Depuis des années, des entreprises nationales à caractère commercial souffrent d’un déficit chronique et exigent en permanence une aide de l’Etat pour qu’elles puissent continuer leur activité. M. Abdeljelil Bédoui, expert économique, nous donne son avis sur ces sociétés et les solutions envisagées en vue de sortir de l’ornière.
Pourquoi les entreprises publiques sont-elles arrivées à ce stade de déficit et ne peuvent continuer à fonctionner que par une aide de l’Etat ?
Si les entreprises publiques sont arrivées à ce stade, c’est à cause de plusieurs facteurs dont, en premier lieu, celui qui concerne la gouvernance. En effet, ces entreprises sont sous tutelle et la gestion des ressources disponibles dépend de l’approbation du ministère concerné. La réactivité de ces entreprises aux événements est lente ou inexistante, notamment quand il s’agit de faire des choix. Et, en deuxième lieu, on constate des interventions extérieures à l’entreprise qui ont un impact sur la marche des activités. A cela, on peut ajouter le sureffectif du personnel et parfois le manque de compétences dans l’entreprise qui souffre d’une mauvaise gouvernance. En outre, les entreprises sont utilisées selon une démarche sociale qui est conciliée avec la démarche économique.
C’est le cas, à titre d’exemple, des sociétés de transport dont le tarif ne reflète pas vraiment le coût. Certaines catégories sociales comme les handicapés ont droit, en plus, à un tarif spécial. Ce rôle social des entreprises nationales a son coût. Parfois, l’entreprise est sollicitée pour assumer certaines missions qui ne relèvent pas de sa compétence comme la participation à l’aménagement de l’infrastructure, la connexion au réseau de gaz, à l’éclairage… C’est ainsi que l’entreprise publique est considérée comme leader car elle contribue au développement de la région dans laquelle elle se trouve et exécute certaines tâches techniques qui ne sont pas effectuées par les entreprises privées.
«Ce rôle social des entreprises nationales a son coût. Parfois, l’entreprise est sollicitée pour assumer certaines missions qui ne relèvent pas de sa compétence comme la participation à l’aménagement de l’infrastructure, la connexion au réseau de gaz, à l’éclairage… C’est ainsi que l’entreprise publique est considérée comme leader car elle contribue au développement de la région dans laquelle elle se trouve et exécute certaines tâches techniques qui ne sont pas effectuées par les entreprises privées ».
D’où la nécessité d’avoir une bonne gestion des ressources financières au sein de l’entreprise publique en améliorant le rendement. C’est que l’on constate dans plus d’une entreprise une mauvaise gestion de ces ressources. L’entreprise est considérée par plusieurs fonctionnaires comme un bien public. Il est nécessaire d’appliquer strictement la loi en vigueur et de respecter le Code du travail. Les augmentations salariales doivent se faire en contrepartie d’un rendement des fonctionnaires qui sont affiliés à l’une des caisses sociales.
En outre, les projets prévus doivent être concrétisés totalement et cette approche ne concerne pas uniquement les entreprises publiques, mais aussi les entreprises privées. Le rendement des entreprises publiques peut avoir des impacts sur les entreprises privées compte tenu de l’environnement dans lequel elles évoluent. Le déficit financier ne permet pas à l’entreprise d’atteindre ses objectifs et d’avoir un rendement adéquat, surtout si une mauvaise gestion est constatée.
Etes-vous pour la privatisation ou le désengagement de l’Etat des entreprises publiques pour améliorer leur rentabilité ?
Personnellement, je suis contre la privatisation dans l’absolu. Une telle démarche vise à marginaliser le rôle de l’Etat et à réduire son intervention dans la régularisation de l’économie en faveur d’un marché qui profite aux privés. Cette façon de traiter le problème est erronée. Même dans les pays libéraux, on ne procède pas de cette façon. L’Etat assure l’équité sociale, régionale et écologique. Pour ce faire, il dispose de mécanismes dont les entreprises publiques. Ces interventions ont un coût à supporter par toute la collectivité en assurant une gestion instantanée des deniers publics.
Il est nécessaire de revoir l’entreprise publique en optant pour la constitution de Holdings qui devraient regrouper des entreprises publiques.
«L’Etat assure l’équité sociale, régionale et écologique. Pour ce faire, il dispose de mécanismes dont les entreprises publiques. Ces interventions ont un coût à supporter par toute la collectivité en assurant une gestion instantanée des deniers publics ».
