La Tunisie commémore aujourd’hui les événements du 18 janvier 1952, sans faste ni cérémonies. Cette date combien importante pour le pays aurait dû être célébrée comme une fête nationale ponctuée de discours en l’honneur des martyrs et des résistants de l’épopée de la libération nationale. Au grand dam des Tunisiens, elle passera encore sous silence dominée par une actualité morose où les mouvements de contestation tournent à la désobéissance civile avec des scènes désolantes d’un retour à l’anarchie, aux razzias, aux coups de main et aux pillages.
Certes, les raisons de la colère sont multiples et leurs prémices étaient palpables depuis des semaines, voire des mois. On l’a dit à maintes reprises, la braise couvait encore sous la cendre. Et que l’heure était grave. Qu’on avait besoin de calmer les ardeurs des mécontents par des solutions concrètes, non pas par de simples promesses. Le résultat est là. Et une mauvaise gestion de la situation ne ferait qu’exacerber la crise. Force est de reconnaître, en cette date glorieuse du 18 janvier, qu’il faudrait passer en revue les crises qui ont suivi le déclenchement de la lutte armée pour décrypter ce qui se passe aujourd’hui.
Le 18 janvier 1952, la lutte armée était déclenchée. C’était le début d’une révolution dont l’objectif ultime était l’indépendance du pays. Des hommes ont pris les armes tels que Mosbah Jarbou, Béchir Zarg Layoun, Hassen Ben Abdelaziz, Béchir Ben Sédira Daghbagi ou encore de Lazhar Chraïti et Sassi Lassoued. Ils avaient organisé le maquis et engagé le combat, faisant face aux blindés français. Ils ont enduré les ratissages et les massacres. Farhat Hached, Hédi Chaker et tant d’autres ont été assassinés. A cette époque, il y avait un parti, une tête pensante et des objectifs précis qui pouvaient être atteints par la guérilla et l’action politique. Mais une fois le premier objectif atteint, à savoir l’obtention de l’autonomie interne, la première sédition voit le jour avec les yousséfistes qui étaient pour l’indépendance totale. Quand celle-ci fut acquise, ils étaient pour l’évacuation ; quand l’évacuation eut lieu à son tour, ils étaient pour le panarabisme… Mais Bourguiba ne portait pas dans son cœur ces hommes trop orgueilleux qui, en prenant les armes contre la France, s’imaginent encore que c’est à eux que revient le mérite d’avoir mis fin à la domination française et que c’est à eux que reviennent l’Etat et ses richesses, que les autres ne sont que des usurpateurs. Un coup d’Etat était fomenté par les mêmes alliés d’hier qui n’étaient pas contents que les résistants soient écartés de la vie politique et de la gestion des affaires de l’Etat. Depuis, la Tunisie a surfé d’une crise à une autre. Procès politiques, condamnations à mort, interdiction du Parti communiste, guerre de Bizerte, crise de la politique coopérative, etc. Mais la grogne sociale qui a fait vaciller le régime de Bourguiba en 1978 et en 1983 est inéluctablement le résultat de ces échecs successifs et de ces querelles politiques à n’en plus en finir entre des factions qui, dans leur haine inexpiable, croient que tout leur est permis, pourvu qu’ils trouvent un appui à leur opposition, un soutien pour leur travail de sape. Ceux qui sont aujourd’hui dans les rues ne mènent pas leurs raids parce qu’ils sont contre les palais et les demeures somptueuses du clan Ben Ali ou pour revendiquer le rapatriement de l’argent spolié. Ils sont là car il y a un malaise ambiant qui a été alimenté par des rivaux politiques qui revendiquent la paternité de la révolution du 17 décembre 2011. Tout comme en 1952. L’histoire n’est qu’un éternel recommencement.