Commémoration du 9e anniversaire de la Révolution : Entre espoir et scepticisme

Tunis, la capitale, a connu une grande affluence à l’occasion de la célébration de la fête de la Révolution. Neuf ans après le 14 janvier 2011, c’est l’insatisfaction et le désenchantement des politiques au bout des lèvres. Pour certains parents et les jeunes rencontrés à l’artère principale, c’est un jour de fête et de liesse. La Tunisie a réussi sa transition démocratique contrairement à d’autres pays, en dépit d’une économie qui cale depuis la révolution et des divergences profondes qui ont assombri le paysage politique.

La capitale offrait hier un spectacle devenu coutumier à chaque célébration du 14 janvier avec des enfants accompagnés de leurs parents qui s’amusent et s’éclatent dans une avenue muée en une grande arène où étaient donnés des spectacles de danse et de chants. Les différents stands réservés aux représentants des partis politiques au milieu de l’artère principale sont là pour rappeler que l’heure n’est plus à l’union mais au désenchantement.

Des jeunes dénoncent la corruption

Le jeune Ahmed Aziz Ben Saleh (lycée Menzah 6) est accompagné de ses amis lycéens pour la réalisation d’un reportage au profit de son association. Il parle de l’avenue du 14 janvier puis se reprend et évoque l’avenue Habib Bourguiba, le grand Zaim qu’a connu le pays. Le bilan qu’il fait de la révolution n’est pas positif en raison de la corruption, de la dégradation du niveau de vie des Tunisiens et l’augmentation du taux de chômage. Trop de liberté nuit à la liberté, c’est ce qui se passe actuellement, ajoute-t-il.
Son ami, Ilyes Labidi (lycéen à l’Ecole internationale de Tunis, 17 ans) qui se trouve à proximité, n’est pas du même avis.

La Tunisie a réussi la transition démocratique mais il y a toujours la corruption qui gangrène le pays, l’insécurité et la pauvreté. Pour contrer ce fléau, on a besoin d’un chef d’Etat fort qui saura comment instaurer l’ordre. « Je crois que la sécurité est aussi la première des libertés », confie-t-il à la fin.

Houcem Hamaidi, résident à l’étranger (ingénieur, 42 ans), appelle à l’instauration d’une nouvelle République en Tunisie et donc à un changement du régime politique qui donnera  plus de prérogatives au chef de l’Etat. Selon ses dires, la Tunisie est un pays bien sécurisé contrairement aux allégations de certaines parties.

Le scepticisme des politiques

Tout près du portrait du martyr Chokri Belaïd, le secrétaire général du Parti des patriotes démocrates unifié, Zied Lakhdhar se rappelle les milliers de manifestants devant le siège du ministère de l’Intérieur un certain 14 janvier 2011. Neuf ans après, quel est le bilan ? « Rien, excepté cette petite dose de liberté », répond-il. Plusieurs dossiers sont toujours ouverts, comme le dossier des assassinats politiques ou celui des réseaux impliqués dans l’envoi de nos jeunes dans les zones de combat.

Les gouvernements se suivent mais les programmes, les agendas politiques et les liaisons étrangères ne changent pas. Certaines forces refusent tout changement dans le pays. « On ne pourra changer la donne que si le peuple reste uni pour faire face à ces forces et pousser au changement du régime politique et à un nouveau modèle de développement. Mais il faut des sacrifices pour atteindre cet objectif pour le bien des générations futures », conclut-il.

Du côté du stand du Parti des travailleurs, on est toujours fidèle au slogan « liberté, travail et dignité ». Le dirigeant du parti, Jilani Hamami, voit que le pays est revenu à la case de départ, qu’on retombe à nouveau dans une situation de crise générale, très profonde et grave tant sur le plan social qu’au niveau économique. Le pays vit sous la menace d’explosions sociales. Ceci sans oublier le blocage des institutions sur fond de crise politique et la grave situation sécuritaire en Libye qui risque d’avoir des retombées sur la Tunisie. « Le modèle démocratique tunisien qui a vu le jour suite à de grands sacrifices est voué à l’échec et le peuple tunisien a été leurré. Il faut s’attendre à un nouveau soulèvement, c’est juste une question de temps. Le peuple est conscient de cette situation et de la nécessité de changer les choses vers le mieux », selon ses dires.

Les nahdhaouis qui ont élu domicile à la même place que l’année dernière à proximité du théâtre municipal de la ville de Tunis ne sont pas d’accord avec ce discours tendant à éclabousser les acquis de la révolution. Mohamed Raja Ben Hmouri (ancien prisonnier politique du parti Ennahdha, 64 ans) nous fait savoir que les adhérents de ce parti ont toujours milité pour les libertés dans le pays. « Notre principe a été toujours la liberté pour tous ». Et d’enchaîner : « La Tunisie  a réussi la transition démocratique mais le domaine économique ne suit toujours pas. Il reste beaucoup à faire et il faut que les Tunisiens comprennent que le moment n’est pas aux différends et aux conflits », souligne-t-il.

Adel Jamii, secrétaire général du bureau du Courant démocrate à Sidi Hassine (Sijoumi), nous  déclare à son tour que les aspirations et les attentes du peuple n’ont pas été réalisées après neuf ans, c’est pourquoi il appelle à respecter les objectifs de la révolution dont surtout la liberté, le travail, la dignité et le soutien aux régions marginalisées.

Hezb Ettahrir appelle toujours au Califat !
D’un stand à l’autre, le décor changeait, les slogans, la musique et les chants aussi. On passait de Comandante Che Guevera Hasta Siempri du côté de l’un des stands de la gauche tunisienne, aux chants de Marcel Khalifa dans le stand d’Ennahdha. Le changement du décor est beaucoup plus perceptible au niveau des partisans du parti  Hezb Ettahrir qui profitent de cet air de liberté pour clamer haut et fort leur refus aux régimes démocratiques et prôner ouvertement le Califat.

Ils étaient une centaine regroupée à l’entrée de l’avenue Habib-Bourguiba mais très loin des autres partis politiques. Les drapeaux noirs ont été échangés cette fois contre des drapeaux blancs pour faire bonne figure. Les femmes étaient isolées des hommes, car la mixité est prohibée à Hizb Ettahrir. Une banderole résumait tout « Vous n’avez pas d’autre solution que dans le Califat ».

Un stand pour les sécuritaires tombés en martyr
Du 14 janvier 2011 au 14 janvier 2020, c’est la métamorphose devant le quartier général du département de l’Intérieur  avec ces majorettes qui jouaient avec adresse et défilaient sur l’artère principale. Tout le monde se rappelle le grand nombre des manifestants encerclant le ministère de l’Intérieur et scandant des slogans hostiles au régime de l’ancien président. Les temps ont changé, mais le ministère de l’Intérieur n’oublie pas ses martyrs.

Un stand leur a été réservé à proximité de ce département et une banderole dans laquelle figuraient plus d’une dizaine d’agents et de cadres qui ont retrouvé la mort au moment de la Révolution. « Non à l’exclusion des agents de la police de la liste des martyrs du 14 janvier », lit-on sur l’une des banderoles accrochées.
Notons à la fin qu’un grand dispositif sécuritaire a été mis en place à cette occasion avec la présence de plusieurs unités de police et des portiques de sécurité.

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