Accueil A la une Begoña Lasagabaster, représentante d’ONU-Femmes en Tunisie et en Libye, à La Presse : « Plus de participation des femmes égale plus de paix et de prospérité »

Begoña Lasagabaster, représentante d’ONU-Femmes en Tunisie et en Libye, à La Presse : « Plus de participation des femmes égale plus de paix et de prospérité »

Begoña Lasagabaster est la représentante d’ONU Femmes en Tunisie et en Libye depuis décembre 2018. Avant cette affectation, elle a été chef du bureau d’ONU Femmes au Liban. De 2008 à 2017, elle a travaillé en tant que spécialiste et conseillère sur le leadership des femmes, d’abord avec Unifem, et depuis sa création initiale avec ONU Femmes. Dans cet entretien, elle revient sur l’importance factuelle et juridique de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des NU relative à la participation des femmes dans les processus de paix. Une résolution à laquelle la Tunisie a adhéré très tôt et qui a célébré fin octobre son vingtième anniversaire.

Le monde vient de fêter le vingtième anniversaire de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations unies sur le thème de « Femmes, paix et sécurité ». Pourquoi cette résolution a-t-elle été adoptée ? Les instruments internationaux déjà existants pour la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes ne garantissaient-ils pas la participation des femmes aux processus de paix et de sécurité ?

Certes la Résolution 1325 est venue couronner un long processus de lutte pour les droits des femmes, néanmoins c’est une résolution pionnière qui a marqué un tournant décisif. Elle est le premier texte à avoir reconnu les femmes comme véritables actrices de la paix et de la sécurité. Cette résolution a reconnu l’effet différencié des conflits sur les hommes et les femmes en appelant à la protection accrue des femmes et des filles contre tout type de violence, mais elle est allée au-delà pour mettre en exergue la nécessité de la pleine participation des femmes dans toutes les actions de maintien, de consolidation de la paix et de prise de décision. Force est de constater la haute valeur normative de la Résolution du fait qu’elle ait été adoptée à l’unanimité par le Conseil de sécurité, ainsi son application est obligatoire pour tous les pays membres dans l’Organisation des Nations unies. 

En quoi consistent les objectifs clés de la résolution 1325 ?

La résolution a préconisé une approche globale de l’intégration des considérations relatives au genre dans tout le processus de paix et de sécurité. Ses objectifs principaux couvrent les volets de la prévention, la protection et la reconstruction.

Ainsi, la résolution exhorte les Etats à prévenir les violences basées sur le genre et à renforcer les mécanismes de protection contre la violence et en particulier la violence sexuelle. Elle tend à la prise en compte des besoins particuliers des femmes et des filles lors de la reconstruction après les conflits en mettant en place des perspectives de redressement. De même, la résolution vise à renforcer la participation égalitaire des femmes et des hommes à tous les niveaux des processus de paix et de sécurité allant de la prévention des conflits à la négociation des accords de paix. La résolution tend aussi à assurer une participation égalitaire des femmes pour la prise de décision à tous les niveaux et dans les institutions nationales et internationales.

Quel type de partenariat avez-vous mis en place avec le gouvernement et la société civile pour inciter les divers acteurs à adopter les principes de la résolution et à les mettre en œuvre ?

De par sa portée générale, la mise en place de la résolution 1325 nécessite l’implication de toutes les parties prenantes. C’est pour cela que l’ONU Femmes Tunisie et Libye a choisi de fêter le 20e anniversaire de la résolution sous le signe d’une synergie entre tous les acteurs : le gouvernement, la société civile, les médias, les autorités locales et les parlementaires. C’est à travers une telle symbiose qu’on peut faire vivre la résolution et tirer profit de ses répercussions bénéfiques.

