Sur la rive sud de la Méditerranée, les îles Kuriat sont considérées comme le seul site ‘’stable’’ pour la nidification de la tortue marine ‘’Caretta Caretta’’ où les touristes et les enfants peuvent observer les œufs éclore et les petites tortues se précipiter vers la mer. Un événement qui ne se produit que rarement.
Pendant des siècles, les tortues marines ont été les victimes d’une exploitation directe marquée par la pêche industrielle, la détérioration et la perte de leurs habitats et la pollution. Aujourd’hui, sur les sept espèces de tortues marines qui existent dans tous les océans du monde, six sont menacées d’extinction. Par ailleurs, la chance de survie d’un bébé tortue est très faible, de l’ordre de 1 pour 1000 après l’éclosion. Autant dire que ça fait froid dans le dos, mais mieux vaut tard que jamais; heureusement que les communautés nationale et internationale mettent les bouchées doubles pour les protéger. Cette conversion est un succès mais la bataille s’annonce encore longue pour protéger cette espèce menacée, qui ne cesse de migrer pour enfouir ses œufs dans le sable.
Le seul site stable…
Depuis une vingtaine d’années, la protection et le suivi des pontes des tortues marines nidifiant sur les plages des îles Kuriat ont commencé avec le Pr Mohamed Nejmeddine Lebredai. Ce travail, qui est le fruit d’une collaboration entre le Centre d’activités régionales pour les aires spécialement protégées (CAR/ASP), l’Agence de protection et d’aménagement du littoral (Apal) et l’Institut national des sciences et technologie de la mer (Instm), a permis de mettre en œuvre un plan d’action pour la conservation des tortues marines de Méditerranée. L’année 2017 a été marquée par l’ajout d’un quatrième signataire qui est l’association ‘’Notre Grand Bleu’’, qui œuvre pour la conservation de la biodiversité marine et côtière, notamment la protection des espèces qui ont un grand intérêt pour l’écosystème ou les espèces menacées d’extinction.
Comme chaque année, des équipes bien formées assurent, durant les mois de l’été, la protection et le suivi des pontes des tortues marines nidifiant sur la petite et la grande Kuriat, le seul site préservé et ‘’stable’’ sur la rive sud de la Méditerranée (de la Libye jusqu’au Maroc) puisque ce sont deux îles désertes qui ne comptent aucune population humaine permanente. Par rapport à d’autres sites, les îles Kuriat sont marquées aussi par l’absence des prédateurs à l’instar de la fouine, la grue, le renard, les crabes…
Absence des activités anthropiques
On constate aussi l’absence des activités anthropiques pendant la nuit et surtout l’absence de la lumière blanche qui nuit à la sortie des tortues pour la nidification, puisque ces reptiles sortent après le coucher du soleil pour pondre leurs œufs et donc toute source de lumière peut nuire à leur présence. Actuellement, les îles Kuriat sont le site de nidification le plus important en Tunisie où le phénomène connaît une régularité. Et puisqu’il bénéficie d’un monitoring depuis 1997, ceci nous a permis de déterminer les paramètres de reproduction propres à ce site.
Manel Ben Ismail, co-fondatrice et directrice de l’association Notre Grand Bleu, indique que depuis des années, les tortues “caouanne” (ou aussi caretta caretta), une espèce en voie de disparition que ce soit à l’échelle régionale ou globale, sont désormais devenues les amies des îles Kuriat où elles se sentent protégées surtout pendant la période de reproduction qui dure jusqu’à six semaines.
Auparavant, la science a prouvé que la caouanne a un faible taux de reproduction puisque les femelles peuvent ne pas pondre aucun œuf pendant deux ou trois ans. Mais pendant les deux dernières années, on a récupéré des tortues qui ont pondu une année d’avant sur les îles Kuriat. Et donc, on constate une nouvelle hypothèse et une nouvelle information à la science selon laquelle la caouanne s’adapte ; elle est donc de plus en plus sédentaire; pourtant c’est une espèce migratrice par excellence. « Avec son retour et puisqu’elle a pu regagner son milieu naturel, il y a une possibilité qu’elle reste aux alentours des îles qui représentent un environnement plus propice…Cela reste une hypothèse à confirmer », précise Ben Ismail.
Travail de sensibilisation
L’autre spécificité du site Kuriat, c’est que les opérateurs touristiques coopèrent avec les gestionnaires des îles (Apal et Notre Grand Bleu) pour protéger cette espèce menacée. Ils essaient de promouvoir leurs excursions tout en protégeant les nids découverts. Et puisque les tortues font des nids sur les côtes des îles, les touristes peuvent donc observer les œufs éclore et les petites tortues se précipiter vers la mer. « Cette approche participative nous aide dans le travail de sensibilisation que nous menons afin de protéger cette espèce…Il s’agit là d’un événement exceptionnel puisque l’éclosion des œufs ne se fait que rarement et seulement pendant la nuit », souligne Ben Ismaïl, ajoutant que l’effort de sensibilisation doit avoir plus d’importance surtout pendant la période de fréquentation qui coïncide avec la période de nidification.
