Gilles Chausse, Directeur de l’Agence Française de Développement (AFD) Tunisie «Je suis confiant en la capacité de la Tunisie à rebondir»

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Depuis son implantation en Tunisie en 1992, l’AFD a débloqué plus de 1,1 milliard d’euros pour financer environ 200 projets. En 2019, le total des engagements a atteint 459 millions d’euros répartis principalement sur les secteurs suivants : eau et assainissement (19,6%), santé (18%), éducation (3,7%) et secteur productif (57,1%).

Sur le point d’achever son mandat de quatre ans à la tête de l’Agence française de développement (AFD) Tunisie, M.Gilles Chausse s’est épanché —lors d’une entrevue avec un groupe de journalistes tunisiens— sur les enjeux de développement en Tunisie mais également sur les nouvelles orientations stratégiques de financement de l’AFD. Rompu aux enjeux du développement dans les pays du Sud, notamment la Tunisie, M.Chausse est plutôt optimiste pour l’avenir économique du pays. Cette entrevue s’est tenue à l’issue d’une tournée de presse qui a été organisée, du 25 au 27 août dernier par l’AFD, dans les gouvernorats de Sousse, Kairouan, Ariana et Bizerte

Ouverture impressionnante sur les TIC

«La Tunisie est dotée d’un capital humain très fort et bien formé. Le niveau d’infrastructure du pays est très développé : il y a des autoroutes qui permettent d’aller à Gabès en quelques heures. Ce sont des socles économiques qui permettent à la Tunisie de pouvoir rebondir. Après, le monde n’est pas simple. Le pays est dans une compétition internationale. Il y a des enjeux, mais je suis très confiant dans la capacité de la Tunisie de rebondir en termes économiques», a révélé M. Gilles Chausse. Et d’ajouter : «Il y a un secteur privé extrêmement dynamique, qu’il s’agisse de grands groupes ou de petites industries. Il y a de jeunes startuppers, des universitaires, des chercheurs qui font des efforts formidables et qui ont une capacité d’innovation extraordinaire, en particulier en matière d’ouverture sur les technologies de l’information, ce qui est assez impressionnant. Et ça c’est de l’intelligence pur sucre. Après, il faut qu’il y ait des conditions. Il faut être accompagné, avoir des incubateurs et des banques qui acceptent de financer ces jeunes pour les laisser monter les plateformes».

3 milliards de dinars débloqués depuis 1992

Il faut dire que pour l’AFD —le bras financier de l’aide publique française au développement—, la Tunisie occupe une place assez particulière, puisqu’elle détient le volume des engagements le plus important avec un montant qui s’élève à 3 milliards de dinars, cumulés depuis l’implantation, en 92, de l’AFD en Tunisie. En 2019, le total des engagements a atteint 459 millions d’euros répartis sur les secteurs suivants : eau et assainissement (19,6%), santé (18%), éducation (3,7%), infrastructures et développement urbain (0,9%) et secteur productif (57,1%). «Pour les stratégies de financement, on croise tout d’abord différentes orientations et stratégies sectorielles qu’on révise tous les 5 ans.

Ce sont des stratégies que les équipes essayent d’élaborer en fonction des Etats du monde, des connaissances de la science, etc. et on a des stratégies transversales sur les questions de l’approche genre, du climat et du lien social. Après, dans chaque pays, on discute avec les autorités et on convient de ce qu’on va faire dans les cinq prochaines années. C’est ce qu’on a fait avec la Tunisie en 2016 lorsque la demande d’aide était axée sur les énergies renouvelables», a expliqué M. Chausse. Sur la période 2016-2020 qui coïncide avec le plan quinquennal de la Tunisie, le soutien financier apporté par l’AFD a été de l’ordre de 1,7 milliard d’euros.

