Accueil Magazine La Presse l’invité – Mohamed Ayadi, ancien attaquant du SRS : «Mon Soulier d’Or ? Je ne sais plus où il est !»

l’invité – Mohamed Ayadi, ancien attaquant du SRS : «Mon Soulier d’Or ? Je ne sais plus où il est !»


Depuis son plus jeune âge, on parlait de lui en tant que petit prodige, puisqu’il figure au palmarès du concours du jeune footballeur 1983. Mohamed Ayadi va d’ailleurs confirmer en recevant le Soulier d’Or 1990-1991 qui récompense le meilleur joueur de la saison. Avec son alter ego du Sfax Railways Sport, Jamel Ben Younès, il a composé un redoutable tandem d’attaque. Une fois les crampons raccrochés, Ayadi apporte sa précieuse contribution à la formation des jeunes du SRS, son club de toujours dont il craint qu’il rentre définitivement dans les rangs et soit bientôt, faute de moyens, enseveli dans l’oubli.


Ayadi marqué par Mounir Zitouni et Nabil Maâloul lors d’un match EST-SRS.

Mohamed Ayadi, trente ans en arrière, vous receviez le Soulier d’Or. Vous devez garder ce trophée en bonne place chez vous, non ?
Détrompez-vous, je ne sais plus où il est passé. (Après un moment de réflexion). Ah oui, chez un grand ami qui dirige une agence de voyage. Il m’a demandé de l’avoir pour quelques jours, et il se trouve toujours chez lui. Je suis timide, et ne possède aucune archive de mon parcours. Je ne sais pas par exemple exactement combien de buts j’ai inscrit. Je ne suis pas collectionneur. La seule collection que j’ai pu avoir concerne les fameux albums Panini des coupes du monde 1986 et 1990. D’ailleurs, ces albums-là, je ne sais plus où ils sont enterrés.

Quelle équipe encouragiez-vous au Mondial ?
Le Brésil. Je me rappelle qu’après son élimination au Mondial 1982 des mains de l’Italie (3-2), j’ai pleuré à chaudes larmes. Quelle injustice ! Zico, Socrates, Falcao, Cerezo, Junior… qui ne remportent pas le Mondial ! Ce jour-là, si j’avais trouvé sur mon chemin l’entraîneur Enzo Bearzot, Paolo Rossi ou Dino Zoff, je ne sais pas ce que je leur aurais fait… Depuis, je déteste tout ce qui est italien. Jusqu’à aujourd’hui, je n’aime aucun club du Calcio.

Remontons loin dans le temps. Tout jeune, en jouant au quartier, quel surnom vous donnait-on ?
On m’appelait Témime, le grand ailier de l’Espérance Sportive de Tunis et de l’équipe nationale qui a joué la Coupe du monde 1978, en Argentine. Par la taille et la vitesse, je lui ressemble. Toutefois, dans le jeu, Témime est un géant.

Quel est le quartier où vous avez appris sur le tas l’abc du football ?
Bab Diwan, dans la ville arabe de Sfax. A part l’école, on passait pratiquement toute la journée à jouer au football. La maîtrise des gestes techniques vient de cette école indispensable, les matches de quartier. En 1978, lorsque j’ai été testé, on a joué une rencontre de sixte où j’ai marqué sept ou huit buts. J’ai par la suite signé ma première licence et étais rentré tout heureux.

Quels ont été vos entraîneurs ?
Chez les jeunes, Mabrouk Samet et Mohamed Harzallah. Celui qui m’a lancé dans le grand bain des seniors est Samet qui a relevé Moncef Melliti à la tête de la barre technique de l’équipe fanion. J’ai accédé à l’équipe première en même temps que Sami Trabelsi, Sami Daou, Imed Chaker, Jamel Ben Younès… Nous avons rejoint Faouzi Chtara, Ahmed Zayani, Taoufik Bougdar… Ensuite, j’ai eu comme entraîneurs Faouzi Benzarti, Mrad Hamza, Mohamed Harzallah, Mokhtar Tlili, Ivan Klotchev, Ezeddine Lejmi, Abderrahmane Rahmouni, Youssef Jerbi, Habib Masmoudi, Moncef Arfaoui, Ali Chabbouh, Hedi Kouni, Mongi Dalhoum, Wahid Hidoussi, Youssef Baâthi, Jamel Ben Younès et Ryadh Charfi qui est très méthodique…

Et le meilleur parmi cette pléiade de techniciens ?
Faouzi Benzarti avec lequel nous avons disputé une saison en division d’honneur avant de revenir en Nationale et qui nous a énormément appris.
Sa force réside dans la grande confiance qu’il sait communiquer à ses joueurs. De plus, il accorde le plus grand soin aux moindres détails. Malgré un tempérament excessif et sa propension à s’énerver rapidement, il a un cœur très généreux. Il sait défendre avec la dernière énergie ses joueurs et les protéger.

