Il ne faut pas se leurrer, il faut prévoir de lourdes pertes économiques et atténuer des effets sociaux qui peuvent être catastrophiques. La propagation du coronavirus (Covid-19) à travers le monde n’est pas sans répercussions sur l’économie tunisienne.
Après le déclenchement de l’épidémie de coronavirus, les premiers impacts sur l’économie mondiale commencent à se ressentir. Certains secteurs sont touchés de plein fouet. D’autres le sont dans une moindre mesure, du moins pour l’heure actuelle.
Depuis l’apparition du premier cas du virus Corona en Tunisie, c’est la panique. La motivation principale est d’assurer la protection et la sécurité de la population contre ce virus qui fait des ravages dans le monde entier. Chez certains Tunisiens, c’est l’effet de psychose qui s’installe. Hormis cette appréhension d’être attaqué par le virus, il y a une crainte générale pour l’économie nationale qui risque de payer cher en termes de points de croissance.
L’économie mondiale se prépare à la récession, la nôtre n’y échappera pas, même si la crise sanitaire reste «sous contrôle». La fermeture des frontières et le confinement des personnes mettent en danger des pans de l’économie.
Dans cette étude élaborée récemment par les deux experts économiques M. Hakim Ben Hamouda (ancien ministre des Finances) et Mohamed Hédi Bchir sur l’impact et les conséquences du corona- virus sur l’économie nationale. Etude réalisée au moment où le discours officiel a fait de manière timide référence aux pertes d’un demi-point de croissance, et où plusieurs déclarations officielles mettent l’accent sur les aspects positifs de cette crise dans la mesure où elle est à l’origine d’une baisse importante des cours du pétrole sur les marchés mondiaux.
Selon les experts, « le traitement officiel de cette crise s’est limité aux aspects sanitaires et de prévention et n’a pas encore réussi à proposer une approche globale et coordonnée intégrant les dimensions sanitaire, politique, sociale et économique ».
Cette étude propose les grandes lignes d’un programme de sauvetage de notre économie et de nos entreprises face aux conséquences socioéconomiques de cette pandémie. Elle comprend quatre points essentiels. Le premier point traite des conséquences économiques et des canaux de transmission de ces effets dans la sphère économique. Le second point est consacré aux estimations des effets économiques de cette pandémie sur l’économie mondiale. Le troisième point s’intéresse aux effets économiques du Covid-19 sur notre pays. Enfin, le quatrième et dernier point suggère les grandes lignes d’un programme de sauvetage face à la pandémie.
Cette pandémie va avoir des conséquences économiques majeures. « La crise du Covid-19 est en train de se propager dans les différents aspects de la vie économique et sociale et d’une crise sanitaire, elle est en train de se transformer en une grave crise économique globale. Certains observateurs n’ont pas hésité à indiquer que le nombre de disparition d’entreprises sera supérieur à celui des personnes ».
Ces conséquences économiques sont apparues à différents niveaux et sur beaucoup de marchés mondiaux. Particulièrement les marchés financiers ont été touchés le jeudi 12 mars 2020 de manière frontale avec un crash sans précédent, ce qui a amené certains observateurs à parler d’un jeudi noir comme c’était le cas lors des crises financières de 1929 et de 2008.
En outre, des perturbations vont toucher l’offre dont les conséquences seront néfastes sur le fonctionnement des marchés. Plusieurs entreprises vont connaître une baisse importante de leur production qui pourrait se poursuivre jusqu’à leur arrêt. Il faut souligner que l’approvisionnement des matières premières sera également perturbé, ce qui va avoir des effets sur la production. Notons que « la globalisation a été à l’origine d’un important développement des chaînes de valeur et de production mondiale. Or, cette crise va perturber ces grandes chaînes et sera à l’origine d’importantes pertes de valeurs globales ».
Ce recul majeur des activités économiques au cours de cette pandémie sanitaire globale aura certes des conséquences sur nos entreprises et notre tissu économique, mais également sur la croissance et l’emploi. « La crise deviendra une crise économique globale. Et si nous avons accordé la priorité aux aspects sanitaires de cette crise pour sauver les vies humaines et maîtriser la propagation du virus, nous devons nous occuper de ses conséquences économiques à travers la formulation d’un important programme de sauvetage global et cohérent ».
Les effets du Covid-19 sur l’économie tunisienne
Dans cette étude, les experts ont effectué différentes simulations pour mesurer l’impact économique de cette crise sanitaire sur notre pays autour de quatre grands scénarios. Le premier scénario, appelé scénario d’une maîtrise rapide du virus, est le moins dangereux et qui suppose la capacité des politiques publiques à maîtriser la propagation de ce virus afin que ses effets économiques restent faibles.