Dès 2016, la Tunisie a commencé les premières étapes d’élaboration de son plan d’action national qui a été piloté par le ministère de la Femme, de la Famille et des Personnes âgées. L’ONU Femmes a accompagné tout le processus grâce au soutien du gouvernement de la Finlande, et ce, jusqu’à l’adoption du plan national et des plans sectoriels des différents ministères. L’approche inclusive et participative a donné le tempo à tout le processus qui est toujours en marche. Je vous remercie d’avoir évoqué le rôle de la société civile qui reste primordial dans toutes les phases d’élaboration, d’application mais aussi d’évaluation de la mise en œuvre de la résolution. Il est important de rappeler que c’est grâce aux pressions de la société civile que cette résolution est née. L’ONU Femmes contribue au renforcement des capacités et assure une plateforme de dialogue continu entre les différentes parties. Pour vous donner une idée, l’équipe large du projet qui a travaillé sur le plan d’action est composée de 145 membres répartis entre ministères, instances, institutions publiques et 23 organisations de la société civile centrales et régionales.  Plusieurs ateliers de sensibilisation, de formation et de réflexion ont été organisés afin d’aboutir à l’adoption des plans d’action pour la mise en œuvre de la résolution.

Que peut apporter la résolution onusienne à une Tunisie qui vit une transition démocratique depuis dix ans et dont les indicateurs économiques sont tous au rouge ?

Le génie de la résolution 1325 est justement sa possibilité d’adaptation à différents contextes. Il ne faut pas attendre la guerre pour faire la paix, c’est la philosophie onusienne. La résolution est d’un apport considérable pour le contexte tunisien de par la transition démocratique que vit la Tunisie, le voisinage en situation de conflit et le défi de la lutte contre le terrorisme. A cela s’ajoute la crise mondiale que nous vivons actuellement avec le Covid-19. La résolution offre d’importantes ressources qu’il faudrait puiser et exploiter; la transition démocratique reste une opportunité unique pour transformer les institutions et introduire de nouvelles réformes en intégrant l’approche genre et en assurant l’égalité comme cela a été bien inscrit dans la Constitution de 2014. De même, la résolution met les jalons pour une justice transitionnelle inclusive permettant la résilience et le redressement tellement nécessaires pour la construction d’une paix durable.

Ainsi, on ne peut séparer les volets sécuritaires et économiques qui restent intimement liés ; le lien entre insécurité et pauvreté n’est pas à démontrer ; l’équation est simple : plus de participation des femmes égale plus de paix et plus de prospérité ; c’est l’enseignement qu’on peut tirer de la résolution 1325. Dans un autre sens, la Tunisie peut être également d’un grand apport à la résolution 1325 ; elle était membre du Conseil de sécurité lors de son adoption, 20 ans plus tard elle siège au Conseil et pourrait de par son expérience pionnière donner un nouvel élan à la résolution à l’échelle mondiale.

La Tunisie a adopté son plan national pour l’application de la résolution 1325 en Conseil des ministres le 8 août 2018. Pourtant cet acte censé assurer entre autres la sécurité des femmes ne les a pas empêchées de voir se démultiplier, sept fois plus qu’en temps normal, la violence à leur encontre. Jusqu’où peut-on évaluer l’efficacité du dispositif onusien en Tunisie ?

La lutte contre les violences basées sur le genre est la pierre angulaire de la résolution 1325. Justement, la recrudescence des violences contre les femmes est un signe annonciateur de conflit à ne pas négliger. Cette multiplication des cas de violence a été constatée lors de la crise du Covid. C’est bien une pandémie de l’ombre qui s’est développée en parallèle  et les femmes en sont les principales victimes. Ce phénomène est mondial, le Secrétaire général des Nations unies a justement lancé un appel pour « la paix dans les foyers ».

