Accueil Culture L’artiste Amira Chebli à LA PRESSE: L’éternelle vulnérabilité des êtres de lumière

L’artiste Amira Chebli à LA PRESSE: L’éternelle vulnérabilité des êtres de lumière

Entre la Tunisie et la France, elle fait son bonhomme de chemin, un chemin fait de rencontres, d’embûches, de zones lumineuses et de zones d’ombre. Elle est interprète, elle donne de son être à des personnages qu’elle adopte et qui lui collent à la peau. On la connaît surtout sous les traits de H’biba dans Nouba, mais Amira Chebli n’est pas une comédienne à un seul rôle. Au cinéma ou bien au théâtre, elle joue et dessine par le corps les contours d’une vocation qui s’est façonnée au fil des années. On aime chez elle son franc-parler, sa discrétion, son intelligence et son regard insolent. Avec nous, Amira Chebli s’est livrée à cœur ouvert et partage avec nos lecteurs sa fragilité, ses rêves, ses passions et ses déceptions. Entretien.


D’un confinement à un couvre-feu, la crise sanitaire nous met face à notre réalité d’être fragile ; dans quel état d’esprit Amira Chebli vit-elle sa condition de citoyenne et d’artiste ?

Je pense que le constat de ma propre fragilité s’est fait en dehors des temps de crise. Mais  avec cette crise sanitaire, je constate la fragilité collective et universelle qui, au-delà d’être mentale ou sentimentale, est économique et politique. Et je préfère employer le terme vulnérabilité car c’est ce que nous sommes quasiment tous face à cette situation, vulnérables et en attente de décision des hautes sphères — du voire — des pouvoirs, qui sont eux, perplexes et ne semblent toujours pas trouver les bonnes réponses pour faire face à cette situation inédite. Mon état d’esprit en tant que citoyenne artiste, et je ne peux pas dissocier l’une de l’autre, est entre la peur, la tristesse et la colère.  Mais je ressens en moi une force et une détermination que j’ignorais. Des ressources inconnues qui m’aident tous les jours ou presque à donner du sens à cette période kafkaïenne.

Votre parcours atypique a fait de vous une artiste en perpétuelle mutation, d’abord les arts plastiques, puis la danse, le jeu, le théâtre, le cinéma…tous ces chemins se rencontrent dans un point précis. Pouvez-vous nous dire lequel d’après vous ?

En effet, dans mon parcours j’ai abordé plusieurs disciplines, frappé à plusieurs portes. N’ayant pas à l’époque une réponse précise à la question : que voudrais-je faire de cette ambition, de cette envie, de ce corps. J’ai tenté dans ce chaos de dessiner un chemin, celui de l’apprentissage. Car la réponse était toujours la narration. Par le dessin, par le corps, par le jeu. Et puis je m’approchais à chaque projet un peu plus d’une réponse précise.  L’Ecole des beaux-arts m’a apporté une connaissance générale de l’art et puis a mis une pierre académique dans une construction autodidacte. Et j’ai croisé des créateurs (chorégraphes, metteurs en scène, réalisateurs) qui m’ont donné la chance de jouer et de danser alors que j’étais une matière brute nécessitant une formation et des outils pour pouvoir interpréter. J’ai eu l’impression de me jeter dans le vide alors qu’à chaque fois je gagnais en savoir-faire. Aujourd’hui mon statut est celui d’une comédienne avec encore une envie de me lancer dans une autre discipline, celle de la réalisation. Donc toujours avec ce besoin, cette urgence de raconter.

L’acte de créer est un acte fondateur, comment êtes-vous arrivée à vous installer dans cet état et quel plaisir en tirez-vous ?

Il a fallu du temps, et ce n’est pas gagné, pour m’installer dans cet état. Car on se pose toujours la question de la légitimité. La légitimité de mobiliser les gens dans un siège de théâtre ou d’une salle de cinéma ou encore devant leurs télés pour leur  raconter quelque chose, pour être source de savoir, de débat, d’identification, de plaisir ou simplement de questionnement.   

Dans chaque projet je mesure la responsabilité que nous avons. Mais j’essaie aussi de me libérer de ce poids car nous ne sommes pas une unité et nous ne sommes plus à un endroit de restauration de valeurs. Chaque artiste, qu’il soit fédérateur d’œuvre ou simplement interprète, est responsable  de ces choix.

A ma place je m’engage avec moi-même de ne faire que ce qui correspond à ma vision, mes valeurs et à ce que je souhaite qu’on m’offre si j’étais spectatrice.