Le second scénario, celui de la propagation limitée du virus, suppose que les effets des politiques publiques dans la maîtrise de la propagation ont été limités. Le troisième scénario de la propagation élargie du virus suppose l’incapacité des politiques publiques à arrêter la propagation du virus et à limiter ses effets économiques.
Le dernier scénario de la perte de contrôle est le plus dangereux, car il prévoit l’échec des politiques publiques à faire face à ce virus. Au niveau économique, ce scénario suppose l’extension des effets économiques dans l’espace et le mal se propage à d’autres secteurs économiques.
Dans les différents scénarios, les experts ont examiné les effets économiques du virus Covid-19 sur trois secteurs importants, à savoir le tourisme, le transport aérien et maritime. « Nous avons appliqué pour chacun des secteurs un choc de productivité dans les trois scénarios de 20, 30 et 50% ».
Dans le quatrième scénario, celui de l’aggravation de la crise et son extension à d’autres secteurs économiques, les experts ont rajouté un choc de productivité de 10% sur deux autres secteurs industriels : le secteur textile et celui des industries mécaniques et électriques.
Par ailleurs, ils n’ont pas ignoré les effets de cette crise sur les marchés énergétiques et ses conséquences positives sur l’économie tunisienne avec la baisse des prix du pétrole. Dans leurs simulations, ils ont introduit une baisse des prix de 20, 30 et 50%.
Simulations
Les premiers résultats de leurs simulations indiquent une forte contraction de l’activité économique suite à cette crise sanitaire qui peut atteindre jusqu’à -1,86% pour le scenario le plus élevé. Cette crise va avoir des conséquences importantes et occasionner des pertes sans précédent de PIB qui peuvent varier de 1,65% jusqu’à plus de cinq points du PIB par rapport aux dernières projections de croissance du FMI. Cette perte pourrait atteindre en dinars courants dans le scénario le plus élevé jusqu’à 6,6 milliards de dinars.
Parallèlement à la croissance, cette crise sanitaire va également avoir des effets négatifs sur le chômage qui connaîtra une croissance pouvant varier entre 1,53 et 4,15%.
« Notre pays va subir également une baisse importante de la consommation locale qui pourrait varier dans nos simulations entre -1,56% et -5,23% », ajoutent les experts.
Le commerce extérieur sera l’un des secteurs les plus touchés de notre économie. Ainsi, « la crise globale et les difficultés de nos partenaires économiques traditionnels, particulièrement les pays de l’Union européenne, seront à l’origine d’une chute sans précédent de nos exportations qui pourrait varier de -1,9% à 10,34%. Par ailleurs, la grande récession de l’économie sera à l’origine de nos importations qui pourraient atteindre -9,2% ».
Cette crise va également toucher les grands équilibres financiers de l’Etat. Ainsi, les recettes des impôts sur les sociétés vont connaître une chute qui pourrait varier, selon les simulations, de -3,3% à -11,73% avec les difficultés financières que vont connaître toutes nos entreprises dans la plupart des secteurs économiques. En même temps, les impôts sur les revenus vont également connaître une importante baisse qui pourrait varier entre -0,58% et -4,22%.
Selon la même source, cette dérive des grands équilibres financiers de l’Etat sera à l’origine d’importants besoins de financements de l’économie nationale qui vont varier de 6,2% à 29,1%. Ce besoin de financement étranger pourrait entraîner un accroissement de l’endettement externe qui devrait se situer à 0,78% et pourrait atteindre jusqu’à 3,64% au cas où le scénario le plus dangereux se réaliserait.
C’est dire que la crise sanitaire s’est transformée en une crise économique majeure dans notre pays. « Cette crise va accroître les difficultés de la transition économique de notre pays avec la baisse de la croissance et la panne de l’investissement et notre incapacité à construire un nouveau modèle de développement pour remplacer celui en crise et hérité du milieu des années 1970. La crise sanitaire et le virus Covid-19 vont renforcer nos difficultés économiques et renforcer la crise que nous traversons depuis quelques années ».
A partir des résultats des simulations, la Tunisie pourrait s’installer dans ce que les experts appellent une déflation marquée par un important recul de la croissance, une montée vertigineuse du chômage et une augmentation de l’inflation, même si elle reste mesurée dans les différents scénarios. Or, les crises de déflation sont les plus complexes à traiter et les expériences historiques, notamment la grande crise de 1929, ont montré la difficulté de définir les politiques économiques pertinentes pour ces crises.