Tribune│Vandalisme des ressources naturelles forestières: Aïn Sallam, des vérités qui fâchent !

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Par Mohsen KALBOUSSI

Une visite rendue possible mardi 5 mai à Aïn Sallam, dans le gouvernorat de Jendouba, nous permet de restituer certaines

impressions à l’issue de cette visite, sachant que les idées développées dans ce papier seraient sujettes à révision par des investigations plus poussées si les conditions le permettent dans les temps à venir.

Pour se rendre à Aïn Sallam, on prend une piste cahoteuse en pente sur pas moins d’une quinzaine de kilomètres en pleine forêt. L’état de la route qui semble avoir été goudronnée laisse à désirer, et n’est pas facilement carrossable. L’on se demande d’ailleurs comment les habitants de ces contrées peuvent s’y rendre, notamment par période d’intempéries… Hormis quelques forestiers et chercheurs qui connaissent le site, personne ne semble l’avoir visité.

Le site des coupes est désolant, situé à proximité d’un poste forestier tombé en ruine et qui semble avoir été pillé en 2011 alors qu’il n’était plus occupé depuis bien des années. L’école qui a été construite tout près du poste est elle aussi tombée en ruine. Seuls témoins vivants restants du site,

les quelques frênes rabougris et les cyprès encore debout.

Les arbres coupés ont été dénombrés. Ils sont
de 403 selon le témoignage d’un forestier. Ils sont surtout constitués de chênes zéens. La particularité des coupes est qu’elles sont continues, l’on dirait que les bûcherons ont voulu créer une tranchée ouverte ou une route au milieu de la forêt. Ils gisent sur place ; certains portant encore des feuilles vertes, car ils n’ont été que partiellement coupés, ce qui a laissé la sève couler dans l’arbre couché sur le côté. nous n’avons vu qu’une seule tige débitée en tranches de l’ordre de 80 cm à 1 m.

nous n’avons mesuré que le diamètre de quelques arbres, autour de 50 cm. Même s’il est difficile de déterminer l’âge des arbres à partir de leur diamètre, on ne peut pas spéculer sur leur âge. Seul le comptage des cernes — qui n’a pas encore été fait — permet de connaître leur âge réel.

Commentaires

Le site des coupes des arbres, invisible de la route, n’a été révélé que par les gardes forestiers, ce qui est en leur honneur et lave nombre d’entre deux de toute complicité avec les auteurs des faits.

La situation socioprofessionnelle des gardes forestiers mérite attention. Vieux, nombreux sont âgés de plus de 65 ans, pour ne pas dire plus. Leur situation sociale est précaire. Ils ne sont pas titulaires, sont mal payés et ne disposent d’aucune couverture sociale, que dire des menaces et attaques éventuelles des contrevenants.

Le site de coupe se situe à bonne distance des habitants et du parc à liège le plus proche, ce qui rend impossible son repérage lors des faits, surtout si les coupes ont eu lieu la nuit.

Pour maintenir les forestiers sur les lieux, en forêt, leurs conditions de vie et de travail se doivent d’être améliorées. La plupart des postes forestiers sont un héritage colonial, et sont en train de tomber en ruine. Les conditions de vie du siècle dernier ne sont plus les mêmes que celles d’aujourd’hui. La concertation avec les agents et l’amélioration de leurs conditions de travail sont des pistes à explorer pour assurer une meilleure gestion des espaces forestiers.

Même si les contrevenants qui semblent avoir été identifiés doivent être sanctionnés, on ne peut pas soutenir l’idée que les habitants des forêts doivent toujours payer le prix de leur marginalisation et de la politique de « conservation » adoptée dans le pays. Présenter des perspectives réelles de développement et proposer des solutions alternatives à la coupe du bois –mais pas seulement- aux habitants est la meilleure garantie pour leur implication dans la préservation de nos forêts. La seule perspective de la répression ne peut qu’engendrer d’autres actions répréhensibles dans l’avenir. Pourquoi, par exemple, ne pas planter des parcelles d’essences à croissance rapide pour les laisser par la suite exploiter par les habitants contre rétribution ou même gratuitement, pour laisser le temps aux forêts naturelles d’évoluer ? Par l’occasion, le Code forestier se doit d’être revu afin de le mettre à jour avec la Constitution et prévoir des sanctions lourdes en cas d’atteintes graves à l’endroit des espaces forestiers qui se perdent à vue d’œil.

L’état de conservation de nos forêts mérite d’être évalué. Les observations que nous avons faites montrent l’incapacité de ces forêts de se régénérer, c’est-à-dire qu’à la mort des arbres présents, il serait difficile que de nombreuses forêts de chênes arrivent à se reconstituer…

L’anthropomorphisme qui anime beaucoup de gestionnaires et scientifiques mérite d’être remis définitivement en question. Dire que les humains devraient tolérer la présence d’autres être vivants dans la nature relève du pur fantasme. La raison est toute simple, à savoir que les humains sont les derniers arrivés dans ces espaces, et qu’ils ne doivent en aucun cas s’arroger le droit d’évaluer la validité de la présence (ou de l’absence) d’autres espèces quelles qu’en soient les raisons.

Les forêts sont des écosystèmes naturels plus ou moins anthropisés depuis la nuit des temps. elles sont un creuset de biodiversité dont on ne connaît qu’une infime partie.

Les réduire aux arbres et les gérer ainsi est la pire des erreurs que les humains puissent commettre. Autrement, une forêt n’est pas un ensemble d’arbres dont il faut décider de la date des coupes ou de la récolte !

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