Un chiffre en hausse constante qui intrigue, mais surtout révèle l’évolution de la migration irrégulière devenue véritablement «un projet de famille».
La migration en Tunisie ne cesse de se développer ces dernières années, particulièrement l’immigration irrégulière. L’avènement de la révolution du 14 janvier 2010 n’a fait que la renforcer et empirer la situation. Petite parenthèse : la migration régulière, même si elle se fait dans les normes, ne manque pas de rajouter son grain de sel à cette situation inédite en Tunisie, où l’exode devient le seul recours pour sortir des difficultés vécues dans son propre pays. Un état de déliquescence programmé qui incite de nombreux Tunisiens à plier bagage, en général définitivement, vers d’autres horizons. L’année 2020 ne déroge pas à la règle avec les vols aériens en partance, notamment, vers l’Amérique, au pays du sirop d’érable, le Canada, ou plus près vers la France ou l’Allemagne et, bien entendu, l’Italie. Cela révèle la tendance à chercher un avenir outre-mer vaille que vaille. Quant à la traversée clandestine, elle se fait surtout par voie maritime. Des groupes de jeunes et d’adolescents prennent le large à tour de bras à leurs risques et périls. Issus de tous les gouvernorats de la République sans exception, ils tentent dans un élan de désespoir de sortir du pétrin et de sauver leur vie. En allant voir si l’herbe est plus verte sous d’autres cieux.
Nous avons demandé à M. Alaa Talbi, directeur exécutif du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux de dresser un bilan de l’année 2020 de la migration clandestine tunisienne, avant de donner des explications sur les causes de ce phénomène grandissant.
Avec l’énergie du désespoir…
A.Talbi avance ces chiffres : «Il faut savoir que plus de 10% du total des migrants tunisiens sont des mineurs non accompagnés. Sur l’année 2020, on décompte 12.510 migrants dont 10.383 hommes, 342 femmes, 385 mineurs accompagnés et 1.400 mineurs non accompagnés. En outre, on parle de projet de famille pour la migration clandestine actuelle, mais pas uniquement comme projet individuel car il y a une démocratisation de la migration».
Pourquoi y a-t-il alors une augmentation des mineurs qui ont migré en 2020 par rapport aux années antérieures ? Pourquoi les jeunes et les mineurs s’adonnent-ils aux traversées de la mort ? Parmi les causes, on cite le désespoir, l’impact négatif du taux de chômage important en Tunisie, l’abandon scolaire qui touche chaque année entre 50.000 à 70.000 élèves qui ont fini par décrocher. Cela, «alors que l’école est obligatoire jusqu’à l’âge de seize ans», condamne-t-il. Le nombre, non négligeable de femmes, surprend l’expert de la question migratoire. D’un autre côté, avec «3.387 mouvements de protestations et 4.685 migrants» vers les côtes italiennes, d’après le Ftdes, cela en 100 jours sous la présidence du gouvernement Mechichi, il y a un hic, c’est le moins qu’on puisse dire.
Talbi critique également les dernières déclarations du chef du gouvernement Mechichi qui assimile à tort les migrants clandestins aux terroristes. Le Ftdes a réagi ouvertement mercredi dernier, par un communiqué qui condamne les propos du chef du gouvernement «de façon intentionnelle» qui nuisent à l’image des Tunisiens. On nage en eaux troubles à tous les niveaux, les Tunisiens ne sachant plus où donner de la tête et de la voix.
D’ailleurs, d’après le Ftdes, 73,9% des Tunisiens estiment que «leurs voix ne sont pas entendues dans leur pays». Ce constat traduit le manque de considération pour les intérêts vitaux des citoyens, dont fait preuve le gouvernement actuel. A n’en point douter, le torchon brûle.