Imed Alibi, directeur du Festival international de Carthage à La Presse: «Nous avons nos têtes d’affiches et une scène émergente des plus intéressantes»

Après avoir réussi la dernière édition des Journées musicales de Carthage en octobre dernier qui a replacé ce jeune festival dans la cartographie des festivals du genre dans la région arabe et africaine, Imed Alibi a été sollicité pour une nouvelle et grande aventure : la direction du Festival international de Carthage. Mais voilà que le Covid-19 s’abat sur le monde entier, mettant en veille toute activité, et la vie culturelle est réduite à néant. Face à cette nouvelle donne, le festival de Carthage ne pourra plus suivre les ambitions auxquelles il prétendait. Mais Carthage 2020 aura bien lieu, une édition exceptionnelle qui contribuera à la relance de la vie culturelle et artistique. Entretien.

Vous êtes nommé à la direction du Festival international de Carthage bien avant la crise du coronavirus, quelle vision aviez-vous pour ce festival de renommée internationale ?

D’abord, je suis honoré par cette nomination et de succéder à de grands noms des arts et de la culture de la Tunisie qui ont dirigé ce festival. C’est en soi une chance et une lourde responsabilité. J’ai commencé à travailler sur une stratégie qui a pour objectif de donner à ce festival toute sa dimension historique, archéologique et aussi artistique et surtout assurer un retour sur le Mapping des festivals internationaux après la longue absence qui a caractérisé ces dernières années plus axées sur le monde arabe. J’ai pensé à une programmation marquée par une identité festive, colorée et conviviale. J’avais aussi l’ambition, via le festival de Carthage, de dynamiser la scène culturelle en général et en particulier contribuer au développement socioéconomique de la culture et des arts. Le festival de Carthage est aussi un excellent label pour le tourisme culturel car il n’est pas seulement un site et un théâtre, mais aussi toute une Histoire à raconter. Donc tourisme et culture peuvent très bien faire bon ménage et il est grand temps d’explorer sérieusement cette piste comme c’est le cas d’autres festivals internationaux du genre qui vivent chaque année l’effervescence d’un large public qui voyage et qui se déplace des deux rives.

Est-ce une vision qui se tourne plus vers d’autres cultures ?

Effectivement, je pense que le festival de Carthage doit contribuer à l’ouverture sur d’autres cultures, il faut qu’il soit un événement qui favorise la synergie entre les différents acteurs du milieu culturel et qui favorise l’intégration et le rapprochement des différents peuples. Un festival est un acteur et un vrai moteur pour le développement de la culture et le développement durable, il suscite aussi l’échange entre la Tunisie et les autres régions du monde.

De plus, ce festival en particulier, étant le plus important du pays, devrait suivre la vision de son ministère de tutelle, c’est-à-dire œuvrer pour la culture et proposer du contenu. Ma vision est de consolider les liens avec la culture du monde, la musique classique, le jazz, tous les styles qui ont été oubliés ces dernières années.

Avez-vous avancé sur la programmation internationale et quelles étaient vos grandes lignes ?

Oui tout à fait, depuis ma nomination, j’ai activement participé à des rencontres en France et en Europe avec des agents et des artistes pour commencer à façonner une partie de la programmation internationale, parallèlement au lancement de l’appel à participation à l’échelle nationale. L’idée était de faire des soirées à thème, des soirées qui répondent à un plus large spectre, des artistes tunisiens et du monde entier qui proposent du nouveau, de l’original et de la qualité. Et nous avons commencé à avoir des retours d’artistes et têtes d’affiches internationaux. Mais vu la situation sanitaire actuelle, cela sera reporté pour l’été 2021.

Est-ce que les accords déjà faits seront valables pour l’édition prochaine ? Quelle a été l’attitude des artistes internationaux ?

Nous avons bien avancé dans les négociations et je pense que les artistes étaient compréhensifs, ils ont répondu d’une manière très positive pour le report pour l’été 2021, d’autant plus que cette pandémie touche le monde entier et tout le monde est au courant. Cette fois, la Tunisie n’est pas isolée comme c’était le cas auparavant suite aux attaques terroristes. Donc tous ceux avec qui nous avons eu des échanges acceptent le report sans problème.

Avec la crise que le monde vit, le ministère de la Culture a déjà annoncé que Carthage cette année sera national et la programmation sera purement tunisienne, comment avez-vous rebondi sur cette décision et quel aspect aura Carthage 2020 ?

Bien évidemment, la crise sanitaire a bouleversé le monde en général, toutes les économies du monde, et l’économie tunisienne en est particulièrement touchée. Plusieurs raisons ont mené à cette décision prise en commun accord avec Madame la Ministre de la Culture. Tout d’abord, l’impact de la pandémie sur notre économie, donc sur le budget du festival, et c’est la première raison d’avoir fait le choix d’opter pour une programmation exclusivement nationale, ensuite se pose le problème du transport aérien, de la logistique, de la technique… Et je suis pertinemment convaincu que c’est la bonne décision dans la mesure où l’écosystème de la culture, qui est déjà fragile et qui est aujourd’hui encore plus fragilisé, doit surmonter cette crise, et le festival de Carthage est une occasion d’aider le secteur à se relever cette année. Car il ne faut jamais oublier qu’un festival comme Carthage n’est pas uniquement un artiste qui se reproduit sur scène, c’est un backstage, des techniciens, des ouvriers, des agents et tout ce qui gravite autour comme activité… Pour ce qui est de la programmation internationale, nous la gardons pour le retour à l’international pour 2021.

Avec une programmation purement tunisienne, croyez- vous que le public sera au rendez-vous ?

Les artistes qui seront sur la scène de Carthage cette année ne sont pas une roue de secours, ce sont des artistes qui ont des projets et qui ont déposé leurs dossiers. C’est une programmation qui sera aussi réfléchie. Il ne faut pas oublier que nous avons aussi nos têtes d’affiches tunisiennes qui sont très bien accueillies par le public du festival de Carthage et beaucoup de talents tunisiens émergeants qui ont aussi leur public.

Et ma vision va dans le sens de favoriser la découverte d’artistes émergents et mettre en avant la nouvelle scène. Il y aura aussi une scène parallèle pour cette catégorie-là. Les autres arts sont aussi prévus comme le théâtre, la danse et le cinéma. Et si tout va bien, le public sera certainement au rendez-vous

On parle aussi d’un rayonnement de Carthage sur les régions, avez-vous déjà établi une vision pour cette décentralisation ?

Nous avons une idée et un concept pour une présence régionale originale réfléchie avec l’aide d’acteurs associatifs dans les régions ainsi que les délégations culturelles. C’est une équipe dynamique jeune et motivée qui se concerte et échange des idées pour proposer la meilleure formule, nouvelle et innovante. Nous avons pensé à une sorte de caravane avec une scène mobile à travers les villes et les villages. Nous avons pensé à développer des créations régionales qui vont être jouées avec le label du festival de Carthage.  Pour cela, espérons que tout ira bien pour nous et pour le monde entier. Carthage cette année sera une édition exceptionnelle dans le vrai sens du terme.

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