La Commission des libertés individuelles et de l’égalité a rédigé un code des libertés individuelles, qui semble oublié. Quatre ONG veulent ressusciter ses valeurs et ses ambitions en publiant une étude sur ce projet

L’étude intitulée « Lecture analytique pour l’adoption du code des droits et des libertés individuelles », réalisée par la professeure Souhayma Ben Achour et le docteur Mohamed Amine Jelassi, ressemble à  un véritable plaidoyer pour la promulgation de ce Code, grand orphelin de l’héritage de la Commission des libertés individuelles et de l’égalité (Colibe) dirigée par l’avocate Bochra Belhaj Hamida. Car si les articles sur l’égalité successorale de ce document publié en juin 2018 ont vu naître une grande polémique puis un projet de loi déposé à l’ARP par feu Béji Caïd Essebsi le 13 aout 2018, le Code des libertés individuelles (Codli) semble avoir été renvoyé aux calendes grecques, n’étant même pas l’objet de débats publics. Voilà ce qui a poussé quatre associations du collectif des libertés individuelles, à savoir la Fédération internationale des droits humains (Fidh), la Ligue tunisienne de défense des droits de l’Homme (Ltdh), l’Association tunisienne des femmes démocrates (Atfd) et l’Association tunisienne de défense des libertés individuelles (Adli), à initier un tel travail juridique d’une grande qualité. Lisible, bien documentée, comparant le projet de la Colibe avec plusieurs textes de loi nationaux et de pactes et conventions internationaux, évoquant la jurisprudence tunisienne, notamment en matière de droit de non-musulmanes à l’héritage et des affaires de transexuels, l’étude offre une vue générale sur les failles des législations locales concernant cette thématique et sur les perspectives que ce code ouvre devant les droits individuels en Tunisie.

Un contexte favorable

Si sa conception part d’une revendication de la société civile, le projet du Codli s’inscrit, comme le rappelle l’étude, dans le cadre d’un contexte favorable aux droits et libertés né à la faveur de la Révolution de 2011.  Le projet consolide par ailleurs la protection des droits humains, consacrés par la Constitution tunisienne du 27 janvier 2014. Le Codli rejoint également un élan de renforcement des engagements internationaux de la Tunisie : « On mentionnera en particulier, la levée des réserves spéciales à l’égard de la Convention de Copenhague du 18 décembre 1979 sur l’élimination de toute forme de discrimination  à l’égard des femmes, l’adhésion en 2011 au Statut de Rome sur la Cour pénale internationale, en 2017 à la Conférence de la Haye de droit international privé, et en 2018 à la Convention de Lanzarote sur la protection des enfants… », cite l’étude.

L’étude rappelle en outre la signification des droits individuels. Il s’agit des droits-libertés exercés individuellement. « Ils se distinguent des droits-créance, tels que le droit à la santé, le droit à l’éducation ou le droit au travail, qui sont des droits mettant à la charge de l’État une obligation positive à l’égard de l’individu ».

Le projet concocté par la commission de Bochra Belhaj Hamida est basé sur un ensemble de principes directeurs, dont la non-discrimination et la non-régression.

Un texte libéral

Dans le détail, le Code revient sur le chapitre des droits et libertés de la Constitution et propose parfois une conception encore plus libérale que la Loi fondamentale. C’est le cas de l’article 50 du projet du Codli, qui va au-delà de l’article 6 de la Constitution. « Ce texte prévoit que « l’État protège la religion » ainsi que le « sacré », ce qui signifie qu’il protège un concept abstrait et non pas des individus, tandis que l’article 50 «protège l’individu et ses convictions religieuses et areligieuses », expliquent les deux auteurs de l’étude.

Même chose pour les articles 16 et 17 du Code qui préconisent le droit à la vie et l’interdiction de la peine de mort. Toutefois si, selon la nouvelle constitution dans son article 22 : « le droit à la vie est sacré. Il ne peut y être porté atteinte, sauf dans des cas extrêmes fixés par la loi », la formulation utilisée par le projet Codli n’est pas restrictive, ni porteuse de conditions. Le projet du Codli rejoint les grands textes relatifs aux droits humains et aux libertés fondamentales. Dans son article 17, le Code affirme : « La peine de mort est abolie ». Ce qui contredit beaucoup de lois tunisiennes, dont la loi contre le terrorisme et le blanchiment d’argent du 7 août 2015. Ces dispositions de la commission de Bochra Belhaj Hamida, ajoutées à celles sur les droits et libertés sexuels, ont fait également partie des propositions les plus polémiques.

Les juges, garants des droits et libertés

Mais qui protège l’individu et des droits ? Les auteurs du document répondent : le juge judiciaire en premier lieu. C’est lui le garant des droits et libertés des citoyens. Parce que « tout d’abord, le juge judiciaire intervient dans un champ de recherche très large, statut personnel, état civil, droit pénal, procédure pénale…Ensuite, le juge judiciaire est le plus important sur le plan quantitatif ». Plus important, explique l’étude, que le juge constitutionnel ou le juge administratif, qui ont aussi un rôle un jouer dans ce domaine.

Meme si les résultats des élections législatives et présidentielles rendront cependant difficile l’adoption du projet du Codli, le courant conservateur ayant réussi à s’imposer à l’issue de ce double scrutin de l’automne dernier, il convient, selon les auteurs de l’étude, de lancer une action visant à modifier l’ensemble des textes qui contredisent, en droit tunisien, le projet du Codli. « Certains textes, comme ceux  admettant la peine de mort ou la pénalisation de l’homosexualité, doivent disparaître du paysage juridique tunisien, d’autres doivent être modifiés », préconise l’étude.

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