l’acceptation de l’autre

Alors, j’ai voulu faire quelque chose en commençant à écrire une chanson, ou un texte poétique, après je me suis dit que ça n’allait pas être une bonne riposte, et moi qui aime la bonne riposte, je me suis dit, on va faire une pièce de théâtre. Ça sera un travail approfondi, recherché, poussé qui éclairerait davantage l’opinion publique sur cet univers des personnes transgenres : beaucoup de lectures, de visionnages de films… Mais ce n’était pas suffisant, il fallait être sur terrain et rencontrer des personnes trans, et tous les jours pendant la nuit, j’allais en voiture arpenter les rues et les avenues de la capitale, en voulant découvrir le monde trans de la nuit : c’est en effet un univers très nocturne, et petit à petit, je me suis trouvé dans le monde trans. J’ai rencontré beaucoup de personnes trans qui ne sont pas de Tunis parce qu’ici, c’est légèrement différent. Quand la personne subit autant de sévices dans une petite région où tout le monde connaît tout le monde et quand la famille est forcément dans le rejet. A 17 ans par exemple la victime fuit vers Tunis, en espérant trouver un travail… Elle se permet au quotidien quelques formes de liberté.

De quelle manière donc est traité le sujet de la transidentité ?
La pièce, déjà, présente un personnage trans qui sort de l’ordinaire, qui se retrouve dans la prostitution mais qui arrive à s’en sortir. Sur terrain, j’avais commencé à faire des rencontres et de très belles rencontres. Je me souviens d’une personne trans à qui j’ai proposé de l’accompagner juste pour voir comment est son quotidien, sa vie. J’ai proposé de payer pour qu’elle accepte de me montrer ou de m’expliquer quel rapport elle entretient avec ses clients, son corps : elle est femme, avec les organes génitaux d’un homme et j’ai besoin de comprendre… J’ai vu des choses qui m’ont beaucoup aidé à créer, et à façonner mon personnage. Après, j’ai fait la connaissance d’une autre personne trans, travailleuse de sexe qui m’a dévoilé ce monde de la prostitution trans et l’organisation de tout ce réseau… Et c’est un monde plutôt fascinant.

Sonia Hedhili et Amina Ben Doua sur scène dans TranstyX

Est-ce que TranstyX est une réponse «au massacre télévisuel» de ce sujet ?
Au départ, oui ! Si jamais on a une salle pleine, et 80% des personnes spectatrices sortent après avoir su qu’une personne trans est appelée en réalité «Aaaber» en arabe ou que le terme «Moutahaouel» a une connotation très péjorative, c’est largement suffisant pour moi. Par exemple, quand on regarde la pièce et qu’on se focalise sur l’expression du genre prononcée d’une personne, différente de nos standards sociaux, et qu’on ne s’y arrête pas plus tant que cela. C’est excellent ! C’est déjà très bien d’avoir un public qui soit tolérant et dans l’acceptation de l’autre, je n’ai pas trop d’espérance, ceci dit… Mais essayons.

La pièce est comme un travail de cartographie

Vous devriez pourtant : le public tunisien ne cesse de surprendre et les langues se délient…
J’espère bien mais, nous, on ne fait pas seulement du théâtre. Il y a aussi d’autres composantes : on a ajouté les débats : la séance se compose de 55 minutes de théâtre et une heure de débat, juste après. La pièce n’apporte pas de réponses, mais incite à réfléchir et à interroger. «Qu’est-ce que la transidentité ? Qu’est-ce qu’une personne trans ?». La pièce est comme un travail de cartographie : pendant le spectacle, c’est comme si on invitait le spectateur à trouver une image… En lui disant «Fais ton chemin, découvre !».

Etes-vous l’auteur du texte de la pièce ou l’avez-vous écrit avec quelqu’un d’autre ?
J’en suis l’auteur puisque j’ai accompli le travail sur terrain. Ma sœur me lit beaucoup : c’est toujours la première personne qui me lit sur papier ou même par télépathie. (Rire). Je l’adore. Elle a participé à deux créations d’El Teatro… On fait de la musique ensemble. Elle est très douée et elle a une voix magnifique. Avec mes deux actrices Amina ben Doua et Sonia Hedhili, on a fait de l’écriture théâtrale ficelée. Il y a eu des modifications, des changements, etc.