Certaines d’entre elles sont excédentaires, alors que d’autres sont déficitaires. Grâce à ce Holding, il est possible que les entreprises excédentaires aident les entreprises déficitaires pour équilibrer leurs finances. L’objectif est au moins d’assurer un équilibre entre les recettes et les dépenses. Il est préférable, bien entendu, de dégager un excédent après l’aide accordée aux entreprises déficitaires, et ce, pour alimenter le budget de l’Etat. Ainsi, à la faveur de ces Holdings dans diverses activités comme l’industrie et l’agriculture, l’Etat peut tracer ses politiques dans les différents secteurs.
Il est nécessaire d’avoir une vision sociale dans les orientations fixées par l’Etat qui est appelé à consacrer les grandes orientations dans tous les secteurs d’activité. Le secteur privé ne peut en aucun cas remplacer le secteur public.
D’ailleurs, le taux d’investissement des privés n’a pas dépassé les 24% au cours des dernières années, ce n’est pas de cette façon que l’on pourrait promouvoir les régions. La croissance devrait être de 6% au moins par an sur le long terme. Le secteur privé demeure encore fragile dans la mesure où il est encore confronté à l’économie informelle. Il ne faut en aucun cas marginaliser et réduire le rôle de l’Etat dans l’économie.
Certaines organisations syndicales semblent ralentir le travail des entreprises suite à ces grèves à répétition. Qu’en pensez-vous ?
En effet, on constate parfois un certain dérapage de la part des organisations syndicales aussi bien de l’Ugtt que de l’Utica et de l’Utap. Ces partenaires sociaux sont imprégnés de la culture revendicative et non pas de devoir. Il n’est pas normal d’accorder des augmentations alors qu’en contrepartie les employés ou les travailleurs n’effectuent pas leur devoir dans la productivité. Pour bénéficier de ses droits, il faut assumer ses devoirs. D’où la nécessité d’effectuer une révolution au niveau des concepts. Une nouvelle culture devrait être enracinée chez le personnel des sociétés. Avant 2010, l’Etat donne des avantages pour les fonctionnaires appréciés même si ceux-ci n’ont effectué aucun effort pour les mériter. Même les recrutements se font, parfois, selon le copinage et l’alliance. A l’ère de la démocratie, les syndicats continuent à appliquer cette culture revendicative sans rien donner en contrepartie. Parfois, cette démocratie tourne au chaos avec des « dégage » scandés par le personnel au premier responsable de l’entreprise.
Il faut absolument changer cette culture revendicative pour valoriser le travail. C’est le cas des patrons qui doivent demander des droits en contrepartie d’assumer leur devoir, comme, par exemple, le paiement des impôts. Un contrat devrait lier les chefs d’entreprise à l’Etat pour que chacun assume ses devoirs et bénéficie de ses droits. On constate une absence d’une approche contractuelle entre les différents intervenants et l’Etat. C’est un esprit d’Etat rentier qui est en train d’être cultivé.
«Il faut absolument changer cette culture revendicative pour valoriser le travail. C’est le cas des patrons qui doivent demander des droits en contrepartie d’assumer leur devoir comme, par exemple, le paiement des impôts. Un contrat devrait lier les chefs d’entreprise à l’Etat pour que chacun assume ses devoirs et bénéficie de ses droits. On constate une absence d’une approche contractuelle entre les différents intervenants et l’Etat. C’est un esprit d’Etat rentier qui est en train d’être cultivé».
Et qui va changer l’esprit des partenaires sociaux et diffuser cette nouvelle culture ?
Les organes d’information et les partenaires sociaux sont appelés à diffuser cette nouvelle culture contractuelle qui consiste à fournir les droits des travailleurs et des patrons en contrepartie d’une meilleure rentabilité conformément à un accord contractuel entre toutes les parties concernées. Il n’est pas normal d’avoir des avantages et des augmentations sans donner le plus à l’entreprise en termes de rentabilité et de productivité.
En conclusion, comment peut-on, selon vous, sauver les entreprises publiques ?
Comme je l’ai déjà dit, il faut créer des Holdings et changer les relations entre le ministère concerné et l’entreprise sous tutelle. Le groupe de sociétés à créer fait l’objet à chaque fin d’exercice d’une évaluation comptable pour connaître précisément les recettes et les dépenses. Chaque Holding doit être mis à profit pour l’exécution des politiques sectorielles dont celles qui concernent les services et l’industrie. Ces structures contribuent à la réussite desdites politiques.
Il faut assurer également l’adéquation entre la dimension sociale et la dimension économique. Ce déséquilibre est constaté dans le secteur privé. Il faut imprégner également la culture des droits contre les devoirs dans un cadre contractuel aussi bien pour le secteur public que pour le secteur privé tout en assurant l’équité régionale et écologique.