D’autres actions…
Une autre forme de sensibilisation se fait aussi sur le site où un panneau et des piquets signalent un nid de tortues. L’objectif ici est de sensibiliser les touristes présents sur les lieux à leur protection. « Lorsque les bébés caouannes quittent leur coquille, des bénévoles et même des enfants ont l’occasion d’aider les bébés tortues à quitter leur coquille et à se rendre à la mer. D’ailleurs, grâce à cette approche participative, qui est aussi une coopération avec l’administration municipale à Monastir, les enfants peuvent même nommer des tortues. Il s’agit là d’une aventure écotouristique que les enfants et les touristes adoreront », affirme Ben Ismail.
Important ici de souligner que Monastir est le seul gouvernorat où il existe une loi qui sanctionne la pêche ou la vente de la tortue marine. Cette loi décentralisée stipule qu’acheter, pêcher ou livrer une tortue marine sur les territoires municipaux de Monastir entraîne une amende de 1.000 dinars. Il s’agit d’une une initiative lancée par le Conseil général de l’environnement et du développement durable, en partenariat avec la municipalité de Monastir, en attendant de généraliser cette loi sur toute la Tunisie.
D’autres formes de sensibilisation indirectes pour les pêcheurs, à travers leurs enfants, sont en cours grâce à des actions menées dans les écoles. Il y a aussi la participation à des événements environnementaux et la création de clubs sur la côte de Tunisie (Tabarka, Tunis, Sfax et Djerba) où l’association essaie de propager la mentalité de sauvegarde de la tortue marine et de l’élimination de sa consommation. «Pour faire réussir ce défi de taille, il est fondamental d’éviter certains comportements qui pourraient nuire à leur survie et à notre santé. La tortue marine est une espèce accumulative. Elle consomme et accumule tout ce qui est métaux lourds (qui est responsable du cancér) et elle peut résister dans des milieux pollués. Pour ce faire, il faut arrêter sa consommation », affirme-t-elle.
46 nids en une seule année
La nidification se produit pendant la nuit, car la caouanne sort de l’eau dans une zone de préférence sombre et peu illuminée et commence à creuser à quelques mètres du bord de l’eau. Après la ponte, la tortue creuse de faux nids pour protéger et confondre la recherche d’œufs à l’animal sauvage. Si elle n’est pas dérangée, en 2 heures, elle peut pondre plus de 100 œufs, puis elle recouvre le tout en utilisant les nageoires postérieures et retourne dans l’eau. Actuellement, les îles Kuriat sont le site de nidification le plus important en Tunisie et 2018 était une année exceptionnelle pendant laquelle on a enregistré un pic avec 46 nids stables (contre un total de 60 nids ou plus sur toute la Tunisie dont ce site).
« En terme de nids, on n’est pas très nombreux par rapport aux autres sites de ponte à l’instar de la Turquie ou la Grèce avec plus de 1.000 nids. Mais la particularité de ce site, c’est qu’il est le seul site stable de nidification au niveau de la rive sud de la Méditerranée puisque la ponte se fait chaque année et n’est pas occasionnelle…Une prospection a été effectuée l’année dernière sur toutes les plages du pays, où on a constaté plus de 60 nids… A Chebba, par exemple, il y a un nouveau site stable mais qui est encore en suivi », explique Ben Ismail.
La tortue verte débarque…
En Méditerranée, il existe trois espèces. Il y a la Tortue ‘’luth’’ qui est la plus grande des sept espèces actuelles de tortues marines et la plus grande des tortues de manière générale. Il y a aussi la tortue verte qui est une des plus grandes de toutes les tortues marines, pouvant atteindre jusqu’à 1,50 m de long (pour la carapace). C’est aussi la tortue marine la plus rapide, elle peut nager jusqu’à 35 km/h. La troisième c’est la tortue caouanne qui est une espèce centenaire par excellence : elle a une carapace de taille moyenne de 92 cm (tailles relevées de 70 à 115 cm), pour un poids moyen de 100 kg. Elle peut vivre jusqu’à 100 ans. Elle creuse un trou profond (50 cm environ) à l’aide de ses pattes arrière puis y dépose une centaine d’œufs dont l’incubation dure de 45 à 65 jours. Chez toutes les tortues marines, le sexe des individus est déterminé par la température de l’incubation. Les températures élevées (plus de 29°) donnent des femelles.
L’année dernière, on a découvert le premier nid de la tortue verte sur les îles Kuriat et sur toute la Tunisie. Mais cette nidification reste toujours occasionnelle jusqu’à son deuxième retour ou l’arrivée d’autres tortues vertes. « Comme pour toute autre espèce, il faut mieux faire pour la connaître et de faire en sorte qu’elle soit davantage protégée », souligne Ben Ismail.