Mounir Baaziz à La Presse : «Sortir du «noir» et exiger ses droits sociaux»

Après des années de travail, le statut de la Mutuelle des artistes a été signé par les ministres des Finances et des Affaires sociales, validé par le chef du gouvernement et publié au Jort le 25 août 2017. Face à un secteur pris au piège de la pandémie du coronavirus, cette structure solidaire se retrouve aujourd’hui à devoir faire face à une situation des plus difficiles. Mounir Baaziz, cinéaste de son état, et président de la Mutuelle des artistes, créateurs et techniciens de la culture, nous a accordé cet entretien pour mettre en avant l’importance de cet outil solidaire qui tend, depuis sa création, à sortir les acteurs du secteur culturel de la précarité et de l’insécurité, avec pour maître mot «la dignité», et du concret il y en a : une couverture sociale, une assurance groupe et des facilités auprès des institutions publiques:  il suffit de faire le premier pas et d’y adhérer.

La création de la Mutuelle tunisienne des artistes ne date pas d’aujourd’hui et elle vient en réponse à un état des lieux…

L’aggravation de la situation de la majorité des artistes, la dégradation des conditions de travail, le développement du clientélisme en plus d’un système figé qui se conforte dans le statu quo, des productions subventionnées qui travaillent sans contrat légal et sans contrôle de l’Etat, ou pire, des institutions officielles : centres d’art dramatique qui emploient des acteurs et des techniciens sans les déclarer et les inscrire à la Cnss. Toutes ces défaillances ont fragilisé tout le secteur culturel et ont donné des travailleurs sans droits sociaux vivant dans la précarité.

De cet état, plusieurs acteurs en sont responsables : l’Etat, les sociétés de production en tant que principaux employeurs et bien-sûr les freelancers du secteur

Oui, bien entendu, l’Etat qui laisse pourrir la situation en donnant occasionnellement des «aides ponctuelles d’urgence» ou des prises en charge médicales, sans s’attaquer aux lois obsolètes et les sociétés de production en tant que principaux employeurs qui utilisaient le flou du code de travail non adapté à la réalité du travail intermittent, imposant d’office le statut « indépendant » pour l’affiliation à la Caisse nationale de sécurité sociale. Ce système a mené à une nouvelle absurdité : l’endettement du travailleur/chômeur avec le cumul de trimestres impayés en plus des pénalités de retard sans oublier les visites des huissiers notaires et les menaces du retrait du «carnet de soins». Mais il ne faut pas non plus omettre le fait que dans cette situation, les artistes ont leur part de responsabilité vivant au jour le jour et oubliant de penser aux lendemains, acceptant de travailler sans contrats et sans assurance.

La création de la Mutuelle des artistes est l’aboutissement de plusieurs années de travail et de résistance…

L’initiative de créer une mutuelle des artistes, des techniciens et des travailleurs des secteurs artistiques a été déclenchée avec tous les artistes signataires du mouvement «les indignés de la culture» et les associations et syndicats représentant les différentes spécialités culturelles. Une démarche collective et constructive dans le but d’aboutir à une solution globale et viable pour garantir les droits sociaux de ceux qui ont choisi de vivre de leurs métiers artistiques.

Après des années de travail, le statut de la Mutuelle des artistes a été signé par les ministres des Finances et des Affaires sociales, validé par le chef du gouvernement et publié au Jort le 25 août 2017. Le conseil d’administration a été élu le 25 novembre 2017. Le ministère des Affaires culturelles nous a donné le local et une subvention de démarrage.

Depuis sa création, la Mutuelle des artistes a entrepris plusieurs actions et a essayé de finaliser plusieurs accords pour mieux organiser le métier. Lesquels ?

On a démarré par des réunions sectorielles pour mieux cerner les spécificités de chaque secteur : cinéma, théâtre, arts plastiques. On a organisé des campagnes de sensibilisation. Parmi les urgences : la situation de ceux qui avaient des litiges financiers avec la Cnss qui n’avaient plus de droit aux soins et qui voyaient les pénalités de retard s’accumuler. Le bureau, soutenu par le ministère de la Culture, a demandé l’annulation des pénalités. Ce qui fut accordé par les Affaires sociales, accompagné d’un engagement de paiement des impayés. Mais ce fut limité dans le temps et non élargi aux régions.

Au niveau du travail de la mutuelle et grâce à l’acharnement de feu Abou Seoud Messaadi et ses amis du monde des assurances, un accord privilégié pour nos adhérents fut conclu avec « el maghrebia », accord amélioré pour 2020 avec un plafond de remboursement de 4.000 dt par an.