Le plan d’action national a fixé comme priorité d’assurer la prévention et la protection des femmes de toutes les formes de violence avant, durant et après les conflits et les crises. La Tunisie a mis en place une loi intégrale contre les violences assez prometteuse. Aujourd’hui, ce premier plan d’action prend bientôt fin, l’heure est au bilan et à la préparation de la deuxième génération de plan d’action. La crise du Covid a posé de nouveaux défis, notamment pour faire face à la violence économique et pour assurer la continuité des services de prise en charge, d’orientation et pour permettre l’accès à la justice en toute circonstance. Ces axes rejoignent les priorités de l’ONU Femmes qui continuera son partenariat stratégique avec les différentes parties prenantes pour mettre en place la deuxième génération du plan d’action national et pour agir ensemble et mettre fin à tout type de violence contre les femmes.

Votre mandat s’étend également à la Libye voisine, qui traverse une situation de conflit depuis dix ans. La situation des femmes libyennes est d’une grande fragilité eu égard à la guerre. Quels programmes et stratégie met en place l’ONU Femmes pour leur venir en aide ?

Nous travaillons avec les femmes en Libye pour les soutenir et les accompagner dans la participation effective et fructueuse à tous les aspects relatifs au processus de paix. Notre soutien couvre la participation officielle aux discussions de la paix mais englobe aussi celle de la société civile. 

Nous œuvrons également à l’autonomisation économique et sociale des femmes et au changement des lois discriminatoires. Nous avons initié des recherches sur des thématiques différentes, notamment la prévention de l’extrémisme violent, la situation socioéconomique des femmes en Libye, etc.

Je tiens à mettre l’accent sur un important aspect de notre travail qui est la collaboration avec des organisations des femmes de la base, particulièrement lors de la crise du Covid-19, en plus du travail dans le cadre de projets pilotes avec les élues locales, les jeunes et les médias.

Vous avez reçu en 2018 le Prix de la Fédération espagnole pour la promotion du leadership féminin. Comment renforcer à votre avis la place des femmes tunisiennes dans le domaine du leadership politique et économique ?

Ayant été parlementaire durant douze ans, j’ai bien expérimenté les méandres de la participation politique des femmes et les obstacles auxquels elles font face tous les jours pour se frayer une place.

Je crois que l’égalité est bien inscrite dans l’ADN tunisien. Pourtant, le leadership féminin demeure en retrait malgré les avancées législatives certaines. La parité préconisée par la Constitution tunisienne n’est pas reflétée dans les hautes instances de décision ; la violence politique, la stigmatisation et la dévalorisation du rôle des femmes dans les assemblées élues restent un obstacle tangible à leur participation politique. Il faudrait agir contre ces obstacles endémiques et systémiques en dénonçant mais aussi en sensibilisant et en agissant contre l’impunité.  Les médias ont également un rôle considérable pour faire sortir de l’ombre le travail fait par les femmes et transformer les normes de genre afin que les femmes soient acceptées comme des leaders légitimes au même titre que les hommes. Le leadership féminin a prouvé son succès partout où il a été affirmé, il faudrait donner aux femmes des chances égales pour qu’elles accèdent aux postes de décision, c’est un travail qui nécessite l’implication des partis politiques, de la société civile, des instances indépendantes et des pouvoirs de l’Etat. En matière économique, le défi est de faire ressortir au grand jour le coût de l’inégalité, le coût du travail non rémunéré des femmes et l’accès inégalitaire aux richesses. C’est pour cela que l’ONU Femmes travaille avec les partenaires nationaux pour une méthodologie nationale relative aux statistiques et à la collecte de data genrée en matière économique. Cet état des lieux est nécessaire pour faire un bilan des mesures microéconomiques mais aussi macroéconomiques à l’aune de l’égalité de genre,notamment les politiques publiques en matière budgétaire et fiscale.

Il est important de rappeler que le chômage, le travail informel et précaire sont largement féminisés. Ainsi, toute stratégie de relance économique ne peut être en marge d’une approche genrée et du renforcement de l’entrepreneuriat féminin. C’est un gage de réussite et d’efficacité. 

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Un commentaire

  1. Habib

    16 novembre 2020 à 12:33

    Franchement je la préfère e en brune sa teinte habituelle

    Répondre

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