« En dénonçant et en parlant de politique, je perds beaucoup de choses, mais je gagne ma propre estime »

Lundi 29 Avril 2019, plusieurs dizaines de personnes avaient fait le déplacement au cinéma Le Rio au centre ville de Tunis pour assister à l’évènement organisé en solidarité avec les deux acteurs égyptiens Khaled Abol Naga et Amr Waked, expulsés du syndicat égyptiens des acteurs pour avoir dénoncé les atteintes aux droits de l’Homme en Egypte.

Parmi eux, M.Nejib Ayed, le directeur exécutif des Journées Cinématographiques de Carthage (JCC), Mme Bochra Bel Hadj Hamida, députée, Mme Souhayr Belhassan, ancienne directrice de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH), Mme Ivesa Lübben, directrice de la fondation Rosa-Luxemburg-Stiftung North Africa Office, M.Mounir Baaziz, Président de la Mutuelle Tunisienne des Artistes, M.Fares Landolsi, acteur, et plusieurs professionnels du cinéma et des militants des droits de l’Homme.

Sans oublier l’artiste peintre Selmen Nahdi qui a réalisé un tableau représentant les deux artistes et exposé sur scène pendant toute la durée de l’évènement.

Prenant la parole, Tarak Hussein, avocat égyptien résident à Tunis  a retracé les faits et démontré l’illégalité de cette sanction qui n’a respecté ni les lois égyptiennes ni même le règlement interne du syndicat.

Tarak Hussein a également rappelé que ces deux acteurs font face en Egypte à des campagnes diffamatoires, des plaintes et procès injustes et même à deux condamnations de prison pour Amr Waked, suite à leur opposition au Président Sissi, à leurs dénonciations des  atteintes aux droits de l’homme en Egypte et à leur opposition aux réformes de la constitution permettant entre autres à Abdelfatteh El Sissi de rester au pouvoir jusqu’en 2030 !

Les deux artistes se sont adressés aux présents à travers deux vidéos, dans lesquelles ils ont remercié les tunisiens et les organisateurs de l’événement et ont exposé leurs points de vues.  Commentant ces deux interventions, Tarek Hussein a fait un bref exposé sur l’état des droits de l’Homme en Egypte et a donné quelques chiffres effrayants :

– environ 71 000 prisonniers politiques,
– environ 3 500 condamnations à mort depuis 2013
– 42 exécutions de 2015 à 2018
– 22 nouvelles prisons depuis 2013 !

Il a insisté sur le fait qu’en Egypte, on peut être emprisonné pour des raisons futiles, comme son petit frère qui a purgé une peine de prison de 2 ans et 2 mois pour avoir porté un T-shirt contre la torture !
Sans oublier les centaines de disparitions de personnes qui peuvent réapparaitre plusieurs années plus tard ou même jamais.

M.Habib Belhedi a par la suite lu un communiqué (ci-joint) de soutien aux deux artistes, signé par le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT), le Forum Tunisien pour les  Droits Economiques et Sociaux et le Syndicat des professions des arts dramatiques relevant de l’UGTT.

Une cinquantaine de personnes parmi les présentes ont également signé ce communiqué qui a été mis en ligne le soir même sous forme de pétition.

Tarek Hussein a repris la parole suite à la projection du court-métrage « The Unknown sweet potato seller », réalisé par Ahmed Roshdy et avec Khaled Abol Naga dans le rôle principal. Ce film, interdit en Egypte, est inspiré de l’histoire vraie du jeune Omar Salah qui, en février 2013, avait été tué par un militaire.

L’opinion publique égyptienne avait été fortement émue par ce meurtre parce que le jeune adolescent avait été filmé quelques semaines avant sa mort. Il disait être fatigué de travailler et rêvait de pouvoir faire des études. Son rêve avait été brisé par les balles d’un militaire qui n’a été condamné qu’à 3 ans de prison.

Ce film raconte en réalité l’histoire d’un rêve qui a été tué. Comme a été tué le rêve de démocratie de tout le peuple égyptien.

Des dizaines de milliers de prisonniers, dont des centaines de journalistes, d’avocats, de militants, d’écrivains, de blogueurs….

Des intellectuels et artistes en fuite à l’étranger : Bassem Youssef à cause de son émission satirique « Al Barnemeg », Alaa Al Aswany à cause de ses divers articles et surtout à cause de son dernier roman « J’ai couru vers le Nil », Khaled Abol Naga, Amr Waked à cause de leurs opinions….

Les deux artistes ont rêvé d’un Etat séculier, sans dictature militaire ou religieuse, qui respecte la pluralité et l’égalité entre tous les citoyens, avec une société civile forte, une alternance politique pacifique et qui garantit les libertés publiques et les libertés individuelles.  Or le régime actuel interdit le rêve….

Mais Khaled et Amr ont choisi de parler et  de dénoncer. Ils l’ont fait à Washington il y a un mois, ils l’ont fait la semaine dernière à Paris et ont décidé de le faire partout et encore et encore.

Ils sont convaincus que les artistes ont un rôle à jouer contre la dictature. Tout artiste qui ne se sent pas concerné par une cause quelconque ou qui ne croit pas que son Art puisse servir à faire passer un message ne remplit pas son rôle.

Parlant de sa situation actuelle, Khaled  a d’ailleurs dit : « en dénonçant et en parlant de politique, je perds beaucoup de choses, mais je gagne ma propre estime ».

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