Abdelkarim Louati, journaliste-compositeur, à La Presse : «L’ingratitude dépasse de loin la reconnaissance dans le milieu»

Abdelkarim Louati a fait carrière dans le secteur des médias et de la culture. Durant son parcours, il a été l’auteur de plusieurs textes et compositeur de chansons interprétées par de nombreuses sommités de la chanson tunisienne. Lors d’une rencontre, il est revenu sur ses projets récents, dont la création d’un syndicat pour les journalistes culturels tunisiens, ses appréhensions et ses déceptions.

Sur 40 ans de carrière, peut-on revenir sur vos principales découvertes artistiques ?

J’ai eu l’honneur ou la malchance, au gré de mon parcours, de découvrir de nombreux talents appartenant à la scène artistique et médiatique tunisienne d’avant et de nos jours. J’ai accompagné des personnalités à leur début comme Baya Zardi, qui s’apprêtait à faire une carrière différente de ce qu’elle fait actuellement. Je travaillais au sein du journal de la «Télévision Tunisienne» à l’époque, au temps de Mustapha Ben Mahmoud. Raouf Kouka tenait les rênes d’une émission qui s’appelait «Fann et Maouaheb». Baya faisait ses premiers pas là-bas en tant qu’animatrice et elle voulait chanter. Entre coulisses et essais caméra, je faisais beaucoup de terrain et c’est comme ça que j’ai pu l’accompagner et la motiver. Mohamed Chabbouh, paix à son âme, lui a tendu la main par la suite. Je me rappelle d’un entretien qu’elle avait fait avec Zina Tounsia, parmi ses tout premiers. Je l’ai accompagnée pendant au moins deux ans dans le milieu, après, on s’est perdu de vue. Ensuite, elle s’était rapprochée de feu Najib El Khattab, professionnellement. J’ai découvert aussi Saloua Amri, qui a chanté deux chansons à moi, disponibles dans une ancienne cassette-cocktail avec Alia Belaid et d’autres… Elle est loyale, contrairement à d’autres personnalités. Pareil, pour Alia Belaid : je lui ai composé une vingtaine de morceaux. Notre collaboration n’a pas duré. Samia Ayari également, devenue après journaliste grâce à moi. Shayma Helali je l’ai initiée au secteur ainsi que Slim Dammak, Amina Fakhet, qui danse à merveille depuis son plus jeune âge : j’ai écrit une chanson à Amina qui n’a jamais vu le jour parce que je ne voyais pas quelqu’un d’autre à sa place… Il y a beaucoup qui sont rancuniers et avec qui je n’ai plus gardé contact. L’ingratitude dépasse de loin la reconnaissance dans le milieu. Fayza Mahersi, Hbib Lassoued, Raoudha Mansouri, Zoubair Lakkani sont loyaux, par contre. Cendrillon et Sandra sont mes récentes découvertes tout autant fidèles.

Quels sont vos accomplissements ?

J’ai fondé le syndicat des journalistes culturels et l’association «Ouilayet Tounes pour la culture et les arts». Récemment, j’ai activement participé à la conservation/Restauration de Borj El Baccouch. Je suis intervenu auprès du ministère afin de pousser les autorités concernées à réagir. Avant la révolution, Ahmed Friaa, ancien ministre de l’Intérieur, a utilisé un terme fortement péjoratif «Tueurs» pour évoquer victimes et martyrs… J’ai contacté Kamel Morjane pour qu’il mette la pression sur le premier afin de modérer son discours. La Télévision Tunisienne devait faire une programmation adéquate aux évènements que nous vivions. On m’a mis à la porte après. On m’a éloigné des plateaux télé. Najha Jamel, quand j’ai travaillé au sein de la foire du livre, on lui a rendu hommage mais elle me l’a mal rendu. En 2006, Rotana s’est emparée de Carthage, et j’ai fait en sorte d’établir une programmation convenable et dissocier Carthage de Rotana. En tant qu’ancien membre, je n’ai pas été payé depuis. Je me suis focalisé sur les spectacles dédiés aux enfants- artistes que j’ai pu accompagner jusqu’à l’âge adulte. Je me rappelle d’un spectacle «Asafer el Janna» pendant Carthage 2005, qui m’a permis d’arriver à la direction du festival pour enfants de Carthage. Depuis, je n’ai été payé pour ce poste que l’année dernière. Olfa Ben Fraj, Houyam Taher, Sabrine… Les clips et les textes pour l’environnement, j’en étais l’auteur. Dhekra Mohamed, Oulaya, Nawel Ghachem ont chanté mes textes. L’envers du décor, c’est que j’ai eu des problèmes juridiques avec d’autres, comme Mokded Shili et j’ai même été agressé physiquement par un assistant de production à l’époque de feu Najib El Khattab. Ma critique n’avait pas plu et mes avis ne plaisaient pas souvent. On m’a piqué mes compositions comme par exemple une chanson chantée par Zina Tounsia que j’ai découvert par hasard à la télé.

Comment avez-vous fondé le syndicat des journalistes culturels ?

Le secteur artistique et culturel a besoin d’un syndicat indépendant et opérationnel. Le secteur est très infiltré par ce qu’on appelle couramment et facilement «chroniqueurs» de nos jours. Les «chroniqueurs» sont à ne pas confondre avec les journalistes culturels. Une discipline même rabaissée à une époque par le ministère.
La carte professionnelle des journalistes culturels n’existe plus. Il fallait remédier à un terrain déjà très miné et fragilisé. Il y avait trop de dépassements. Le journalisme sportif est beaucoup plus organisé. Pourquoi pas nous ? Je voulais créer une instance au départ, mais l’équipe m’a fait faux bond. J’ai changé l’aspect de l’instance en rétrécissant le nombre des membres élus à quatre. Je suis à sa tête et on est à la recherche d’un local et de sponsors depuis récemment. Je suis avec Wadii Ben Rhouma, Abdessatar Nagati, Mohamed El May et Chedli Laaraidhi. Ensuite a vu le jour l’association «Ouilayet Tounes pour la culture et les arts». Son principal objectif est de fonder un festival dédié aux enfants.  Croisons les doigts !

Qu’avez- vous de récent à lancer ?

Une chanson interprétée par Fayza El Mahersi et des projets sur le point d’être pleinement concrétisé avec Nour Elarab. Le festival de la musique présentera ses travaux. Cendrillon a également des projets en préparation. Nous veillerons à bien les lancer. Une chanson de Cendrillon initialement pour Ouarda el Ghodhbane sera présentée au public prochainement. Le lancement prometteur d’une nouvelle chanson, interprétée par Nour Mhanna, est aussi attendu. Elle s’appelle «Lerrijeel Maouakef».

Dernièrement, vous avez été à la tête d’un festival de musique arabe dédié aux artistes tunisiens résidents à l’étranger et qui a eu lieu à Ben Arous. Comment s’était déroulée cette expérience ?

J’avais un spectacle de musique programmé à la demande d’Ezeedine Laâbidi, délégué régional à la culture à Ben Arous, que je remercie. Soutenue par le ministère de la Culture, l’initiative nous a été facile à mener jusqu’au bout. On a fait appel à mes services. Je m’y suis mis. L’expérience s’est parfaitement bien passée. Plusieurs de mes chansons ont été chantées par les artistes au programme. Le public était au rendez-vous malgré les circonstances particulières. Mes remerciements à Mahmoud Mechergui. J’ai pris contact avec les artistes programmés de par mes relations professionnelles avec eux de longue date. Nour Elarab est mon grand ami, par exemple. L’idée du festival était toute nouvelle pour moi et inédite surtout. D’autres projets sont en cours de route.

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