En ce temps-là, le SRS pouvait se targuer de posséder une génération incomparable de jeunes talents…
Oui, à telle enseigne qu’au palmarès du concours des jeunes footballeurs 1983, les cinq premiers venaient tous du SRS : 1er, Mondher Koubaâ, 2e Kamel Mezgheni, 3e, moi-même, 4e, Lotfi Ben Kraiem, et 5e, Sami Boujelbane.
Quel est votre meilleur souvenir ?
La saison passée avec Faouzi Benzarti où le SRS a tenu le haut du pavé en L1 jusqu’au bout. Il y a aussi notre victoire aux barrages contre le CS Hammam-Lif qui signait notre retour en D1, et, bien sûr, le Soulier d’Or 1990-91. Pourtant, je dois admettre que je n’aime pas trop les sacres individuels auxquels je préfère la victoire de toute l’équipe.

Mohamed Ayadi posant avec le Soulier d’Or 1990-91, avec à droite un supporter railwayste

Et le plus mauvais ?
Notre relégation en 1992 alors que nous possédions une fort belle équipe. Malheureusement, les arbitres ont eu du mal à appliquer les nouveaux règlements interdisant au gardien de toucher le ballon de la main sur une remise volontaire d’un coéquipier. Cela nous a valu beaucoup de points perdus en tout début de saison. Après, il était devenu impossible de rattraper ce retard. Il y eut également notre relégation en 1995. En perdant à la surprise générale face à la JSK, l’EST a condamné le SRS et l’OCK à quitter l’élite.

Quel genre d’attaquant étiez-vous?
Rapide, puissant et opportuniste. Malgré une petite taille (1,68 m) et une technique moyenne, j’étais doté d’une belle détente et de l’indispensable flair du buteur. Je me rappelle avoir une fois dépossédé le keeper hammam-lifois Ali Yazidi du ballon en sautant de la tête pour aller inscrire un but, alors que, fidèle à son habitude, il le tenait d’une seule main pour dégager.

Le défenseur le plus coriace auquel vous avez eu affaire ?
Le Clubiste Lotfi Mhaissi qui était très agressif.

Des buts qui sont restés gravés dans votre mémoire ?
Contre l’OB, à Béja, en 1987-88 (victoire 3-1). Ridha Daou fonce côté droit et m’adresse le cuir. Je décoche une frappe brossée et transversale rentrante. Ce jour-là, remonté contre l’arbitre, Faouzi Benzarti a failli quitter le terrain en plein match, et nous avons dû intervenir pour l’en dissuader. Il est vrai que l’arbitre décréta le penalty le plus incroyable et stupide auquel j’ai pu assister. Un attaquant béjaois tacle dangereusement notre défenseur dans la surface. Contre toute attente, l’arbitre siffle penalty pour les Cigognes !

Franchement, ressentez-vous des regrets pour n’avoir pas fait une grande carrière internationale ?
Non, pas vraiment. Après tout, ce n’est que du football. J’aurais bien aimé défendre les couleurs de mon pays, et rejoindre un autre palier. Malheureusement, je n’ai été aligné que dans deux matches amicaux : le 10 novembre 1990 contre la France «B» au stade Saint-Ouen, à Paris (défaite 4-0), et le 7 novembre de la même année contre la Norvège à Bizerte (défaite 3-1). Je n’ai pas beaucoup de patience. Le fait de devoir rejoindre presque chaque semaine le stage de la sélection du lundi au jeudi à Tunis m’a découragé. J’étais allé dire à notre sélectionneur Mrad Mahjoub que je ne pouvais plus continuer à suivre ce rythme-là. D’autant plus que j’avais l’impression que les joueurs venant des grands clubs jouissaient d’un statut privilégié, et qu’ils détenaient les commandes. Je savais que je n’allais pas jouer régulièrement. Il est vrai qu’avec les Jamel Limam, Faouzi Rouissi… de grands calibres, la concurrence à mon poste était des plus rudes. L’équipe était truffée de bons joueurs : Khaled Ben Yahia, Taoufik Mhadhebi, Mourad Okbi, Nabil Maâloul…

Quel est votre meilleur match ?
Je sors régulièrement le grand jeu au derby face au CSS. Pourtant, tout jeune, à l’image de toute ma famille, j’étais fan du CSS. Lors de la finale de la Coupe de Tunisie 1977, je me trouvais à El Menzah avec mon père à encourager les copains d’Agrebi qui furent battus (3-0) par l’Avenir de La Marsa. Normalement, j’aurais dû signer au CSS…

