Portrait | Najah Zarbout, artiste visuelle : Une Alice bien inspirée

Le confinement lui a inspiré un atelier baptisé «H2» avec ses enfants avec des œuvres à 6 mains réalisées tout au long de cette période qu’elle publiait sur Instagram.

L’œuvre de Lewis Caroll «Alice aux pays des merveilles» est sa bible, une source intarissable dans laquelle elle ne cesse de puiser, d’ailleurs son sujet de thèse s’y est rapporté abordant rêve, enfance et devenir femme… Elle s’appelle Najah Zarbout et elle est une artiste d’exception. Tout en délicatesse, son œuvre prolifique et multiforme nous aspire, à l’image du miroir d’Alice, dans un univers aux propos oniriques, lyriques et ludiques. Portrait.

Originaire de Kerkennah, Najah est née en 1979. Elle vit à Sousse où, en plus de sa pratique artistique, elle enseigne à l’Institut supérieur des beaux-arts. Docteur en Arts et Science de l’Art de la Sorbonne, cette artiste s’intéresse aux questions de surveillance, condition féminine, altérité, imaginaires,… à travers des sujets liés à l’actuel, à l’individu et à la société contemporaine. Ses réalisations plastiques traitent du rapport avec l’autre dans ses différents aspects.

Sa pratique, en continuelle évolution, prend des formes diverses, allant du dessin à la vidéo, en passant par la photographie et l’installation. Najah Zarbout, en plus d’un nombre d’expositions personnelles, a participé à des foires et des expositions collectives en Tunisie, en France et à travers le monde (Suisse, Belgique, Maroc, Sénégal…). Elle est lauréate du grand prix d’art plastique du festival «Ici et demain» à Paris en 2008. Ses œuvres sont acquises par l’Etat tunisien et des collectionneurs privés.

«Alice au pays des merveilles», sa référence de prédilection, a sculpté son univers pictural et a inspiré ses premières expositions (2006/2007). «J’ai été interpellée par l’oxymore dans Alice, le monde enfantin, le côté violent aussi, une violence douce…», nous dit-elle. Un univers qui, comme elle nous l’explique, a enveloppé son travail de finesse, d’un aspect ludique, de beaucoup de spontanéité aussi. Petit à petit, elle s’est ouverte encore plus sur la littérature de Lewis Caroll, sur la philosophie et l’esthétique qui en découlent, ses jeux linguistiques, sa polysémie, ses évocations psychanalytiques… «C’est un auteur très original, un précurseur au propos très profond», note-t-elle dans ce sens. Complètement emportée par l’auteur et son œuvre, avec la sensation de ne pas avoir assez de connaissances autour de son univers, elle voulait puiser encore plus dans cette source d’inspiration intarissable, rhizomique qui la ramenait toujours vers de nouveaux concepts (entre autres «la logique des sens» de Deleuze) et ouvrait grandes les portes des recherches.

Ses références ne se limitent pas qu’à Alice, comme elle le souligne en disant s’inspirer énormément de ses lectures. «Aux essais, je préfère la forme romanesque et parmi les penseurs et écrivains qui m’ont le plus marqué figure Georges Bataille, le côté atroce et la violence qu’il distille. D’ailleurs pour la petite anecdote je me rappelle une fois avoir vomi après la lecture d’un de ses livres». Il y a aussi George Orwell avec surtout son 1984. Les trois auteurs réunis (avec Caroll) cela a abouti à un grand chamboulement en elle à bien des égards et a donné naissance en 2006 à sa première installation intitulée «Champ de vision», qu’elle a exposé en 2007 dans deux foires, une à Montueux en France et l’autre en Suisse, mais aussi lors d’une exposition personnelle intitulée «De ce côté du miroir» à la galerie parisienne «Itinérance».

Depuis et lors de ses années parisiennes, son univers a commencé à s’enrichir pour inclure le dessin, la peinture, la vidéo (entre autres «Elles» en 2008 exposée lors du festival «Ici et demain» à Paris) et une petite expérience en photographie. Après 2007, elle opère un retour vers le dessin après s’être plus consacrée à l’installation. «Mes dessins prennent tantôt des allures de gravures et tantôt relèvent plus du graphique», note-t-elle. Elle crée alors ses carnets d’artiste dont un carnet qui l’a accompagnée, depuis 2008, dans ses recherches et qui résume tous ses projets. Vient ensuite sa 3e exposition personnelle, une évolution de «champ de vision», une installation intitulée «chambre désinfectée» qui met en scène la fabrication d’un produit de surveillance.

De retour en Tunisie après sa thèse, elle réalise une de ses œuvres les plus importantes «Marionnette céleste, Autoportrait» (2013/2014), une œuvre tout en relief autour et avec du papier (découpage). Dès lors, son œuvre devient de plus en plus épurée avec une inspiration Arte povera et toujours cette recherche et ce besoin de relief comme c’est le cas avec «Under the waves» (2018/2019). Plus qu’un objet, le papier devient dès lors sujet, c’est lui qui fait l’œuvre et nourrira ses pistes artistiques.

La question par rapport à la récente crise liée au Covid était inévitable. Elle nous a répondu que le confinement lui a inspiré un atelier baptisé «H2» avec ses enfants avec des œuvres à 6 mains réalisées tout au long de cette période qu’elle publiait sur Instagram. Une manière, nous dit-elle, de protéger les siens et de les éloigner de l’actualité anxiogène. Durant cette même période, elle a pris part à différentes initiatives artistiques lancées par des opérateurs culturels à l’instar de «Dessinez, vous êtes confinés» et «Fruits confinés».

Najah a plusieurs projets en vue, une idée d’exposition 100% papier en collaboration avec l’artiste Mohamed Amine Hammouda, un projet d’un livre pop-up et une exposition personnelle prévue pour début 2021. Bonne continuation.

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