Le hiatus est toujours abyssal entre la théorie et la pratique en matière de transparence, d’intégrité et de bonne gouvernance. Le recours à une nouvelle instance, comme le propose le projet de loi n°2019-81 se rapportant à la gouvernance des contributions, établissements et entreprises publics, serait-il la bonne solution ? Le président du Hccaf demeure sceptique et met en garde…
Introduisant le guide des bonnes pratiques pour une meilleure gouvernance des établissements et des entreprises publics, publié en janvier 2019, le président du Haut comité du contrôle administratif et financier (Hccaf), Kamel Ayadi, avait à cette époque souligné que le guide en question n’a pas l’intention de rajouter un ouvrage supplémentaire à la littérature sur le sujet de la gouvernance, déjà riche en rapports, documents et livres, il propose plutôt des démarches simples imprégnées de la réalité, faciles à assimiler et à mettre en œuvre dans le management de nos établissements et entreprises publics, car elles s’appuient fondamentalement sur l’analyse des pratiques réussies en Tunisie et ailleurs .
Imprégné d’une expérience riche en matière de bonne gouvernance, Kamel Ayadi savait pertinemment qu’il n’y avait rien, ou presque, à rajouter en matière de littérature. C’est que le hiatus est toujours abyssal entre la théorie et la pratique en matière de transparence, intégrité et bonne gouvernance. Une année plus tard, et plus précisément ce mercredi 17 juin, il ne fera que confirmer cet état de fait en dépit des efforts déployés par le Hccaf dans le cadre des missions qui lui sont imparties.
Le constat en matière de lutte contre la mauvaise gouvernance et contre la corruption est atterrant aussi bien pour le Hccaf que l’Instance nationale de lutte contre la corruption (Inlucc). Auditionné par la Commission de l’organisation de l’administration et des affaires des forces porteuses d’armes au sein de l’ARP, Ayadi a souligné, selon la TAP, qu’aucun audit réel n’a été réalisé dans le secteur public pour déterminer les causes de la situation « catastrophique » à laquelle sont parvenus, aujourd’hui, les entreprises et établissements publics. Il s’est en outre « interrogé sur le rôle du système juridique dans ce dossier », appelant l’Exécutif à dévoiler sa stratégie pour sauver le secteur.
Appelé à émettre des avis consultatifs sur les projets de textes législatifs et réglementaires, concernant l’amélioration des méthodes et procédés de gestion publique ou l’action des organes du contrôle administratif et financier, le président du Hccaf n’a pas été tendre à l’égard de l’un des articles du projet de loi n°2019-81 se rapportant à la gouvernance des contributions, établissements et entreprises publics. Ce projet a été, rappelons-le, appuyé par Taoufik Rajhi, ancien ministre chargé des grandes réformes auprès du gouvernement Youssef Chahed, et applaudi par certains experts.
“C’est une loi qui va révolutionner la gouvernance des entreprises publiques. En les dotant de bonnes pratiques de gouvernance alignées sur les standards internationaux, elle permettra de changer les modèles économiques des entreprises en difficulté”, avait même déclaré l’ancien ministre. Sauf que la création d’une nouvelle instance pour la gouvernance des établissements et des entreprises publics, introduite dans le premier article dudit projet de loi, n’a pas été bien accueillie par le président du Hccaf.
« L’idée de la mise en place d’une structure unique spécialisée, chargée de suivi de la gouvernance des établissements, sous la tutelle de la présidence du gouvernement et du ministère des Finances n’est en aucun cas fondée sur une étude d’évaluation de la rentabilité des établissements créés ou rattachés au premier ministère depuis 2002 », a-t-il argué. Au demeurant, cette nouvelle instance va s’investir des mêmes missions du Hccaf, ce qui explique par ailleurs la mise en garde émise par Ayadi contre la volonté de limiter les prérogatives de l’autorité de tutelle.
La solution réside-t-elle dans la création de nouvelles instances se substituant aux anciennes ? Il paraît bien qu’on se penche du côté du gouvernement vers ce choix en raison de la mauvaise gouvernance manifeste dans les institutions publiques. Signalons à ce propos que le ministre Kamel Ayadi a souligné lors de la présentation du 25e rapport annuel de son Comité que «Le coût de la mauvaise gouvernance est beaucoup plus élevé que celui de la corruption», informant par la même occasion que l’application de la loi relative à la lutte contre les conflits d’intérêts est confrontée à plusieurs difficultés ». Il est clair que l’accent doit être mis aujourd’hui sur l’application des textes de loi inhérents à la bonne gouvernance .