Qu’est-ce qui vous en a empêché alors ?
Un jour, un prof s’absente. Je saute l’enceinte et quitte le lycée 20-Mars. Le lendemain, notre surveillant Amor Nasri, par ailleurs dirigeant au SRS, me convoque. Je croyais qu’il allait me punir pour avoir déserté le lycée la veille. Eh bien, non. Il me demande si je veux signer pour le SRS. Je lui donne mon accord. En apprenant cela, mon père Youssef, décédé en 2003, est furieux, car il est supporter du CSS. Mes frères Hafedh et Mondher ont d’ailleurs joué au CSS. Pourtant, ma mère Hamida n’aimait pas trop le foot et préférait nous voir nous consacrer uniquement à nos études.

A votre avis, quels sont les meilleurs joueurs de l’histoire du SRS ?
Amor Madhi, Ezeddine Chakroun, Romdhane Toumi, Ridha Ellouz, Mustapha Sassi, Mustapha Jerbi, Hafedh Soudani, Imed Ben Younès, Farouk Trabelsi, Sami Trabelsi, Sami Daou…

Quel est le joueur le plus proche de vous ?
Jamel Ben Younès avec lequel j’ai composé un tandem offensif qui faisait trembler les défenses adverses. Depuis ma jeune enfance, j’ai été attaquant. Soit ailier droit, soit deuxième attaquant avec Jamel dans une organisation en 4-4-2. Toute proportion gardée, c’était un peu le duo Romario-Bebeto au Brésil. Jusqu’à aujourd’hui, nous restons deux grands amis. Même au boulot, on n’est pas très loin. Au siège de la Sncft, à Sfax, Jamel se trouve à l’étage au-dessus du mien. C’est d’ailleurs lui, en tant que directeur technique du club, qui m’a convaincu de revenir entraîner les jeunes railwystes après deux années de repos. J’ai également beaucoup d’affinités avec Farouk Trabelsi.

Quel est le plus grand joueur en Tunisie ?
Les Tahar Chaibi, Romdhane Toumi, Noureddine Diwa… je ne les ai pas vu jouer. Hamadi Agrebi reste nettement au-dessus du lot. Rappelez-vous le but inscrit du rond central à Kairouan qui lui a été bêtement refusé. Ou encore ce qu’il a fait du Polonais Henry Kasperczak au bord de la touche en Coupe du monde 1978. Toute la Tunisie adore ce joueur exceptionnel non seulement pour ses grandes qualités techniques, mais aussi humaines.

Et dans le monde ?
Maradona, sans discussion.

Ayadi brandissant la Coupe de Tunisie minimes 1982, face à l’USM en finale (5-0)

Qu’a représenté le foot pour vous ?
Un pan entier de ma vie. Il m’a donné la chose la plus précieuse: la sympathie des gens. J’ai dû arrêter mes études au niveau du bac pour me consacrer à ma passion, le football. Au SRS, depuis les années 1960, nous vivions un peu le professionnalisme avant l’heure car chaque joueur qui débarque dans les seniors est vite intégré à la Sncft, ce qui nous permet de nous consacrer uniquement aux entraînements. Nous n’avions que cela à faire. J’ai été intégré à la Compagnie en 1987. D’ailleurs, j’ai eu des offres pour rejoindre le CSS et l’ESS. Toutefois, mon club n’a pas accepté de me donner un bon de sortie.

Parlez-nous de votre famille…
En 2003, j’ai épousé Faten, prof universitaire. Nous avons trois enfants: Adam, 13 ans et Malek, 11 ans, élèves, et Erij, deux ans.

Quels sont vos hobbies ?
Une partie de belote ou de rami au café. Regarder à la télé mon club préféré, le Real, ou un film d’action. Ecouter la musique, surtout Michael Jackson.

Si vous n’étiez pas dans le sport ?
J’aurais été avocat. J’aime défendre les causes justes. Joueur, j’étais capitaine. Je réclamais les droits de mes coéquipiers avant de défendre les miens.

Enfin, êtes-vous optimiste pour l’avenir de notre pays ?
J’aimerais tant être démenti par les faits. Toutefois, c’est comme si la Tunisie se trouve aujourd’hui au bord du gouffre. Chacun n’est plus habité que par son intérêt personnel. On a fini par nous faire vomir la politique. L’exemple le plus frappant est ma ville de Sfax. Marginalisée depuis la nuit des temps, il n’ y a ni animation, ni loisirs, ni infrastructure moderne. Bref, aux élections, j’espère que l’on ne nous prendra pas une autre fois.

Propos recueillis par Tarak GHARBI
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