Pour m’épargner  l’aigreur que je pourrais ressentir face à ce tsunami de médiocrité. 

Dans les rôles, il n’y a pas eu que H’biba dans Nouba, que représentent pour vos ces multiples rôles que vous endossez ?

Chaque rôle représente une chance et une opportunité que j’ai eue, un métier à apprendre et à m’amuser en le faisant. Ils représentent aussi des pas vers les rôles que je souhaite endosser et pouvoir à chaque fois mesurer l’évolution en termes de jeu et d’interprétation.

Amel dans le feuilleton « Pour les beaux yeux de Catherine » et H’biba dans « Nouba » m’ont ouvert la grande porte magique de la télé et amplifié ma responsabilité des choix à venir mais chaque rôle dans une pièce de théâtre, dans un long ou un court métrage et chaque partition dans une pièce de danse ont la même importance à mes yeux. Il y a plein d’expériences qui n’ont pas eu la même notoriété publique mais qui m’ont tellement appris sur ce métier et sur moi-même.

L’interprétation et l’écriture chorégraphiques semblent être votre élément naturel : avons-nous tort de le penser ?

Je dirais plutôt l’interprétation et l’écriture tout court. Je m’éloigne petit à petit de la danse, même si j’ai deux projets de danse à venir (2021/2022) en tant qu’interprète avec deux jeunes chorégraphes que j’aime beaucoup, Dalia Naous du Liban et Selim Ben Safia de Tunisie. Je prends du recul pour réfléchir mon rapport avec la danse et la performance de façon générale. Je suis complètement prise par le développement de mon long métrage qui s’impose à moi avec beaucoup d’urgence malgré la difficulté et la complexité de la situation du cinéma, cette année, et certainement celle d’après en termes de tournage et de financement. 

Que vous offre votre installation en France et quelles perspectives y trouvez-vous ?

A mon arrivée, la France m’a offert une très belle expérience théâtrale avec le centre national dramatique de Rouen et le metteur en scène David Bobée, quelques courts-métrages et de très belles rencontres professionnelles pleines de potentiel.

Mais concrètement je travaille encore plus en Tunisie qu’en France et je n’ai pas de réseau ni d’agent; donc je me pose plein  de questions sur mon avenir ici et sur comment je dois m’investir afin de créer l’opportunité de travailler en France avec les réalisateurs et les metteurs en scène que j’admire.

Après ce que l’installation en France m’offre de plus fondamental c’est un recul par rapport à la Tunisie, c’est le luxe de travailler et partir pour réfléchir et méditer sur la suite dans un lieu neutre.

C’est aussi un accès, malheureusement, plus facile et plus varié à la culture. Mais je n’écarte pas du tout l’envie ou la possibilité de rentrer en Tunisie, un jour.

La situation actuelle de la culture en Tunisie et le désintérêt du politique sont de mauvais augure sur le secteur, ses acteurs et la création. Pensez-vous que les solutions doivent maintenant venir des acteurs culturels eux-mêmes ?

Le désintérêt politique envers la culture est général. Quand on entend Johnson demander aux artistes de changer de métier, Macron annoncer le confinement en parlant de tous les secteurs sans dire un mot sur la culture et Mechichi réduire les artistes au divertissement, on ne peut s’empêcher de ressentir la colère, l’abandon et l’injustice.

Il est donc temps d’envisager une culture indépendante de l’Etat. De toute façon elle devrait l’être et j’ose imaginer que  financièrement  c’est envisageable, aux experts de nous le dire.

Mais nous ne pouvons plus accepter d’être toujours le sacrifié des crises et les premiers à être abandonnés car certains hauts cadres pensent que la culture n’est pas indispensable. Alors que nous savons qu’elle l’est plus que jamais. Car l’aspect le plus tordu de cette crise est intellectuel et culturel et ses conséquences vont probablement être plus difficiles à sauver.

Et si nous nous projetons dans l’avenir que voyez-vous ? Quel monde voudriez-vous trouver ?

J’aimerais tellement pouvoir vous donner une réponse pleine d’espoir mais ça serait se voiler la face. Les conséquences économiques de la pandémie se font déjà sentir et la précarité s’élargit et atteint même des classes sociales censées être plus ou moins épargnées. Maintenant je crois que ce bouleversement va sans doute apporter d’autres façons de faire et de nouveaux modèles économiques.

J’espère que nous serons dans un monde où la culture sera considérée comme un secteur vital. Un monde moins violent et moins aveuglé par les réseaux sociaux et la désinformation.

Une reprise des valeurs humaines basiques et un éveil ou une ascension universelle après avoir touché le fond.

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