Est-ce qu’elles étaient connaisseuses de cet univers de la transidentité ou de celui de la communauté Lgbtqi++ ?
Non, en réalité, c’était un peu flou. C’est vrai qu’avec Amina, on en parlait beaucoup avant mais pas de la transidentité : c’est une première pour elle. Et d’ailleurs, on va réaliser un livre qui contient le texte de la pièce de théâtre, qui sera illustré par deux magnifiques artistes, sans oublier trois interviews de trois personnes trans rencontrées à Tunis. Comme la pièce s’est focalisée sur une femme trans, donc, on commencera la première interview par un homme trans et deux autres femmes trans, dont la vraie «Tina» qui m’a inspiré. Il s’est passé quelque chose d’extraordinaire avec elle.

Le nom de votre personnage principal dans la pièce est bien «Tina». Dites-nous qui est la vraie «Tina» ?
Je l’ai rencontrée à une époque où on n’avait pas l’intention de parler de la pièce et quand elle a débarqué chez moi, j’ai dit que j’avais un texte que je veux bien lire avec elle. Quand on l’a lu, elle s’est effondrée en larmes et elle a dit que c’était sa vie et qu’elle se voyait dans le texte. Elle n’arrêtait pas de se demander qui j’étais, qui est-ce qui m’a envoyé à elle… Elle n’en croyait pas ses yeux, ses oreilles… J’ai dit que je suis une pure coïncidence : je me suis présenté, montré mes travaux. Après, on a continué la lecture avec beaucoup de sérénité. C’est vrai que le nom du personnage principal dans la pièce initialement, c’était «Maya», mais je rendais hommage à «Tina», donc j’ai changé toute la pièce pour parler d’elle. J’ai fait sa rencontre en organisant des soirées clandestines chez moi avec des personnes entre autres trans et je les invitais à être très à l’aise en exprimant leur genre comme elles l’entendent… Déguisement, Make Up, etc. Entre-temps, j’en profite pour faire aussi des lectures de textes, et je récolte leurs feedbacks, je prends leurs remarques en considération.

Tout ce qui se passe à l’intérieur d’une personne trans, je veux l’extérioriser, le dévoiler. Ces personnes ne sont pas introverties par choix, c’est la société qui les réprime et leur impose le silence. Je veux montrer leur image, ce qu’elles veulent voir, comment elles se projettent, comment elles veulent être vues. 

Pourquoi avez-vous fait appel à des actrices femmes ?
Bonne question. En fait, pour moi : une femme trans, c’est une femme, elle veut s’affirmer et être vu comme femme. Si, par exemple, je ramène un acteur homme ou androgyne sur scène et qui garde des traces de masculinité, on va dire : ça ne sera pas «le rêvé» : tout ce qui se passe à l’intérieur d’une personne trans, je veux l’extérioriser, le dévoiler. Ces personnes ne sont pas introverties par choix, c’est la société qui les réprime et leur impose le silence. Je veux montrer leur image, ce qu’elles veulent voir, comment elles se projettent, comment elles veulent être vues. Il y a deux facilités : la première, c’est de ramener un trans pour jouer le rôle, et la 2e c’est de ramener un acteur homme et lui donner des instructions pour l’être. «Tina» se voit comme femme et toutes les personnes trans que j’ai rencontrées se sentent femmes. Quand on va les représenter sur scène dans le corps d’une femme ou par une femme, c’est forcément mieux. Dans le cinéma ou le théâtre, on a souvent représenté les personnes trans par des trans ou par des personnes de sexe biologique qui correspondent. Et Sonia Hedhili, l’actrice principale, a un côté un peu masculin dans son attitude, mais reste quand même très féminine. La pièce se passe dans l’au-delà après l’opération de réassignation de sexe de Tina. Donc déjà, le personnage est une femme transformée. De plus, on est dans cet au-delà qu’on a recréé dans la pièce de théâtre avec cette image que la personne a toujours espéré projeter. D’ailleurs, je rappelle que la personne invitée sur le plateau télé était un «Femelle – mâle», c’est le contraire de ce que je montre dans ma pièce.

Est-ce que vous craignez la réaction du public ?
Non, parce que déjà dans la pièce «Nos amis les humains» , réalisée en 2017, on a fait parler un personnage misanthrope et athée… Dans le théâtre, on en a eu beaucoup, mais ils sont athées à partir d’un héritage politique marxiste gauchiste, etc. Je voulais un athée, un vrai, misanthrope, qui parle dans un langage scientifique, très loin des courants politiques. La pièce a été soutenue par l’association Mawjoudin et j’ai échangé aussi avec Chouf. Plus tard, on veut faire trois représentations dans les régions : on ira au Kef face à son public passionné de théâtre et ailleurs sûrement.

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