Les études en cours de réalisation

La Tunisie est aussi l’un des rares pays avec lesquels le groupe a passé des accords de dialogue stratégique. En effet, l’agence a conclu, en 2018, un mémorandum avec le MDCI, qui permet de développer trois domaines, en l’occurrence le secteur privé, le changement climatique et la pauvreté. «On a réfléchi sur les sujets qu’on pourrait étudier ensemble et en Tunisie en arrêtant trois thèmes. Premièrement, on a décidé d’élaborer une étude très importante (qui est en train d’être finalisée) sur l’internationalisation des entreprises tunisiennes. Elle permet de développer les moyens de pénétrer les marchés internationaux et comment les entreprises tunisiennes peuvent aller sur les marchés, notamment sur les marchés africains.

Le deuxième axe concerne le changement climatique. Les équipes de macro-économistes de l’AFD ont développé un algorithme qui modélise la conséquence du changement climatique en macroéconomie. Et cette information prévoit, grosso modo, les répercussions économiques du changement climatique dans les dix prochaines années. En Tunisie, on est en train d’implémenter ce projet en partenariat avec l’Itceq et l’Institut national de météorologie. On va faire tourner le modèle d’ici la fin de l’année. Le troisième axe concerne la pauvreté.
A ce sujet, on a réalisé des études sur la pauvreté en termes de territoires et de revenus», a fait savoir le directeur de l’AFD Tunisie. Par ailleurs, il a affirmé que le groupe est actuellement, en discussion avec l’Office de la marine marchande et des ports (Ommp) en vue d’élaborer une étude qui prospecte la possibilité d’installer des prises électriques pour alimenter les bateaux en électricité. Il a expliqué, à ce sujet, que la pollution des villes qui accueillent les ports est causée en grande partie par les bateaux qui sont à quai et qui sont obligés de tourner leurs moteurs pour avoir de l’électricité. Les moteurs diesel des bateaux sont très polluants parce qu’ils consomment des carburants très peu raffinés, explique-t-on.

Cette étude permet de voir la possibilité d’installer des prises électriques dans le port, comme on est en train de faire dans les ports européens, pour les bateaux par exemple, ceux qui desservent les liaisons maritimes entre la Tunisie et la France, lorsqu’ils accostent à La Goulette, pour éviter d’émettre des gaz polluants dans la ville, fait-on savoir.

Le changement climatique, un marqueur identitaire

Si la lutte contre le changement climatique est un «marqueur identitaire de l’AFD» —si on reprend l’expression de M. Chausse— qui conditionne le financement des projets, la Tunisie devrait bénéficier de son rapport privilégié avec l’AFD, au regard de sa forte vulnérabilité aux extrêmes climatiques (elle est classée 35e à l’échelle mondiale). «Les plus climatosceptiques sont en train de tomber les masques. Nous étions présents au début et on est convaincu. Tout ce qu’on fait, c’est de s’attaquer à la question du changement climatique. Cependant, c’est une problématique qu’on n’aborde pas seulement à travers les questions d’eau ou les panneaux solaires, mais aussi en déployant des transports nettement moins polluants, en réduisant la consommation, en favorisant des consommations plus efficaces énergétiquement, etc., tout ça c’est le changement climatique.

L’autre marqueur identitaire, c’est le lien social au sens large du terme, c’est-à-dire, faire en sorte que tout ce qui est fait en matière de développement ne brise pas et ne détériore pas le lien social. Par exemple, préserver le lien social de l’agriculteur avec son milieu et sa profession, faire en sorte que les femmes et les jeunes trouvent une place dans les quartiers, etc.», dévoile M. Chausse.

Et de conclure : «Nous voulons montrer qu’aux questions de développement, il existe des solutions de développement. De temps en temps, émergent des pensées pessimistes dans notre monde qui laissent penser qu’on ne peut pas résoudre certains enjeux. Ce qu’on essaye de montrer, c’est que lorsqu’un certain nombre de conditions est réuni, que beaucoup de partenaires se mettent en jeu —les Etats, le secteur privé, la société civile, les établissements publics, les universités, la recherche— et travaillent en synergie, on peut faire du développement et tous les défis sont dépassables. Tous les jours, on voit des exemples qu’on peut faire bouger les lignes et que rien n’est irréversible surtout en matière de développement».

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