Quels étaient les principaux obstacles ?

Il y en avait beaucoup et de plusieurs ordres, mais surtout la bureaucratie interne qui ne fait pas circuler les décisions aux différents bureaux de la Cnss, l’adhérent qui retombe en précarité à cause des retards de paiement et parfois l’absence de paiement (le cas de plusieurs productions).

L’absence du statut de l’artiste représente-t-il le point culminant du ralentissement de votre travail, qu’en est-il de ce statut aujourd’hui ?

Au-delà des particularités de chaque secteur, il y a un point commun : la promulgation d’un statut de l’artiste est la seule manière de redonner une reconnaissance officielle à celles et ceux qui ont choisi de vivre de leur métier artistique.

Mais malheureusement, le ver était dans le fruit et des « artistes » ont œuvré pour faire du lobbying et gripper la machine, ils ont réussi à mettre le projet dans les tiroirs. Actuellement, la majorité reprend espoir avec le nouveau gouvernement et les associations professionnelles vont reprendre le combat pour un statut de l’artiste.

Les autres intervenants dans la régularisation de la situation étaient-ils coopératifs, qu’en est-il de la Cnss, la Cnam, le ministère de la Culture?

Depuis le début, nous avons veillé à doter la mutuelle d’une ceinture de défense composée d’associations, syndicats et d’artistes solidaires et nous avons concrétisé une convention de partenariat avec l’OTDAV (Organisme tunisien des droits d’auteur et des droits voisins) avec lequel nous avons fait des réunions communes de sensibilisation auprès des artistes dans les régions (Sousse, Tozeur, Jendouba)

La Mutuelle a signé des conventions avec le Cnci et le ministère des Affaires culturelles qui ouvrent la voie à des avantages supplémentaires pour nos adhérents.

Pour les jeunes freelanceurs de «U’Prod it», nous sommes en discussion pour un partenariat, ayant beaucoup de points communs.

Qu’en est-il également des associations et syndicats du secteur ?

La Mutuelle est une institution indépendante à laquelle il est interdit de participer à des activités à caractère politique, religieux ou syndical » (article 5). Elle se sent solidaire avec tous les artistes et se refuse à être instrumentalisée. Elle se doit d’insuffler un air de solidarité et de respect entre ses membres, ce qui est déjà tout un programme !!!

Avec la pandémie, la situation déjà trouble a été encore plus mise à nu et tout le secteur en est touché,  quelle action avez-vous entreprise ? 

La M.A.C.T.S.C a été surprise comme tout le monde par l’ampleur de l’attaque virale qui a déstabilisé la vie quotidienne et provoqué l’annulation de toutes les activités culturelles à travers la fermeture de tous les espaces de rassemblements populaires. Cette décision a arrêté de fait toute les activités culturelles : concerts, expositions, représentations théâtrales et tournages cinématographiques et télévisuels. L’impact sur les artistes et les techniciens de la culture est catastrophique vu que la période devait être celle du « printemps culturel » en termes de travail, ce qui les amène au bord de la précarité. A cette situation exceptionnelle, la Mutuelle a pu répondre par une mesure exceptionnelle; accorder une aide urgente rapide à des artistes en difficulté matérielle à Tunis et à l’intérieur du pays. La Mutuelle, étant encore à ses débuts, n’ayant pas de ressources autonomes et attendant encore le versement de la subvention de 2020, se devait d’être vigilante et discrète pour ne pas tomber dans les travers populistes et sauvegarder ce qui est essentiel : LA DIGNITE des artistes.

L’adhésion à la mutuelle reste encore timide, pouvez-vous éclairer encore plus les concernés pour les inciter à en faire partie ? 

Adhérer à la mutuelle, c’est donner un sens à « la solidarité entre artistes», adhérer, c’est décider de sortir du «noir» et exiger ses droits sociaux, adhérer, c’est être prévoyant, devenir un citoyen à part entière. Un citoyen qui tire les leçons du passé pour se construire un avenir.

Quels sont les critères d’adhésion, la cotisation, les avantages et les facilités qu’ils en tireront  

Il faut être majeur, vivant principalement de sa pratique artistique, ayant sa carte professionnelle. L’adhésion est de 20 dt. Pour cotiser 300 d par an payable par facilité valable pour l’adhérent et sa famille, l’assurance groupe permet le remboursement des frais médicaux pouvant atteindre 4.000 d par an.


Crédit photo : © Karim KAMOUN

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